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Si des titres de recettes sont émis par une collectivité à l’encontre de plusieurs obligés alimentaires d’un demandeur d’aide sociale, cela suppose que la personne publique a non

Dans le document Le parcours contentieux de l'aide sociale (Page 68-72)

Partie II. L’accès juridictionnel aux droits à l’aide sociale

Section   1.   L’identification   des   juridictions   de   l’aide   sociale   départementale

B. Enchevêtrement des compétences des juridictions : la prise en compte des pensions alimentaires dans le calcul des ressources

59.   Si des titres de recettes sont émis par une collectivité à l’encontre de plusieurs obligés alimentaires d’un demandeur d’aide sociale, cela suppose que la personne publique a non

seulement évalué, mais aussi fixé et réparti la dette alimentaire dans le but de récupérer la somme qu’elle a elle-même engagée préalablement à tort au titre de l’aide sociale210. Ainsi, le Conseil d’État a reconnu comme relevant de la compétence des juridictions spécialisées de l’aide sociale, la possibilité de connaître de « l’ensemble des contestations relatives au recouvrement des sommes demandées à des particuliers, en raison des dépenses exposées par

210 CE, 1er décembre 1989, Gillet et al., n° 103141, Rec. Lebon, p. 242, concl. M. de Guillenschmidt ; JCP G 1990, II, 21517, obs. E. Alfandari ; AJDA 1990, p. 335, comm. X. Prétot ; RFDA 1990, p.136, n° 17 et p. 140, n° 29 ; DA 1990, commentaire n° 10 ; JCP G 1990, IV, 56 ; Gaz. Pal. 1990, 1, panorama droit administratif, p. 257 ; RDP 1990, p. 566 ; D. 1990, inf. rapp. p. 21 ; LPA 1990, n° 42, p. 15, note M. Meunier.

59 une collectivité publique au titre de l’aide sociale, que ces contestations mettent en cause les bénéficiaires de l’aide sociale eux-mêmes, leurs héritiers et légataires ou d’autres personnes ». En l’espèce, un conseil général avait émis à l’encontre de l’ensemble des ayants-droit du bénéficiaire, des titres exécutoires afin de récupérer les sommes indûment versées à la suite d’une admission en urgence. En 1991, le Conseil d’État récidive en la matière211 et va plus loin puisqu’il légitime, en amont de la reconnaissance de la licéité de l’émission de titres de recouvrement à l’encontre des obligés alimentaires, la « fixation » de la participation desdits obligés à hauteur de 30 % du montant total de la prestation, « la Commission centrale d’aide sociale [s’étant] livrée, sans dénaturer les faits, à une appréciation souveraine212 des circonstances de l’espèce ». Le Conseil d’État reprendra en 1992 cette terminologie quand il refusera de tenir compte de la décision du juge judiciaire213. Il y a donc une contradiction manifeste entre la position de la Cour de cassation dans ses décisions de1987 et celle du Conseil d’État développée dans son arrêt de 1999214. La nature d’état exécutoire du titre de recouvrement nécessaire au paiement de la créance détenue par la collectivité publique sur un bénéficiaire d’aide sociale et ses ayants-droits autorise ainsi les services d’admission et les juridictions de l’aide sociale à aller contra legem, si l’on se réfère aux articles L. 132-6 et R. 132-9 du Code de l’action sociale et des familles.

60.  L’ensemble des juridictions judiciaires et administratives entretiennent ces confusions. En effet, La Cour de cassation a rejoint la jurisprudence du Conseil d’État reconnaissant aux juridictions administratives la compétence en matière de contentieux de titres de recettes émis à l’encontre d’obligés alimentaires dans le cadre d’une demande d’aide sociale. Elle a en effet « dénié toute compétence au juge judiciaire pour annuler, sauf pour une irrégularité de forme, un commandement de payer délivré à l’encontre du débiteurs d’aliments d’une personne admise au titre de l’aide sociale »215. Elle s’est en l’espèce contentée de se déclarer incompétente, sans se prononcer sur la légalité des titres de recette émis par la collectivité publique à l’encontre des débiteurs d’aliments du bénéficiaire de l’aide sociale. Pourtant,

211 CE, 1er mars 1991, Tiboul, n° 940003, RDSS 1991, p. 631, obs. Ph. Ligneau.

212 Nous soulignons.

213 CE, 4 novembre 1992, Raymond Rouvreau, op. cit.

214 Précitées toutes les deux.

215 J.-P. NEGRIN, « Contentieux de l’aide et de l’action sociale », Jurisclasseur administratif, Fasc. n° 1138, 2012, § n° 222, à propos de Cass., 1ere civ., 30 juin 1998, n° 232, Bull. civ. I, n° 23., p. 160.

60 certains auteurs persistent à reconnaître à la seule autorité judiciaire la compétence pour délivrer des titres exécutoires : « la collectivité publique ne peut donc pas, sauf à commettre une illégalité, émettre elle-même un titre exécutoire »216, décision ayant autorité de chose jugée à l’appui217.

61.  On pourrait distinguer selon que les ascendants ou descendants du bénéficiaire de l’aide sociale sont désignés ou non en tant qu’obligés alimentaires. Ainsi, on pourrait imaginer qu’une personne publique voulant récupérer la somme engagée au titre de l’aide sociale auprès des membres de la famille du bénéficiaire, sans faire état de leur qualité d’obligés alimentaires, puisse le faire, mais simplement au regard de la subsidiarité et de la solidarité familiale non judiciarisée. On pourrait en effet envisager que la collectivité puisse être en droit de le faire par l’émission de titre exécutoire. Ici, les ascendants et descendants s’acquitteraient donc de la dette d’aide sociale détenue par la collectivité publique sur l’ensemble de la famille du bénéficiaire qui constituerait, pour elle, un seul et même foyer de ressources, identifié comme son débiteur. Dans une telle fiction, il existe bien une créance non fiscale, et non contractuelle, détenue par l’administration sur une personne privée (si l’on accepte de considérer la famille comme une personne morale218). Une telle situation emporterait alors la compétence du juge administratif et la légalité de la pratique des titres exécutoires émis par l’administration.

62.  Mais cette fiction ne repose sur aucune base légale. En réalité, la solidarité familiale et la subsidiarité de l’aide sociale fondent le droit de l’aide sociale et exigent la qualification d’obligés alimentaires pour être activées. Aucune participation à la prise en charge de l’aide

216 M. BORGETTO, « Aide et action sociale », Jurisclasseur administratif, Fasc. n° 218-10 (novembre 2006), § n°77.

217 L’auteur s’appuie ici sur la décision de la Cour de cassation du 1er décembre 1987 précitée, et sur l’avis rendu par le Conseil d’État en 1995, mais qui concernait principalement la pratique des établissements publics de santé qui recourent eux-aussi aux titres de recouvrement pour récupérer auprès des obligés alimentaires les sommes engagées au titre de l’aide sociale, et dont le régime juridique diffère de celui concernant les collectivités publiques, CE, avis, 28 juillet 1995, Kilou, n° 168438, Rec. Lebon p. 315 ; RFDA 1996, p. 386, concl. C. Maugüé ; JCP 1995. IV. 2723, obs. Rouault ; RDSS 1996, p. 326, obs. De Forges.

218 Voir sur cette question É. MILLARD, Famille et droit public  : Recherches sur la construction d’un objet

61 sociale ne devrait pouvoir être réclamée à une personne n’ayant pas cette qualité, et n’étant pas identifiée comme tel219.

63.  Les enjeux du financement de l’aide sociale sont sans aucun doute les principales causes d’un tel désordre. Mais la sauvegarde des deniers publics justifie-t-elle des incohérences juridiques telles qu’elles donnent naissance à des dénis de justice220 ? Il faut cependant mentionner que peu de prestations d’aide sociale restent aujourd’hui soumises au principe de subsidiarité221 et peuvent donc provoquer l’affirmation de positions distinctes, voire mêmes des oppositions entre les deux ordres de juridictions sur une même interrogation. La faible importance d’un contentieux ne saurait cependant justifier l’absence de réaction du législateur face à cette situation. D’une part, on ne connaît pas l’importance numérique de ce contentieux, si faible soit-elle. D’autre part, les textes et les juges justifient ces usages détournés du droit que sont les pratiques de l’émission de titres exécutoires à l’encontre des obligés des bénéficiaires de l’aide sociale par les collectivités et les établissements sociaux et sanitaires et sociaux en amont du recours juridictionnel.

La diversité des juridictions compétentes pour régler des litiges en matière d’aide sociale alimente une grande complexité du droit, et a fortiori de son accès. Lors de l’apparition d’un conflit entraînant la volonté de saisir un juge, le justiciable devra encore se repérer pour identifier la juridiction territorialement compétente. Il pourra aussi être amené à décomposer le conflit afin de le répartir, s’il y a lieu, entre plusieurs juridictions distinctes.

219 Au regard des règles de droit positif et des valeurs qu’elles véhiculent. Il ne s’agit pas en effet ici de porter un jugement de valeur sur la pertinence du principe de subsidiarité de la solidarité sociale à la solidarité familiale.

220 TC, 17 décembre 2001, Département de l’Isère, RFDA 2002, n° 2, p.330 ; P.-H. PRELOT, « Tribunal des conflits », Jurisclasseur administratif, Fasc. n° 1065 (juillet 2005), § n°170. Dans cette affaire, la Commission centrale d’aide sociale, et la Cour d’Appel de Grenoble s’était opposée quant à la nature d’une obligation due entre deux époux, la juridiction administrative rejetant la qualification d’obligation alimentaire, et la juridiction judiciaire la retenant. L’enjeu résidait dans la prise en compte ou non de ladite somme, dans les ressources prises en compte lors du calcul du montant d’une prestation d’aide sociale. La contrariété entre les deux décisions tenait non pas à la somme à prendre en compte, mais bien à la nature de l’obligation et conduisait à un déni de justice dans la mesure où le département qui avait versé l’aide sociale, ne pouvait récupérer la somme qui incombait au bénéficiaire et à ses ayant-droits au titre du principe de subsidiarité.

221 Seules les prestations liées à l’aide sociale de l’hébergement des personnes âgées et le revenu de solidarité active conservent le caractère de prestations subsidiaire au titre des obligations alimentaires.

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§2. La saisine de la juridiction compétente

64.  L’engagement d’une procédure contentieuse en matière d’aide sociale doit débuter par la saisine d’une juridiction compétente et susceptible de considérer la requête recevable. Tant les règles organisant la compétence ratione loci des juridictions (A) que le fait que certaines aides sociales, comme par exemple en matière de santé, voient leur contentieux éclaté entre plusieurs juges (B) viennent rendre cette opération ardue.

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