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La possibilité de former un recours gracieux contre la décision administrative

Dans le document Le parcours contentieux de l'aide sociale (Page 127-133)

Partie II. L’accès juridictionnel aux droits à l’aide sociale

Section  1.   Le  droit  au  recours  effectif  en  matière  d’aide  sociale

B. Les recours non juridictionnels

1. La possibilité de former un recours gracieux contre la décision administrative

a) Définition

408 Le Conseil d’État a recensé 140 procédures de recours administratifs préalables obligatoires dans son rapport de 2008, Les recours administratifs préalables obligatoires, Conseil d’État, La Documentation Française, 2008.

409 A. CIAUDO, « Le recours administratif préalable obligatoire, un obstacle à l’accès au juge  ? », in V. DONIER et B. LAPEROU-SCHENEIDER (dir.), L’accès au juge, Bruylant, 2013, p. 827.

118 149.  Le vocable « recours gracieux » est ici employé au sens d’un recours contre une décision défavorable dont l’engagement est laissé libre au destinataire de la décision initiale. Cette définition diffère de celle retenue en droit de la sécurité sociale selon laquelle constitue un recours gracieux le recours préalable à la saisine du juge rendu obligatoire par l’article R. 142-1 du Code de la sécurité sociale410 pour toute ouverture de contestation. En droit public, l’équivalent du « recours gracieux » au sens du droit de la sécurité sociale est qualifié de « recours administratif préalable obligatoire ».

150.  Selon la définition courante, le terme « gracieux » ne porte pas en lui la signification d’une possibilité juridique ouverte au demandeur, mais indiquerait simplement la faveur faite par l’administration ou sa bienveillance411 lorsqu’elle accepte de réexaminer la situation d’un demandeur insatisfait de la décision qu’elle lui a déjà destinée. Dans la matière juridique, traditionnellement, ce qui est gracieux s’oppose à ce qui est contentieux. Il n’est plus alors question de faveur. Le critère principal d’identification d’un recours gracieux tient à l’identité de celui qui le traite, c’est-à-dire l’auteur de la décision contestée, par opposition au recours contentieux dont la compétence est confiée à des juridictions. Plutôt que de recours gracieux, les recours visés dans ce cas sont des recours administratifs. L’identification de l’autorité chargée de traiter le litige permet aussi de distinguer le recours gracieux du recours hiérarchique, le second s’adressant à une autorité administrative supérieure à l’auteur de la décision contestée. Parmi les recours administratifs, les recours gracieux peuvent être opposés aux recours obligatoires. Le sens de l’expression évolue alors, puisqu’on s’attache à l’utilité de la procédure en vue de la saisine du juge. Les recours administratifs facultatifs, identifiés comme des recours gracieux, ne constituent pas des conditions à la saisine d’une juridiction au contentieux, à l’inverse des recours obligatoires, identifiés en droit administratif comme des RAPO.

410 « Les réclamations relevant de l'article L. 142-1 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chaque organisme. Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation. La forclusion ne peut être opposée aux intéressés que si cette notification porte mention de ce délai. Toutefois, les contestations formées à l'encontre des décisions prises par les organismes chargés du recouvrement des cotisations, des majorations et des pénalités de retard doivent être présentées à la commission de recours amiable dans un délai d'un mois à compter de la notification de la mise en demeure ».

119 Le Code l’action sociale et des familles contient des dispositions instaurant des recours gracieux. Il ne s’agit donc pas d’une faveur que l’administration fait à l’usager, mais d’une prérogative que le droit positif reconnaît à ce dernier. De même, lorsque le département crée lui-même, en l’insérant dans son règlement départemental d’aide sociale, ce type de recours en l’absence de disposition législative ou règlementaire, il s’oblige envers les usagers. Enfin, même en l’absence de disposition normative, un tel recours peut être engagé par l’usager qui le souhaite dès lors que l’administration y donne suite. Ce sont ces types de recours qui seront désignés par la suite sous l’expression « recours gracieux ». Constituent ainsi de telles procédures les recours non juridictionnels dont le déclenchement est laissé à la discrétion des demandeurs ou bénéficiaires de l’aide sociale, lorsque la décision prise par l’administration ne les satisfait pas, et qui sont adressés à l’auteur de la décision initiale, sans constituer de préalable obligatoire à la saisine d’un juge.

b) Les recours gracieux prévus par le Code de l’action sociale et des familles

Le Code de l’action sociale et des familles ne prévoit que deux situations pouvant donner lieu à un recours gracieux : une première dans le cadre d’une décision en matière d’allocation personnalisée d’autonomie (α), et une seconde dans le dispositif du revenu de solidarité active dans le cas d’une demande de remise gracieuse d’indu (β).

α) Le recours gracieux en matière d’allocation personnalisée d’autonomie (APA)

151.  Selon l’article L. 232-18, « Le demandeur, le bénéficiaire de l'allocation personnalisée d'autonomie ou, le cas échéant, son représentant, le maire de la commune de résidence ou le représentant de l'État dans le département peut saisir la commission mentionnée à l'article L. 232-12 pour qu'elle formule des propositions en vue du règlement des litiges relatifs à l'allocation personnalisée d'autonomie ». La formulation indique que le législateur conçoit ce recours comme une possibilité, et non une obligation pour le demandeur ou le bénéficiaire de l’allocation personnalisée d’autonomie. Le Conseil d’État s’est déjà prononcé en interprétant « peut » comme « doit »412. Cependant, dans la situation présente, selon le Code de l’action sociale et des familles, et en l’absence de jurisprudence contraire, le

412 CE, 17 novembre 1950, Rec. Lebon p. 103, à propos du sens de l’art. L. 121-7 du Code rural ; voir aussi CE, sect., 1er février 1980, n° 16592, Ministre de la santé et de la Famille c/ Clinique Ambroise Paré, Rec. Lebon, p. 62.

120 recours prévu lors de la contestation d’une décision relative à l’APA est bien une faculté ouverte au bénéficiaire ou au demandeur, c’est-à-dire un recours gracieux.

La commission mentionnée413 est chargée de formuler des propositions concernant la demande dans un délai d’un mois suivant le dépôt du recours. Toutefois la décision, puisqu’il s’agit d’un recours gracieux, revient à l’auteur de la décision initiale, le président du conseil général414. Il dispose d’un délai de quinze jours pour la rendre à la suite de l’avis de la commission. La saisine de cette dernière suspend les délais de recours contentieux415.

152.  Le déclenchement d’un recours gracieux en matière d’APA suspend l’écoulement du délai de recours juridictionnel ayant comme point de départ la date de la notification de la décision initiale. La terminologie retenue par le législateur est importante, puisque la suspension des délais diffère de la règle générale de la procédure administrative selon laquelle « tout recours administratif formé dans le délai de recours contentieux proroge416 le délai de recours contentieux »417. Le terme « prorogation » utilisé en droit public trouve comme synonyme « interruption », qui « à la différence de la suspension, efface totalement la partie du délai qui a déjà couru : c’est-à-dire qu’à la suite d’un phénomène interruptif, tous les compteurs sont remis à zéro »418. Le terme « suspension » entend lui que le temps écoulé avant l’enclenchement du recours gracieux est déduit du délai de deux mois qui continue à courir une fois la réponse gracieuse rendue par l’administration. Ainsi, le juge, quand il est saisi à la suite d’un recours gracieux « facultatif » en matière d’APA se prononce bien sur la décision initiale, dont la date de notification constitue le point de départ du délai de prescription dans lequel sa saisine doit être opérée. Ce délai de prescription sera suspendu au moment où l’autorité auteure de la primo décision sera sollicitée dans le cadre d’un recours gracieux et jusqu’à ce qu’elle rende à nouveau une décision dans ce cadre. Il continuera à courir une fois la nouvelle décision prise.

413 Art. L. 232-12 du Code de l’action sociale et des familles.

414 Art. D. 232-26 al. 5 du Code de l’action sociale et des familles.

415 Selon les termes de l’article D. 232-26 al. 3 du Code de l’action sociale et des familles.

416 Nous soulignons.

417 R. ROUQUETTE, Petit traité du procès administratif, 6ème éd., Dalloz, 2014, p. 523, § n° 333.125. V. aussi D. CHABANOL, La pratique du contentieux administratif, 10ème éd., Lexis Nexis 2013, p. 135, § n° 260.

121 β) La demande de remise gracieuse en matière de revenu de solidarité active419

153.  Le Code de l’action sociale et des familles prévoit également la possibilité d’exercer d’un recours gracieux à l’encontre une décision défavorable dans le cadre du bénéfice du revenu de solidarité active. Le deuxième alinéa de l’article L. 262-46 dispose en effet que « toute réclamation dirigée contre une décision de récupération de l'indu, le dépôt d'une demande de remise ou de réduction de créance ainsi que les recours administratifs et contentieux, y compris en appel, contre les décisions prises sur ces réclamations et demandes ont un caractère suspensif ». On se situe ici dans un cadre particulier, celui de la récupération de sommes indûment perçues par le bénéficiaire, ou versées par erreur par le département au bénéficiaire.

La rédaction de cet article témoigne bien d’une distinction opérée, entre les recours « gracieux », dont le déclenchement est simplement proposé aux individus qui veulent demander une remise des sommes réclamées parce qu’indûment versées, et le recours administratif préalable obligatoire exigé pour contester la légitimité même de la récupération. La faculté ouverte au demandeur de demander une remise de dette constitue un recours gracieux, tandis que le législateur a introduit le mécanisme du recours administratif préalable obligatoire (RAPO)420 s’agissant des autres demandes relatives au RSA.

154.  Dès lors, concernant les décisions liées à des indus de RSA, la question s’est posée de savoir si le recours gracieux déclenché au titre de cet article constituait ou non un RAPO ; dans la négative, si la réponse à cette demande gracieuse devait elle-même donner lieu à un RAPO en vue ensuite d’une éventuelle saisine du juge421. L’enjeu était de taille : il s’agissait finalement de savoir si une requête déposée devant le juge contestant le refus de remise de dette par le président du Conseil général était recevable en l’état, ou si elle devait donner lieu en amont à la formation d’un RAPO, comme cela est exigé concernant la contestation d’une décision prise en matière de RSA. Le Conseil d’État a opté pour la première branche de

419 RSA.

420 V. infra § n° 158 à 164.

421 CE, avis, 23 mai 2011, Mme Popin et M. El Momny, n° 344970 et 345827, Rec. Lebon ; AJDA 2011, p. 1111 et p. 1642, concl. C. Landais ; AJCT 2011 p. 407, obs. E. Aubin ; RDSS 2011 p. 773, obs. P. Fabre ; RDSS 2011, p. 773, obs. P. Fabre ; RDSS 2012, p. 733, étude J.-M. Wiernasz ; Dr. adm. 2011, comm. n° 82, note S. Retterer ;

122 l’alternative. Il a en effet considéré que la demande de remise de dette formulée auprès de l’auteur de la décision initiale présentait bien les qualités d’un RAPO et que la requête déposée devant un juge à la suite de ce recours préalable remplissait donc les conditions de recevabilité exigées par l’article L. 262-47 du Code de l’action sociale et des familles. En matière de demande de remise de dette, le recours non juridictionnel constituerait au moment où il est formé une faculté, et pourrait donc être qualifié de recours gracieux. En revanche, lorsque l’administration se serait prononcée en réponse à ce recours, il prendrait la nature d’un RAPO, autorisant alors la saisine d’un juge422. Le Conseil d’État semble poser comme condition de recevabilité de la saisine du juge administratif l’existence de deux décisions administratives concernant la demande initiale de droit à une prestation d’aide sociale : La primo décision, pour pouvoir donner lieu à un recours juridictionnel, doit avoir été réexaminée au moins une deuxième fois par les services de l’administration, sans doute dans le but de lui donner la possibilité de limiter, par un second examen, la saisine du juge.

c) Le recours gracieux sans texte : l’exemple de la couverture maladie universelle complémentaire423

155.  La possibilité de former un recours gracieux existe également sans texte. On peut par exemple mentionner la possibilité de former un recours gracieux auprès du directeur de la caisse d’assurance maladie auteure d’une décision défavorable portant sur la couverture maladie universelle complémentaire. Si aucune disposition ne prévoit expressément de cadre à ce recours gracieux424, il n’est pas en tout cas de la compétence de la commission de recours amiable de la caisse425. Cette précision apportée, la mise en œuvre de ce recours respecte les règles de droit commun concernant ses effets sur les délais pour saisir le juge. Lorsque la caisse a rendu sa décision, le justiciable dispose à nouveau d’un délai de deux mois pour porter son litige devant la commission départementale d’aide sociale. La situation de ce dispositif dans le Code de la sécurité sociale pourrait faire douter du régime juridique applicable s’agissant d’un recours non juridictionnel. On pourrait en effet imaginer que les

422 Au sens de l’art. L. 262-47 du Code de l’action sociale et des familles.

423 CMU-C.

424 L’art. L. 861-5 du Code de la Sécurité sociale crée le recours contentieux devant la commission départementale d’aide sociale, mais aucune disposition sur un recours administratif.

123 décisions CMU-C rendues par la caisse primaire d’assurance maladie doivent donner lieu à une saisine obligatoire de la commission de recours amiable comme pour les autres prestations servies par cet organisme. Le dispositif de la couverture maladie universelle relevant de la compétence de l’État, il est, en l’absence de disposition spécifique, soumis au droit commun administratif.

156.  En l’absence de texte servant de fondement à l’exercice d’un recours gracieux, ce dernier doit cependant présenter un certain nombre de caractéristiques afin d’être identifié comme tel. Ces caractéristiques tiennent non seulement à l’auteur de l’acte contesté, à la personne à laquelle le recours est adressé (qui doivent n’être qu’une seule et même autorité), mais aussi à la formulation de véritables conclusions. L’objet des recours dont il est ici question étant la contestation d’une décision prise en matière d’aide sociale, il est peu probable que les recours soient dépourvus de conclusions426.

157.  Le législateur a donc prévu de façon parcellaire des dispositifs de recours gracieux afin de permettre aux usagers d’obtenir une seconde décision concernant leur droit à l’aide sociale. En l’absence de disposition spécifique, les administrations restent libres d’organiser plus précisément ces procédures, notamment par le biais du règlement d’aide sociale pour les départements. Ces recours gracieux peuvent être engagés sans autre condition que celle d’avoir obtenu une première décision de l’administration, et ce même sans texte.

Le droit de l’aide sociale s’est récemment enrichi d’un nouvel outil très largement mis en œuvre dans la procédure administrative de droit commun : le recours administratif préalable obligatoire.

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