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L’illégalité des contenus des règlements départementaux d’aide sociale

Dans le document Le parcours contentieux de l'aide sociale (Page 173-177)

Partie II. L’accès juridictionnel aux droits à l’aide sociale

Section  2.   Le  cadre  d’action  des  juges  de  l’aide  sociale

B. Le règlement départemental d’aide sociale source de règles procédurales ?

1.   L’illégalité des contenus des règlements départementaux d’aide sociale

218.  Comme en dispose l’article L. 121-3 du Code de l’action sociale et des familles, le règlement départemental fixe les règles relatives à l’octroi des prestations d’aide sociale par le département, mais aussi celles relatives au contrôle des établissements et services associés dans le service de ces prestations et à celui des usagers du service public582. Selon le Code de l’action sociale et des familles, ce règlement contient des dispositions variées. Il prévoit notamment les règles selon lesquelles « Le conseil général peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l'article L. 121-1. […]»583. En effet, le département lorsqu’il adopte ce règlement, est soumis aux dispositions législatives et réglementaires nationales en vigueur. Mais il peut modifier les règles d’octroi des prestations d’aide sociale s’il le fait dans un sens favorable aux usagers. Par exemple, l’article L. 262-26 règle expressément cette possibilité à propos du montant du revenu de solidarité active, qui peut être augmenté. Cette « amélioration » doit figurer dans le règlement départemental d’aide sociale. Cet acte administratif peut également contenir des dispositions fixant le montant des contributions exigibles en contrepartie d’une prise en charge par certains dispositifs d’aide sociale584, ou encore des dispositions aménageant les règles de participation au financement d’un hébergement en structure départementale585, concernant l’hébergement des personnes âgées586, ou pour des soins de longue durée587.

219.  Le contenu des règlements départementaux d’aide sociale est ainsi encadré par les dispositions législatives et réglementaires recensées du Code de l’action sociale et des familles. Or une étude de certains de ces règlements départementaux montre que le contentieux ou, pour reprendre la terminologie retenue dans la majorité des cas, les « voies de recours » contre les décisions du département, sont aussi très souvent l’objet de dispositions.

582 Art. L. 133-2 du Code de l’action sociale et des familles.

583 Art. L. 121-4 du Code de l’action sociale et des familles.

584 C’est le cas notamment de la contribution demandée par l’aide sociale à l’enfance aux personnes prises en charge selon l’article L. 228-2 du Code ; il en va de même à propos de la contribution demandée pour les mesures d’accompagnement social personnalisé selon l’article L. 271-4 du même code.

585 Art. L. 314-10 du Code de l’action sociale et des familles.

586 Art. L. 231-5 du Code de l’action sociale et des familles.

164 Lorsque ces dispositions visent à rappeler les règles en vigueur issues de la loi et du règlement, leur mention est à la fois logique et louable, notamment dans un objectif d’accès au droit. Mais souvent, l’auteur du règlement va plus loin que la simple mention des règles nationales en vigueur et procède à de véritables créations normatives.Parfois même, il édicte dans cet acte à valeur réglementaire des règles illégales. Une analyse des règlements départementaux de la région Rhône-Alpes illustre ce propos.

220.  Jusqu’au 31 décembre 2014, la région Rhône-Alpes comptait huit départements588. Seuls six d’entre eux s’étaient dotés d’un règlement départemental d’aide sociale. Au mois d’octobre 2014, les services de l’aide sociale de la Haute Savoie confirmaient que ce département ne disposait pas d’un tel règlement, et qu’ils se référaient au Code de l’action sociale et des familles pour fixer les conditions d’attribution des prestations d’aide sociale. De même, les services du Conseil général de l’Ardèche indiquaient ne pas avoir de règlement départemental. Six départements étaient donc dotés d’un règlement d’aide sociale. Il s’agissait de l’Ain, la Drôme, l’Isère, la Loire, la Savoie et le Rhône. Parmi ces six départements, seuls quatre d’entre eux semblaient assurer la mise à jour de leur règlement dans la mesure où celui de l’Isère datait de 2003 et celui de la Loire de 2007. Les autres départements de la région disposaient de règlements dont la mise à jour datait de 2010 pour la Savoie, 2011 pour la Drôme, et 2012 pour l’Ain et le Rhône. Chacun de ces règlements comportait des dispositions concernant le contentieux de l’aide sociale. Suivant le choix opéré, ces règles apparaissaient soit à propos de chaque prestation servie par le département, soit dans une section spécifique, regroupant les règles de procédure de contestation non juridictionnelle et juridictionnelle.

221.  Ces quatre règlements ne sont qu’un échantillon de l’ensemble de ceux adoptés par les départements français, mais ils permettent d’illustrer les caractéristiques de ce type d’acte. Ainsi, dans le livre 3 intitulé « les possibilités de recours contentieux contre les décisions » du

588 Au 1er janvier 2014, le découpage territorial de la région Rhône-Alpes a été modifié par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, JORF, n° 0023 du 28 janvier 2014, p. 1562. Désormais, le territoire correspondant anciennement au département du Rhône est divisé en deux. Au nord-ouest est créé le département du « Nouveau Rhône », et le reste du territoire, correspondant à celui de l’ancienne communauté urbaine du Grand Lyon, devient la Métropole de Lyon, collectivité territoriale sui-generis.

165 règlement départemental du Rhône589, il était procédé à un rappel des dispositions du Code de l’action sociale et des familles, notamment des articles L. 134-1, L. 134-2, L. 134-3 L. 134-8, et L. 245-1. Ce département mentionnait également l’obligation de s’acquitter du paiement d’un timbre fiscal de 35 euros afin d’engager une procédure devant une juridiction française590. De même, le règlement citait les dispositions du Code591 concernant la commission départementale compétente pour traiter les recours gracieux en matière d’allocation personnalisée d’autonomie et le caractère suspensif des délais de recours contentieux. Le seul ajout opéré par le Conseil général du Rhône consistait en la précision indiquant que le recours devant les juridictions de l’aide sociale devait être « motivé », alors qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne vient prévoir cette obligation592.

222.  Les trois autres règlements départementaux sont moins conformes à ce que le droit semble exiger de ce type d’acte administratif. Ainsi, le règlement de la Savoie est daté de novembre 2008 mais comporte les mentions suivantes : « adopté par délibération en date du 26 janvier 2009 », « modifié par délibération en date du 14 juin 2010 » et « modifié par la délibération en date du 23 juin 2014 ». Or la rédaction de ce document témoigne soit d’une absence de mise à jour depuis 2007, soit de la subsistance d’une entité pourtant censée avoir disparue. En effet, s’il a bien été pris acte de l’abandon de l’allocation compensatrice pour tierce personne pour la prestation de compensation du handicap au 1er janvier 2006, la procédure de contestation des décisions liées à ces deux prestations prévoit toujours un recours préalable devant la « commission d’admission d’aide sociale » supprimée en 2007593. De même, et peut être plus flagrant encore, ce règlement ne comporte aucune disposition liée au revenu de solidarité active, tandis que son chapitre 3, consacré à la cohésion sociale, l’insertion et la lutte contre les exclusions, fait toujours référence dans sa première partie, au revenu minimum d’insertion. Ce règlement prévoit pour l’ensemble des prestations servies

589 Rappelons que depuis le 1er janvier 2015, il n’existe plus de département du Rhône, mais deux structures distinctes : le département du Nouveau Rhône et la Métropole de Lyon. Chacune de ses collectivités exercent des compétences d’aide sociale sur son territoire.

590 Art. 130-1 du Règlement départemental d’aide sociale du Rhône.

591 Art. L. 232-18 et D. 232-26 al. 3 du Code de l’action sociale et des familles.

592 Qui résulte en droit de l’aide sociale de décisions jurisprudentielles, v. supra § n° 176 à 184.

593 Par l’Ordonnance n° 2005-1477 du 1er décembre 2005, portant diverses dispositions relatives aux procédures

d’admission à l’aide sociale et aux établissements et services sociaux et médico-sociaux, prévoyant la

166 par le département un recours gracieux auprès du président du Conseil général. Seules les décisions prises en matière d’allocation personnalisée d’autonomie donnent explicitement lieu à un recours gracieux devant une commission selon le Code de l’action sociale et des familles. Cependant cette disposition n’est pas illégale dans la mesure où toute décision administrative peut ouvrir droit à un recours gracieux, même sans texte.

223.  Les deux autres règlements départementaux de l’Ain et de la Drôme font mention d’une procédure de « recours amiable ». Selon le règlement du département de l’Ain, il est prévu un recours amiable, et non pas un recours gracieux, pour contester une décision prise en matière d’allocation personnalisée d’autonomie. Au regard de la rédaction de l’acte, son auteur ne semble pas distinguer entre les deux types de recours. Nous en concluons que ce recours est en fait un recours gracieux, maladroitement qualifié d’amiable594, sans doute en référence à la procédure en œuvre dans les caisses d’allocations familiales prévoyant un « recours amiable » obligatoire en amont de toute saisine du juge. Le recours amiable prévu dans le règlement d’aide sociale de la Drôme correspond lui à la procédure prévue à l’article L. 146-10 du Code de l’action sociale et des familles et sort donc de notre champ d’étude puisqu’il relève de la procédure non juridictionnelle technique de l’incapacité.

224.  La rédaction des dispositions du règlement départemental de l’Ain présentant les voies de recours concernant l’allocation personnalisée d’autonomie (à domicile et en établissement) témoigne d’une confusion entre les termes suspension, interruption et prorogation à propos de l’effet de l’exercice d’un recours gracieux sur les délais du recours juridictionnel, ainsi que d’une erreur concernant les caractéristiques du recours non juridictionnel concernant cette allocation. Le règlement est ainsi rédigé : « En cas de litige relatifs à l’APA, la personne âgée dispose d’un délai de deux mois pour saisir la commission départementale de recours amiable de l’APA par lettre recommandée avec accusé de réception […]. Dans ce cas, les délais de recours contentieux sont suspendus. Si la personne

594 Le terme « amiable », quelle que soit la définition retenue, sous-entend un accord, une conciliation obtenue entre deux parties sans l’intervention de la décision d’un juge (V. sur cette définition : « amiable », G. CORNU,

Vocabulaire juridique, PUF, 4ème éd., 1987 ; Le Petit Robert, 2002). En ce qui concerne la procédure permettant de contester une décision administrative défavorable en dehors de toute intervention judiciaire, on considère qu’à partir du moment où le recours est une faculté offerte à l’administré, que ce recours soit ou non organisé, de façon plus ou moins encadrée, ce recours reste un recours gracieux, qui éventuellement peut être amiable. En effet, si les conditions sont réunies pour qu’en plus de constituer une faculté pour l’administré, la procédure de ce recours organise une véritable conciliation et une recherche d’un accord commun, alors il peut s’agir d’un recours gracieux amiable.

167 âgée n’accepte pas cette décision, elle dispose d’un délai de deux mois à compter de la date de réception de cette notification pour exercer un recours motivé […] »595 auprès de la commission départementale d’aide sociale. D’une part, à propos du caractère facultatif de ce recours administratif, la rédaction du règlement semble au contraire laisser croire qu’il s’agit d’un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction spécialisée d’aide sociale de première instance. Celle-ci peut en effet être saisie « si la personne âgée n’accepte pas la décision » rendue à la suite de l’exercice du recours gracieux-amiable. Or les règles nationales en vigueur n’imposent pas un tel recours administratif préalable obligatoire, à l’exception de la procédure concernant le RSA596. Si cette disposition signifie bien le caractère obligatoire du recours administratif, elle est alors illégale, bien qu’en vigueur. En effet, le règlement départemental d’aide sociale n’a pas vocation à créer des règles de procédure juridictionnelle ou non juridictionnelle de contestation d’une décision administrative. Le caractère obligatoire du recours administratif renforce l’illégalité de la disposition puisqu’à défaut d’améliorer l’accès au(x) droit(s) des usagers, cette dernière impose des voies de recours plus contraignantes d’accès au juge.

On relève d’autre part la confusion entre le sens du terme « suspendus » à propos des délais de recours contentieux, et les effets de cette « suspension » tels que décrits dans le règlement : en fait de suspension, le conseil général de l’Ain prévoit la prorogation des délais à la suite de l’exercice d’un recours administratif par l’usager, puisque ce dernier dispose à nouveau de deux mois pour exercer son recours juridictionnel une fois une réponse obtenue à son recours gracieux. Cette disposition semble contraire à celles du Code de l’action sociale et des familles et notamment à l’article D. 232-26 al. 3. Cette fois cependant, l’usager bénéficie d’un « avantage » puisqu’il dispose de plus de temps pour saisir le juge. Mais la possibilité offerte aux départements d’insérer dans leur règlement d’aide sociale des dispositions plus favorables aux usagers que celles applicables sur l’ensemble du territoire national ne concerne que le bénéfice et l’octroi de prestations d’aide sociale, et non pas la procédure administrative contentieuse.

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