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La notion de « parcours » dans les sciences sociales

Dans le document Le parcours contentieux de l'aide sociale (Page 34-38)

1. Définition

18.  Le parcours est un déplacement accompli ou à accomplir d’un point à un autre101. Substantif masculin issu du verbe « parcourir », ce terme a comme synonymes « trajet », « chemin », « itinéraire » ou « trajectoire ». Un parcours s’entend donc, d’une part, d’un enchaînement de phases, de situations ou d’actions, qui peuvent être appréhendées d’un point de vue chronologique et dont l’unité tient à l’identité du sujet qui l’emprunte, et de l’idée qui permet de le penser comme un, en liant les phases, les situations ou les actions. Mais d’autre part, le parcours est pensé, élaboré, destiné à quelqu’un ou à quelque chose. Le terme « parcours » peut alors être rapproché du terme juridique « procédure ». Le parcours

100 V. par exemple I. SAYN, « Le pouvoir de l’organisation, maîtrise des ressources juridiques et maîtrise du recours au juge dans la branche famille de la sécurité sociale », Droit et Société, 2007, n° 67, p. 649.

101 V° « parcours » au portail lexical, onglet « lexicographie » du CNRTL, qui regroupe les bases de données suivantes : le Trésor de la langue française informatisé, les dictionnaires de l’Académie française (4ème, 8ème et 9ème éditions), les bases de données lexicographiques panfrancophones de l’Université Laval de Québec, la base historique du vocabulaire français du laboratoire ATILF, le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) du laboratoire ATILF, le Du Cange de l’École nationale des Chartes.

25 correspond alors à un ensemble de règles selon lesquelles doivent se dérouler des actions afin de parvenir à la fin visée par l’acteur, par exemple l’obtention d’une décision. Dans les deux dimensions, le parcours peut être séquencé, puisque l’intérêt du recours à ce terme réside dans l’appréhension globale d’un ensemble de phases trouvant leur unité dans l’identification des acteurs/cibles et de la fin visée.

2. Usages

19.   Le concept de parcours est très largement utilisé dans les sciences sociales afin de rendre compte, à la manière d’un récit, du cheminement d’un sujet dans un cadre chronologique et spécifique. C’est par exemple le sens de l’expression « parcours de vie » qui, en sociologie, désigne « le ou les modèles socio-culturels qui organisent la trajectoire de la vie des individus dans une société et une période historique données »102 et, en psychologie, un « ensemble de règles qui organise les dimensions fondamentales de la vie sociale de l’individu »103. Dans la mise en œuvre de politiques publiques en matière de santé, le parcours est aussi une notion très présente, notamment dans la trilogie « parcours de soins, parcours de santé, parcours de vie »104. La notion de parcours permet alors d’appréhender la personne au-delà de son rapport strict aux soins, par rapport à l’ensemble de ses besoins sociaux et sanitaires et sociaux dans le cadre de sa prise en charge. La notion de parcours constitue une entrée pour l’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des politiques publiques. Les parcours scolaires, de formation ou professionnels, sont aussi l’objet d’études en psychologie, en management ou encore en sociologie. Cette présentation rapide n’épuise pas l’ensemble des dimensions que peut prendre cette notion dans le champ des sciences sociales.

102 P. LENEL, Parcours de vie. Constats et analyses sociologiques, Conseil d’orientation des retraites, 13 février 2013, p. 11.

103 M. KOHLI, « The world we forgot  : a historical review of the life course in later life », in Later life, the social

psychology of agy, V. W. Marshall (ed), Beverly Hills, Sage, 1985, cité par LENEL, Parcours de vie. Constats et analyses sociologiques, op. cit., p. 11.

104 Le parcours se définit alors comme « la trajectoire globale des patients et usagers dans leur territoire de santé, avec une attention particulière portée à l’individu et à ses choix. Il nécessite l’action coordonnée des acteurs de la prévention, du sanitaire, du médico-social et du social. Il intègre les facteurs déterminants de la santé que sont l’hygiène, le mode de vie, l’éducation, le milieu professionnel et l’environnement. Si le parcours d’une personne donnée est unique, à l’échelle d’une population on peut repérer et organiser des typologies de parcours a priori et calibrer et anticiper les ressources nécessaires », selon la définition retenue par l’Agence Régionale de Santé.

26 Le droit positif de l’aide sociale porte la marque de l’importance de la notion dans la sphère sanitaire et sociale105. On trouve dans le Code de l’action sociale et des familles treize occurrences du terme « parcours ». Aucune d’entre elles ne donne à voir une dimension juridique du parcours. En revanche, le Code témoigne de la diversité des formes qu’il peut prendre dans la mise en œuvre de politiques sociales. On peut ainsi en identifier trois types distincts : les parcours de formation106, les parcours d’insertion107 et les parcours au sens de parcours de vie108. En élargissant la recherche à l’ensemble du droit positif, on constate que l’on retrouve dans diverses branches du droit une catégorisation semblable des types de parcours. La notion apparaît principalement dans les branches composant le droit social109 et l’on retrouve alors les mêmes emplois du terme que ceux présents dans le Code de l’action sociale et des familles.

3. L’apparition de la notion de « parcours contentieux » en droit

20.  Bien que la notion de parcours en droit de l’aide sociale, ou dans les autres branches du droit, n’ait pas donné lieu à une conceptualisation, on relève récemment dans les productions dogmatico-doctrinales110 la présence de l’expression « parcours contentieux ». Si l’expression n’appartient pas au langage du droit de la République Française, des

105 M.-A. BLOCH et E. HENAUT, Coordination et parcours. La dynamique du monde sanitaire, social et

médico-social, Fondation P. Bennetot, Dunot, 2014.

106 Art. R. 451-2 du Code de l’action sociale et des familles : « parcours personnalisés de formation », art. D. 243-19 : « parcours de qualification professionnelles » des travailleurs handicapés, art. D. 312-10-2 : « parcours de formation de l’élève handicapé », art. D. 312-10-5 : « parcours de formation des enfants et adolescents handicapés », et art. D. 312-10-16 : « parcours de formation ».

107 Art. L. 214-7 et D. 214-7 du Code de l’action sociale et des familles : « parcours d’insertion sociale et professionnelle », art. L. 247-4 et L. 262-55 : « parcours d’insertion », art. R. 262-116-2 : « parcours de retour à l’emploi », et Annexe 3-9 : « parcours professionnel ».

108 Art. L. 345-2-4 du Code de l’action sociale et des familles : « parcours des personnes ou familles » dans les centres d’hébergement, art. R. 146-38 : « parcours individuel de la personne handicapée ».

109 V. notamment les codes du travail, de la sécurité sociale, de la santé publique, de l’éducation (« parcours scolaire », v. par ex. art. L. 112-3, « parcours de scolarisation » : par ex. v. art. L. 351-1-1), mais aussi dans le

Code de procédure pénale (« parcours d’exécution de la peine » art. D. 88 et s.).

110 L’activité dogmatico-doctrinale s’entend d’« une activité de connaissance dont l’auteur se maintient à l’intérieur du système de droit » et qui consiste à mêler une « activité de description systématique et ordonnée du droit en vigueur et d’interprétation » (dogmatique juridique) à « l’identification et le traitement de questions de droit » et « la formulation de jugements ou d’opinions sur le droit en vigueur » (activité doctrinale). Cette définition, à laquelle nous choisissons de souscrire, est celle proposée par A. JEAMMAUD dans « La part de la recherche dans l’enseignement du droit », op. cit., pp. 187 à 191.

27 universitaires, des politiques111 et des praticiens du droit y ont recours pour désigner la succession d’instances auxquelles les justiciables peuvent être parties. En ce sens, l’expression « parcours contentieux » pourrait être tenue pour synonyme de « procès », espace institutionnel de pratiques permettant de faire trancher un litige par un juge. Mais ce que les auteurs semblent vouloir signifier en recourant à cette expression semble dépasser le sens du terme « procès ». On retrouve en effet, derrière l’emploi du terme « parcours » associé à l’adjectif « contentieux », les deux dimensions présentées précédemment. Pour certains auteurs, le parcours contentieux est celui que le justiciable emprunte, et notamment en contentieux administratif, celui que l’usager du service public emprunte face à l’administration112 ; ou bien, au-delà des conflits avec l’administration, celui que le justiciable emprunte dans sa relation à l’institution juridictionnelle113. Dans ce cas, l’expression « parcours contentieux » fait écho au sens du parcours comme instrument de politique sociale, qui prend en compte la personne qui l’emprunte au regard de ses besoins, de ses droits et de ses devoirs114. Cette terminologie souligne que l’auteur s’attache, dans son analyse, à rendre compte de la dimension subjective du procès. Un second sens peut être reconnu à l’expression : « parcours contentieux » semble alors faire référence au procès comme cadre

111 Sénat, Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, Avis sur le projet de Loi de Finances pour 2014 présenté par M ; Y. DÉTRAIGNE, n° 162, Tome IV « Conseil d’État et autres juridictions administratives », 21 novembre 2013, p. 25 à 28. Dans cet avis, les sénateurs évoquent « la rationalisation du parcours contentieux ». Ils font alors référence à la répartition des compétences entre les différentes juridictions administratives, notamment au regard des degrés d’instance ; mais aussi à la « longueur » des procès, notamment par la suppression de l’appel pour les contentieux sociaux relevant de la compétence des tribunaux administratifs, et craignent une « détérioration de la lisibilité des parcours contentieux » p. 27.

112 B. TARBES, « L’exécution des marchés de travaux et son contrat », Revue de droit immobilier, 1998, p. 545 ; F. MELLERAY, « L’arrêt Burbaud implique-t-il une discrimination à rebours  ? », AJDA, 2003, p. 1911 ; B. MALIGNER, « Clarification du régime contentieux des décisions de remboursement des dépenses de campagnes », AJDA, 2005, p. 1306 ; L. BURGOGUE-LARSEN, « De l’inhumation à la crémation, en passant par la congélation  : le mode de sépulture en question », AJDA, 2006, p. 757 ; R. HOSTIOU, « Responsabilité du fait de la justice administrative  : le droit pour l’exproprié à obtenir un jugement dans un délai raisonnable »,

Revue de droit immobilier, 2010, p. 445 ; I. POIROT-MAZERES, « La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à

la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français  : enfin ...? », RDSS, 2010, p. 662.

113 J. DUPLAT, « Le partage des compétences administratives et judiciaires en cas de requalification d’un contrat emploi-solidarité passé par une personne publique. Concl. sous TC, 24 septembre 2007 », Droit social, 2008, p. 97 ; G. COUTURIER et E. SERVERIN, « Quel contentieux pour la rupture conventionnelle du contrat de travail à durée indéterminée  ? », Revue de droit du travail, 2009, p. 206.

28 institutionnel dans lequel un litige est tranché par un juge115. Le point de vue change : le procès est alors pris comme objet d’analyse au regard des règles qui l’organisent, sans considération particulière pour la subjectivité des parties.

L’adjonction de l’adjectif « contentieux » au terme « parcours » crée une expression faisant référence à un objet situé dans le champ du droit puisque le contentieux est lui-même un objet d’analyse juridique. Cela ne suffit pas, cependant, pour que le « parcours contentieux » puisse être lui-même objet d’une telle analyse. Si l’on s’en tient au sens de « parcours contentieux » comme synonyme de procès, l’étude est de la compétence du juriste. Mais dans sa première acceptation, celle qui signale une prise en compte du sujet, le choix de cette terminologie semble annoncer une posture de sociologie ou de psychologie sociale qui n’est pas « dans ses cordes ». Il nous semble pourtant qu’une étude portant sur le parcours contentieux pris dans cette dimension présente, du point de vue du droit, de nombreux intérêts.

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