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Un dispositif d’aide sociale, plusieurs juridictions compétentes : l’exemple du droit à l’aide sociale en matière de santé

Dans le document Le parcours contentieux de l'aide sociale (Page 81-86)

Partie II. L’accès juridictionnel aux droits à l’aide sociale

Section   1.   L’identification   des   juridictions   de   l’aide   sociale   départementale

B. Un dispositif d’aide sociale, plusieurs juridictions compétentes : l’exemple du droit à l’aide sociale en matière de santé

80.  Dans le domaine de la santé, les dispositifs mis en œuvre par le législateur pour répondre au besoin des personnes non assurées en raison d’une activité de travail illustrent la complémentarité des différentes strates de protection sociale, mais surtout la complexité qu’elle engendre. Trois niveaux de protection différents peuvent être ainsi cumulés. Une personne non assujettie à la sécurité sociale en raison de son travail pourra, si elle en remplit les conditions, bénéficier d’une prise en charge au titre de la couverture maladie universelle, de son volet complémentaire, et éventuellement de mesures d’action sociale en matière de santé décidées par les collectivités territoriales (1). Le rattachement du volet de base de la CMU à la sécurité sociale, contrairement au volet complémentaire qui ressort de l’aide sociale, peut être discuté (2). On constate ensuite que cette division des strates de protection entraîne un éclatement du contentieux en matière de santé entre de multiples juridictions (3).

1. La distinction entre CMU de base, CMU complémentaire, et mesures d’action sociale en matière de santé

a) Le volet de base de la CMU

81.  L’article L. 380-1 du Code de la sécurité sociale dispose que « Toute personne résidant en France métropolitaine ou dans un département d'outre-mer de façon stable et régulière

72 relève du régime général lorsqu'elle n'a droit à aucun autre titre aux prestations en nature d'un régime d'assurance maladie et maternité ». Afin de rendre cette règle effective, le dispositif de la couverture maladie universelle vise l’ensemble des personnes qui ne sont pas assurées en raison d’une activité professionnelle rémunérée telle que prévue à l’article L. 111-2-2 du même Code. Le régime de la CMU substitue au critère des conditions de ressources classiques de l’aide sociale deux conditions, de résidence et de non affiliation au régime de sécurité sociale par la qualité de travailleur (retenue pour le rattachement à la sécurité sociale « contributive »). En réalité, la notion de ressources apparaît bien dans l’ouverture des droits à la CMU, mais pas comme un critère d’octroi : elle permet d’exiger une cotisation nécessaire à l’ouverture du droit, lorsque le bénéficiaire dispose d’un certain niveau de ressources. Ainsi, une personne bénéficiaire de la CMU devra ou non verser une cotisation santé en fonction de ses ressources. En deçà d’un certain plafond de ressources247, aucune cotisation n’est due ; mais au-delà, la cotisation est d’autant plus importante que les ressources du demandeur sont élevées248. Dès lors le bénéfice de cette couverture maladie, en tant que dispositif visant à garantir « des moyens convenables d’existence » est bien conditionné, et ce dans une large mesure, à un critère de condition de ressources. Ce n’est pas l’ouverture du droit qui est conditionné par les ressources, mais bien les conditions du bénéfice de la prestation qui vont varier en fonction de ces ressources. Ainsi, il nous semble que la CMU relève bien de la logique de l’aide sociale, malgré une universalité revendiquée249.

b) La CMU complémentaire

82.  Une personne n’étant assujettie à la sécurité sociale à aucun titre peut donc, si elle remplit le critère de résidence250, demander à bénéficier de la CMU de base. Elle peut

247 Le plafond de ressources qui détermine la gratuité de l’affiliation à la CMU est fixé à 9534 euros par foyer pour la période du 1er octobre 2013 au 30 septembre 2014. V. Art D. 380-4 du Code de la sécurité sociale à jour de l’arrêté du 2 septembre 2013 fixant le plafond de revenus applicable pour la cotisation sociale due au titre de la couverture maladie universelle en application de l'article D. 380-4 du code de la sécurité sociale.

248 Le montant de la cotisation est égal à 8 % du revenu fiscal dépassant le plafond de 9534 euros, et est calculée annuellement, V. les art. L. 380-2 et D. 380-1 et s. du Code de la sécurité sociale.

249 Sur l’universalité des prestations sociales, voir E. ALFANDARI et F. TOURETTE, Action et aide sociales,

op.cit., p. 406-407 ; voir aussi C. MAGORD, « Les conditions de ressources, critères d’accès aux prestations

d’aide sociales », in Les droits sociaux, entre droits de l’Homme et politiques sociales. Quels titulaires pour

quels droits  ?, Lextenso, LGDJ, 2012, 104 à 108. V. infra § n° 461 à 469.

250 Résidence qui doit être stable et régulière, c'est-à-dire d’au moins trois mois sur le territoire national et sans discontinuité.

73 également demander la CMU complémentaire dès lors que ses « ressources sont inférieures à un plafond déterminé par décret, […] dans les conditions définies à l'article L. 861-3 »251. Le volet complémentaire de la CMU relève explicitement de l’aide sociale, puisqu’il est soumis directement à condition de ressources et qu’il est donc bien subsidiaire. Cette couverture complémentaire vise à décharger les bénéficiaires de l’avance de frais, et leur assure un remboursement complémentaire des dépenses de santé non couvertes entièrement par la couverture de base252.

c) L’action sociale en matière de santé

83.   Enfin, les personnes non couvertes par le régime classique de sécurité sociale peuvent avoir accès, selon les conditions posées par les collectivités en cause, à un certain nombre de mesures d’action sociale. Par exemple, un département ou une commune peut décider la création de permanences mensuelles d’accès aux soins dentaires gratuits, ou d’aide en espèces à caractère exceptionnel pour les soins urgents non pris en charge par les systèmes de protection sociale.

Si ces trois niveaux de protection sociale semblent relever de logiques différentes, le rattachement de la CMU de base au régime de la sécurité sociale au prétexte de son universalité peut être critiqué.

2. Critique du rattachement de la CMU de base à la sécurité sociale

84.  On peut discuter du rattachement de la couverture maladie universelle253 à la sécurité sociale ou à l’aide sociale. De prime abord apparentée au régime de sécurité sociale par ses sources législatives et réglementaires254, son objet et dans une certaine mesure, ses conditions d’octroi peuvent au contraire la rapprocher des critères d’identification de l’aide sociale telle que définie dans cette analyse. On retrouve ici la difficulté théorique engendrée par l’apparition de prestations dites « universelles », au sein de régimes de protection sociale historiquement fondés sur l’opposition assurance – sécurité sociale / solidarité – aide sociale.

251 Art. L.861-1 du Code de la sécurité sociale.

252 Voir art. L.. 861-3 du Code de la sécurité sociale.

253 On emploiera ici l’abréviation CMU pour évoquer la Couverture Maladie Universelle.

74 La distinction entre ces deux systèmes repose sur la contributivité, qui est un préalable obligatoire au bénéfice d’une prestation d’assurance sociale, et qui est exclue dans le cas de l’aide sociale. Or, le bénéfice de la CMU peut donner lieu ou non à une contribution selon les ressources du foyer. Il y a donc des bénéficiaires de la CMU à titre gratuit, et des bénéficiaires soumis à une contribution fonction de leurs ressources. Dès lors la CMU à titre gratuit ne relève en aucun cas du régime de l’assurance sociale, mais bien de celui de l’aide sociale, puisqu’elle est non contributive. En revanche, la CMU qui donne lieu au paiement d’une contribution pourrait être rattachée au régime de la sécurité sociale. Mais est ce que la « contributivité » de cette prestation emporte avec elle cette universalité qui lui est reconnue ? Il nous semble que la CMU, qu’elle soit accordée à titre gratuit ou en contrepartie d’une contribution, est toujours fonction des ressources du bénéficiaire. Cette universalité ne raisonne alors que comme une revendication politique d’universalisme, relevant bien plus du discours que d’une réalité concrète. Au regard de la distinction sécurité sociale/aide sociale, dans une posture purement beveridgienne, la CMU ne relève d’aucune de ces deux logiques de prise en charge des risques sociaux255.

Cette critique de la prétendue universalité de la CMU dans son volet de base vise à appuyer le constat qui suit selon lequel la division de la protection en matière de santé pour les personnes ne relevant pas par leur travail d’un régime de protection classique provoque une grande complexité lorsqu’apparaissent des litiges en la matière.

3. Les conséquences en termes de dispersion du contentieux

85.  Le contentieux de la CMU de base est confié aux juridictions de la sécurité sociale, et celui de la CMU complémentaire est du ressort de compétence des juridictions administratives spécialisées de l’aide sociale. Dès lors, s’il s’agit bien de deux dispositifs différents, le contentieux du droit à l’aide sociale en matière de santé se voit donc scindé entre deux juridictions, et plus encore entre deux ordres juridictionnels.

Cette division engendre de nombreuses difficultés pour s’orienter au sein du parcours contentieux. Les règles de procédure diffèrent, puisque les tribunaux des affaires de la sécurité

255 Voir sur la qualification de la CMU et de l’APA la thèse de L.-E. CAMAJI, La personne dans la protection

sociale, Recherche sur la nature des droits des bénéficiaires de prestations sociales., Nouvelle bibliothèque de

75 sociale sont soumis aux règles de procédure civiles256 et les commissions départementales d’aide sociale à des règles qui leur sont propres257. Par exemple, il est impératif, avant de saisir le tribunal des affaires de la sécurité sociale, d’obtenir au préalable une décision de la Commission de Recours Amiable, sous peine d’irrecevabilité de la saisine258. En revanche, il n’existe aucun recours préalable obligatoire en procédure administrative de l’aide sociale259. Il est seulement possible d’exercer, avant de saisir la juridiction compétente, un recours gracieux auprès du directeur de la caisse d’assurance maladie ayant rendu la décision contestée260. L’usager de l’aide sociale, face à une telle situation, peut donc avoir à s’engager dans deux litiges séparés mais concomitants (l’un ayant trait à son affiliation à la CMU de base, l’autre à la CMU complémentaire), relevant de deux procédures distinctes, devant deux juridictions différentes, l’ensemble le plus souvent sans avocat, puisque l’un des points communs à ces deux contentieux est la dispense de représentation261.

86.  « Les contestations pouvant naître de l’application de mesures facultatives décidées par les départements dans le cadre de leurs compétences en matière d’action sociale » dans le domaine de la santé relèvent, pour leur part, non pas des juridictions spécialisées de l’aide sociale, ni des tribunaux des affaires de la sécurité sociale mais de la compétence des tribunaux administratifs de droit commun262.

87.  De plus, le droit à l’aide sociale en matière de santé entraîne un contentieux annexe263 lié au refus de soins ou de vente de dispositifs médicaux par des professionnels de santé

256 Art. R. 142-17 du Code de la sécurité sociale : « La procédure devant le tribunal des affaires de sécurité

sociale est régie par les dispositions du livre Ier du Code de procédure civile sous réserve des dispositions de la présente sous-section ».

257 Voir infra le chapitre suivant.

258 Cass. civ. 2e, 21 février 2008, n° 06-22185.

259 A l’exception de la procédure prévue pour le RSA en amont de la saisine du tribunal administratif, v. infra § n° 158 à 164.

260 Circulaire DSS/2A/DGAS/1C n° 2002-146 du 12 mars 2002, BOMES n° 2002-14.

261 L’article L. 144-3 du Code de la sécurité sociale dispense en effet les parties de représentation pour l’ensemble des affaires jugées notamment par Tribunal des affaires de la sécurité sociale. L’article R. 431-3 4° du Code de justice administrative exclut de l’obligation de représentation par un avocat devant les juridictions administratives (exposée à l’article R. 431-2 du même code), les litiges en matière d’aide sociale.

262 CE 28 avril 2004, Mme Monclaire, n° 259214, Tab. Rec. Lebon ; Gazette du Palais 2004, somm. p. 3892 ; JCP A 2004 1491 note G. Chavrier ; D. 2005, J. p. 421 note Y. Dagorne-Labbé ; Bull. jur. coll. loc., 2004,

p. 498, concl. C. Devys.

76 libéraux à des bénéficiaires de la CMU complémentaire. Le juge judiciaire de droit commun est alors compétent. En effet, parallèlement aux sanctions disciplinaires émanant de l’ordre des médecins, les professionnels se rendant coupables de telles pratiques sont également soumis aux règles de droit pénal visant à sanctionner le refus de vente264. Ces mesures sont applicables en l’absence de dispositions spécifiques de sanctions265.

88.  Enfin, selon une circulaire émise conjointement par la Direction de la Sécurité Sociale et la Direction Générale des Affaires Sociales266, « les tribunaux judiciaires de droit commun (tribunal d’instance et tribunal de grande instance) sont également compétents pour connaître des contentieux portant sur le champ de la prestation et sur l’application des plafonds prévus pour la prise en charge des frais exposés en sus des tarifs de responsabilité ».267

89.  Le contentieux de l’aide sociale en matière de santé illustre particulièrement bien la complexité de l’ensemble du contentieux de l’aide sociale. L’identification de la juridiction compétente dépend de nombreux facteurs dont notamment l’aptitude du demandeur à s’orienter dans les procédures mises en œuvre par le droit. Les impératifs d’orientation exigés par la loi de la part des services de l’aide sociale peuvent ne pas toucher leur but en ne permettant pas au demandeur de comprendre et de poursuivre son parcours procédural. L’identification de la juridiction compétente n’est d’ailleurs qu’une étape de ce parcours. On constate en effet que la nature juridictionnelle des commissions départementales et centrale d’aide sociale doit aussi donner lieu à analyse.

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