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Le détail de la composition des juridictions de l’aide sociale

Dans le document Le parcours contentieux de l'aide sociale (Page 98-101)

Partie II. L’accès juridictionnel aux droits à l’aide sociale

Section  2.   La  nature  juridictionnelle  des  commissions  d’aide  sociale

B. La composition des commissions départementales et centrale d’aide sociale

2. Le détail de la composition des juridictions de l’aide sociale

106.  Les commissions départementales sont des juridictions administratives spécialisées collégiales présidées par un magistrat relevant de l’ordre judiciaire (le président du tribunal de grande instance ou son délégué)319. Dans leur ancienne composition, trois conseillers généraux (élus au sein du conseil général) et trois fonctionnaires de l’État (désignés par le représentant de l’État dans le département) siégeaient également dans ces juridictions. Un commissaire du gouvernement désigné par le préfet, et le secrétaire de la commission exerçant les fonctions de rapporteur participent aussi à son activité320. Cette composition est directement issue du décret-loi de 1935321 qui, par la réunion de plusieurs commissions compétentes en matière d’aide sociale, a créé une nouvelle juridiction, comme le confirma la Commission centrale après avoir été proclamée elle-même comme telle par le Conseil d’État en 1931. Cette composition n’a été que très peu modifiée depuis, jusqu’à la question prioritaire de constitutionnalité de 2011.

107.  La Commission centrale est présidée par un conseiller d’État, en activité ou honoraire, nommé par le ministre en charge de l’aide sociale sur proposition du vice-président du Conseil d’État. Elle est organisée en six sections, chacune composée à nombre égal par des membres du Conseil d’État, des magistrats de la Cour des comptes ou des juridictions judiciaires. Participent également à l’activité de cette juridiction des personnes particulièrement compétentes en matière d’aide ou d’action sociale et, avant 2012, des

318 J.-M. BELORGEY, P.-A. MOLINA, et Conseil d’État, Section du rapport et des études, L’avenir des

juridictions spécialisées dans le domaine social, op. cit., p. 20 à 28. 319 Art. L. 134-6 du Code de l’action sociale et des familles.

320 Voir l’ancienne rédaction de l’article L. 134-6 du Code de l’action sociale et des familles, avant la modification opérée par la décision n° 2010-110 QPC du Conseil constitutionnel précitée.

321 Art. 7 du décret-loi du 30 octobre 1935 prévoyant l’unification et la simplification des barèmes en vigueur

89 fonctionnaires. Les rapporteurs chargés de l’instruction des dossiers sont nommés par le ministre de l’aide sociale parmi les membres du Conseil d’État et les membres de la Cour des comptes, parmi les personnes particulièrement compétentes en matière d’aide ou d’action sociale, et avant 2012 également, parmi les fonctionnaires des administrations centrales des ministères. Enfin, les commissaires du gouvernement sont nommés par le ministre chargé de l’aide sociale parmi les membres du Conseil d’État, les magistrats de la Cour des comptes et avant 2012, parmi les fonctionnaires du Ministère chargé de l’aide sociale322.

108.  La présence au sein de ces juridictions de fonctionnaires et d’élus a motivé les censures de leur composition prononcées par le Conseil constitutionnel à la suite de sa saisine par deux questions prioritaires de constitutionnalité. Avant ces décisions, les compositions de ces deux juridictions avaient donné lieu à de nombreuses réflexions et précisions de la part des juges et des auteurs. Malgré un encadrement manifestement insuffisant pour garantir leur impartialité, aucune réaction des pouvoirs publics n’avait fait suite à ces critiques répétées. Certains avaient légitimé cette inaction en considérant que la composition des juridictions de l’aide sociale était « cohérente » compte tenu de leur spécificité323. Le Conseil d’État lui-même, saisi à plusieurs reprises de la légalité de la composition de ces juridictions, et de la conformité de ces compositions aux engagements internationaux, notamment à l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, n’avait pas prononcé de condamnation formelle.

109.  En 2002, il eut à statuer le même jour sur deux affaires qui concernaient la composition des juridictions de l’aide sociale. Dans une première affaire324, il s’agissait de déterminer si le juge d’appel devait soulever d’office la conformité des dispositions législatives fixant la composition de la commission départementale d’aide sociale (de l’Allier) aux règles contenues par les normes supérieures et internationales, en l’occurrence celles de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

322 Art. L. 134-2 et L. 134-5 du Code de l’action sociale et des familles, et le décret n° 90-1124 du 17 décembre 1990 relatif à l'organisation et au fonctionnement de la Commission centrale et des commissions

départementales d'aide sociale.

323 A. FRANK, « Réflexions sur les spécificités du contentieux de l’aide sociale », RDSS, 2009, p. 926.

324 CE, Ass., 6 décembre 2002, M. Maciolak, n° 239540, Rec. Lebon, p. 426 ; AJDA, 2003, p. 492, chron. F. Donnat et D. Casas ; RDSS, 2003, p. 92, concl. P. Fombeur (dont les conclusions sur cette affaire ne furent pas retenues par le Conseil d’État) ; RDSS 2003, p. 292, obs. Ph. Ligneau.

90 fondamentales. Le Conseil d’État répondit comme suit : « s’il appartient au juge d’appel de s’assurer […] que la juridiction dont la décision est contestée a siégé dans une composition conforme aux dispositions législatives ou réglementaires qui déterminent cette composition ainsi qu’aux principes qui gouvernent la mise en œuvre de ces dispositions, […] en revanche la conformité de celles-ci aux normes supérieures et en particulier, s’agissant de dispositions législatives, aux traités ou accord internationaux, ne constitue pas une question d’ordre public ». Le Conseil d’État affirmait alors que la conventionnalité des lois et règlements ne constituait pas une question devant obligatoirement être contrôlée par le juge de l’aide sociale s’il n’en était pas saisi expressément par les parties.

110.  Dans la seconde affaire325, la juridiction dont la composition était contestée était la Commission centrale d’aide sociale au motif de la présence de fonctionnaires au sein de sa formation. Le Conseil d’État rappela alors que « la présence de fonctionnaires parmi les membres d’une juridiction ne [peut], par elle-même, être de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l’impartialité de cette juridiction. Toutefois, sauf si des garanties appropriées assurent son indépendance, un fonctionnaire ne pouvait être appelé à siéger dans une juridiction en raison de ses fonctions, alors que celles-ci le faisaient participer à l’activité des services en charge des questions soumises à la juridiction »326. La juridiction de cassation de l’ordre administratif n’excluait alors pas la présence de fonctionnaires dans des formations de jugement ayant à trancher des litiges portant sur l’application de règles de droit public, dans la mesure où ces derniers n’appartenaient pas à l’administration partie au procès.

111.  Dans ces deux affaires, le Conseil d’État semblait respecter les impératifs énoncés par la Cour de Strasbourg à propos de l’impartialité des membres d’une juridiction327. Dans plusieurs décisions, le Cour européenne a rappelé que la nomination de fonctionnaires au sein

325 CE, Ass., 6 décembre 2002, M. Trognon, n° 240028, Rec. Lebon, p. 427; AJDA, 2003, p. 492, chron. F. Donnat et D. Casas ; RFDA 2003, p. 694, concl. P. Fombeur ; RDSS 2003, p. 292, obs. Ph. Ligneau ; JCP A 2003, p. 380, note Jean-Pierre.

326 On retrouve la même position dans l’arrêt rendu le même jour par le Conseil d’État, sect., 6 décembre 2002, ,

Aïn Lhout, n° 221319, n° 221319, Rec. Lebon, p. 430 ; RDSS 2003, p. 163, concl. F. Séners ; JCP 2003, II, 10132, note Boumedienne ; à propos de la présence de fonctionnaires au sein des commissions départementales des travailleurs handicapés statuant sur les contestations des décisions administratives prises par les anciennes COTOREP.

327 Sur la compatibilité de la présence de fonctionnaires au sein d’une juridiction, la décision CEDH, 23 avril 1987, Ettl c/ Autriche précitée, mais aussi CEDH, 22 octobre 1984, Srameck c/ Autriche, précitée, notamment §. 38.

91 d’une juridiction par la collectivité intéressée n’emporte pas l’irrespect des principes d’indépendance et d’impartialité d’un tribunal au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. De plus, se basant sur ce qu’il identifie lui-même comme les « principes généraux applicables à la fonction de juger », le Conseil d’État estimait dans ces deux décisions que les membres d’une juridiction, quelle que soit leur fonction, avaient pour obligation de se prononcer en toute indépendance et en dehors de toute instruction hiérarchique.

Pourtant, le Conseil constitutionnel est venu balayer, par deux décisions rapprochées dans le temps, la composition des deux juridictions spécialisées de l’aide sociale, mettant en théorie un terme définitif à la présence de fonctionnaires et d’élus dans les formations de jugement.

§2. La censure de la composition des juridictions de l’aide

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