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Les enjeux de l’introduction du recours administratif préalable obligatoire

Dans le document Le parcours contentieux de l'aide sociale (Page 133-138)

Partie II. L’accès juridictionnel aux droits à l’aide sociale

Section  1.   Le  droit  au  recours  effectif  en  matière  d’aide  sociale

B. Les recours non juridictionnels

2. Les enjeux de l’introduction du recours administratif préalable obligatoire

158.  Si le contentieux concernant les prestations servies dans le cadre du revenu de solidarité active a été soustrait aux juridictions spécialisées de l’aide sociale pour être confié aux tribunaux administratifs en première instance, le législateur a également mis en œuvre ce procédé original très peu usité dans le domaine qui nous intéresse. Le glissement de l’ancien

426 Sur ce point, v. les développements de D. CHABANOL, La pratique du contentieux administratif, op.cit., pp. 135 et s., § n° 264 à 276. L’auteur précise que de simples observations ou demandes d’éclaircissements ne constituent pas des conclusions pouvant emporter l’identification d’un recours gracieux.

124 dispositif RMI à celui du RSA, en opérant un transfert du contentieux aux juridictions administratives de droit commun a entrainé une nouvelle charge pour ces dernières, déjà submergées. Sans augmentation des moyens des tribunaux administratifs, la mise en œuvre d’un recours administratif préalable obligatoire semblait non seulement logique mais aussi souhaitable dans une volonté de sauvegarde de conditions décentes aux jugements, tant pour les requérants que pour les juges eux-mêmes. Ainsi, ce transfert contentieux s’est accompagné de l’introduction d’un nouvel outil, jusque-là inexistant dans la procédure non juridictionnelle de l’aide sociale : le RAPO. Une fois encore, cette « innovation » n’a donné lieu à aucune homogénéisation par la suite. Le RSA reste une prestation à part dans le champ de l’aide sociale, comme le confirme son traitement non juridictionnel et juridictionnel.

159.  Dans le cas particulier du contentieux RSA, l’exigence d’un RAPO pourrait nous amener à identifier cette étape procédurale du parcours comme « préjuridictonnelle ». Pour autant l’objectif de ce recours obligatoire n’est pas la saisine du juge, mais bien l’évitement de cette saisine427. S’il s’agit d’un préalable obligatoire, il n’implique pas une saisine systématique du juge administratif. Pour cette raison, nous continuerons à nous situer à cette étape dans la procédure non juridictionnelle de l’aide sociale.

160.  L’attribution de la prestation est confiée au département428 mais l’instruction des dossiers peut être réalisée par plusieurs acteurs, et notamment par les caisses d’allocations familiales (CAF). Ces dernières peuvent aussi se voir confier par voie de délégation429 d’autres compétences en lien avec le volet « orientation et accompagnement à l’insertion ». Or, Les CAF sont traditionnellement chargées de servir des prestations de sécurité sociale. Dans le dispositif non juridictionnel relatif à l’ouverture de la contestation d’une décision prise par une CAF, il existe une obligation générale de saisir l’organisme dans le cadre d’un recours amiable avant tout recours au juge430.

161.  L’article L. 262-47 du Code de l’action sociale et des familles dispose que « toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l'objet,

427 Conseil d’État, Les recours administratifs préalables obligatoires, op. cit., p. 11.

428 Art. L. 262-13 à L. 262-23 du Code de l’action sociale et des familles.

429 Art. L. 262-23 al. 2 du même code.

125 préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, d'un recours administratif auprès du président du conseil général. Ce recours est, dans les conditions et limites prévues par la convention mentionnée à l'article L. 262-25, soumis pour avis à la commission de recours amiable qui connaît des réclamations relevant de l'article L. 142-1 du Code de la sécurité sociale. Les modalités d'examen du recours sont définies par décret en Conseil d’État. ». Ce dispositif fait ressortir le rapprochement entre la logique administrative de l’aide sociale et la logique de sécurité sociale. En effet, dans le cadre du RAPO tel qu’il est prévu dans le dispositif RSA, le demandeur s’adresse au président du conseil général, et c’est lui qui sera auteur de la décision. Mais cette dernière sera prise à la suite de l’avis de la commission de recours amiable de la CAF, habituellement chargée dans la phase non juridictionnelle en droit de la sécurité sociale de prendre une décision préalablement à la saisine d’un tribunal des affaires de la sécurité sociale431. Cette commission, lorsqu’elle est saisie dans le cadre d’un litige lié à la sécurité sociale prend une décision pour avis à l’attention du conseil d’administration de l’organisme de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole432 (selon l’objet du litige) au sein duquel elle est constituée. De la même manière, dans la phase non juridictionnelle de contestation d’une décision liée au dispositif du RSA, la commission de recours amiable est consultée pour avis, dans le but d’éclairer la décision du président du conseil général. Afin d’adapter la composition de cette commission à la nature du différend examiné, le président du conseil général peut introduire dans sa composition deux représentants siégeant avec voix délibérative433. La mobilisation de la commission de recours amiable, institution centrale du système de sécurité sociale, dans le cadre du processus contentieux du RSA témoigne des tentations du législateur de se saisir de nouveaux instruments en matière d’aide sociale. Les données disponibles sont encore insuffisantes pour mesurer l’impact de cet avis sur la décision finale, que ce soit quant à l’influence des réflexes liés aux pratiques de sécurité sociale de cette commission ou quant à celle qu’elle exerce sur la décision du président du conseil général434. De plus dans un certain nombre de

431 Selon l’article R. 262-89 du Code de l’action sociale et des familles, la consultation de la commission de recours amiable incombe au président du conseil général.

432 Art. R. 142-1 du Code de la sécurité sociale.

433 Art. R. 262-87 du Code de l’action sociale et des familles.

434 Les témoignages recueillis auprès de différentes collectivités montrent des pratiques très variables et peu satisfaisantes, notamment quant à l’absence de notifications des décisions par courrier recommandé avec accusé de réception, justifiées par des raisons budgétaires. De même les conventions de délégations aux CAF variant

126 départements, le choix a été fait de ne pas confier le traitement du RAPO à cette formation, comme l’article R. 262-89 en pose la possibilité.

162.  L’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire doit également être l’objet d’une information à destination de l’usager de l’aide sociale concernant les voies et délais de recours qui lui sont ouvertes à la suite d’une décision défavorable. En 2006, Mme M. Merino dénonçait l’absence de législation imposant une obligation d’information sur les délais et voies de recours préalable obligatoire435. En effet, la loi du 12 avril 2000 exigeait une telle mention dans la notification d’une décision administrative uniquement en ce qui concerne l’éventuel engagement d’une procédure contentieuse devant une juridiction. Il a fallu attendre la loi du 17 mai 2011436 pour que soit créé à l’article 19-2 de la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations une telle obligation à l’égard des recours administratifs préalables obligatoires. Ainsi, « lorsque le recours contentieux à l'encontre d'une décision administrative est subordonné à l'exercice préalable d'un recours administratif, cette décision est notifiée avec l'indication de cette obligation ainsi que des voies et délais selon lesquels ce recours peut être exercé. Il est également précisé que l'autorité administrative statuera sur le fondement de la situation de fait et de droit à la date de sa décision, sauf mention contraire dans une loi ou un règlement ». Cette loi a également opéré une modification de la loi de 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, puisqu’elle a ajouté à la liste des décisions administratives devant être motivées437, les décisions qui « rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d’une disposition législative ou réglementaire »438.

d’un département à l’autre, il n’existe parfois pas de commission de recours amiable au sein de l’administration du département alors qu’elle traite les RAPO concernant les RSA-activités (les RAPO concernant le RSA-socle étant traités par la CRA de la CAF).

435 M. MERINO, L’obligation d’informer dans l’action administrative, op. cit., §73, p. 64.

436 Art. 14 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, JORF n° 0115 du 18 mai 2011, p. 8537.

437 dressée à l’article 1er de cette loi.

438 Al. 10 de l’art. 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à

l’amélioration des relations entre l’administration et le public, précitée, créé par la loi n° 2011-525 du 17 mai

127 163.  S’agissant de l’indication des voies et délais de recours à l’occasion de l’engagement d’un RAPO, la position du Conseil d’État est contestable. M. A. Ciaudo439 critique en effet le fait que l’absence d’engagement préalable d’un recours administratif obligatoire emporte l’irrecevabilité de la saisine du juge alors même que l’information concernant l’obligation de ce préalable n’a pas été délivrée. Le Conseil d’État « offre » la possibilité à la suite de l’irrecevabilité de la requête d’un demandeur contre une décision administrative n’ayant pas donné lieu à l’exercice d’un RAPO, « d’exercer [ce recours] car l’absence de mention de son existence dans la décision initiale a empêché le déclenchement du délai de recours contentieux »440. Il est ensuite possible de le saisir de nouveau régulièrement441. Nous rejoignons la critique de l’auteur : la position du Conseil d’État revient en fait « à dispenser de fait l’administration de l’obligation d’information sur l’existence du recours préalable et à porter atteinte au droit d’accès au juge »442. Ainsi, peut être préférée la suggestion de l’auteur d’une dispense d’exercer un RAPO en l’absence d’information sur cette obligation dans la décision initiale443.

164.  L’exercice d’un RAPO implique également que la décision qui naît de son enclenchement se substitue à celle qui avait initialement provoqué la volonté de contestation chez le demandeur ou le bénéficiaire du RSA. Ainsi, l’exercice d’un RAPO ne suspend pas les délais de recours contentieux, mais selon la règle générale de la procédure administrative, les proroge444. En fait, une nouvelle décision naît, et de nouveaux délais de prescription de deux mois apparaissent, attachés à la date de la nouvelle décision comme point de départ445.

439 A. CIAUDO, « Le recours administratif préalable obligatoire, un obstacle à l’accès au juge  ? », op. cit. p. 835.

440 CE, 1er avril 1992, Abit, n° 88068, Rec. Lebon, p. 14, JCP 1992, IV, p. 176, obs. M.-C. Rouault ; RDP 1993, p. 826 ; RDSS 1992, p. 648, note J.-M. de Fouges ; CE, 24 janvier 1996, Blancard, n° 111516, DA 1996, n° 2, p. 24, obs. R. Schwartz ; CE, 26 février 2003, Daveze, n° 237297, Tab. Rec. Lebon, p. 644 ; D. 2004, p. 1707, obs. D. Chelle et X. Pretot, note J.-M. Labouze, somm. p. 3108.

441 CE, 19 mai 2004, Jouve, n° 248175, Rec. Lebon p. 234 ; Gazette du Palais, 15 février 2005 n° 46, p 9, note Ph. Graveleau.

442 A. CIAUDO, « Le recours administratif préalable obligatoire, un obstacle à l’accès au juge  ? », op. cit. p. 836. Nous tenons à souligner que l'auteur recourt au conditionnel dans cette phrase à l'origine, et nous choisissons d'utiliser le présent de l'indicatif.

443 Ibid, p. 836.

444 D. CHABANOL, La pratique du contentieux administratif, 10ème éd., Lexis Nexis 2013, p. 135, § n° 260.

445 A. CIAUDO, « Le recours administratif préalable obligatoire : un obstacle à l’accès au juge ? » op. cit., p. 833.

128 Avant la saisine du juge, et dans le but de la limiter, le droit prévoit différents dispositifs non juridictionnels, comme le recours gracieux ou le recours administratif préalable obligatoire. Ces outils, bien que véritables filtres à l’accès au juge, n’évitent cependant pas l’ensemble des saisines. Le législateur doit donc mettre en œuvre une procédure d’accès à un « bon juge », au sens d’un juge disposant des moyens de remplir son office dans des conditions répondant aux standards procéduraux exigés par la France et l’Union Européenne.

§2. La phase juridictionnelle

165.  La description présentée ici est celle du dispositif procédural, et non plus institutionnel446 organisant l’introduction du recours (A) et le déroulement du procès (B) devant les juridictions spécialisées de l’aide sociale que sont les commissions départementales en première instance, la Commission centrale en appel et le Conseil d’État en cassation. Des comparaisons pourront être utilement opérées avec le contentieux de certaines prestations d’aide sociale qui relève d’autres juridictions notamment celui du du revenu de solidarité active.

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