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Le rapport des Chinois à l’emprunt

2. C ONTEXTUALISATION NATIONALE

2.2. La microfinance en Chine

2.2.3 Le rapport des Chinois à l’emprunt

Amandine Monteil (2010) indique que les bénéficiaires de microcrédits ciblés par l’intense communication gouvernementale sur le thème de la microfinance se comptent sur les doigts d’une main. En outre, Geoffrey Ingham (2000) interroge la capacité de la microfinance et des autres formes d’organisation de finance

alternative à remplir leurs objectifs en termes de lutte contre l’exclusion et les inégalités tout en émettant l’hypothèse d’un terreau fertile à l’effet Mathieu (Merton, 1968), mécanisme par lequel les plus favorisés tendent à accroître leur avantage sur les autres. Beck Hsu (2014) soutient qu’en Chine, c’est la seconde hypothèse qui prévaut. Les élites au sein des bureaucraties gouvernementales ne feraient qu’accroître les inefficacités en subvertissant le secteur de la microfinance (Druschel, 2002).

En Chine, 250 millions d'individus, soit plus que le nombre total de contractants de microcrédit dans le monde, n'auraient pas accès au crédit formel (Geraci et al., 2010). La demande se répartirait en trois groupes : 200 millions de foyers ruraux, 8 millions de chômeurs et 42 millions de petites, moyennes et micro-entreprises (Du et al., 2008). Le rapport annuel de la China Foundation for Poverty

Alleviation révèle que plus de 80% de leurs bénéficiaires n'avaient pas eu, au

cours des trois années précédant l’obtention de leur microcrédit auprès de cette organisation, la possibilité de faire un emprunt dans le cadre de systèmes financiers formels (CFPA, 2009).

En 2005, 89% des foyers ruraux chinois exclus du système bancaire classique avaient exprimé leur intérêt pour l'obtention d'un microcrédit, justifiant de besoins considérables en termes de liquidité et de trésorerie (He Guangwen, 2008). Mais jusqu’à présent les organismes de microcrédit en Chine répondent à une organisation top-down qui ne prend pas en compte la demande locale (Druschel, 2002). Par conséquent, à l'heure actuelle seuls 33% de ces foyers ruraux auraient obtenu un microcrédit (He Guangwen, 2008). Alors que dans les discours officiels, l’offre de crédit en zone rurale constitue une priorité croissante pour le gouvernement chinois (Economist Intelligence Unit, 2012), pas loin de 160 millions de foyers ruraux ne bénéficieraient pas encore des services du secteur de la microfinance (He Guangwen, 2008).

Toutefois, les observateurs font face à une problématique inhérente au recensement exhaustif des contractants de microcrédit qui serait, en partie, due au désaccord que suscite la définition de la microfinance en Chine. Selon une estimation, il y aurait 3,5 millions de contractants de microcrédit en Chine (Geraci et al., 2010). Mais les observateurs jugent ce chiffre qui comprend les 2,5 millions de clients de la Banque postale (Zhongguo Youzheng Chuxu Yinhang) surestimé. Alors que le montant médian d’un microcrédit en Asie est de 253 dollars US

(Guérin, 2015), les clients de la Banque postale25 ont accès à des crédits de l'ordre de 50 000 yuans, soit 8 000 dollars US26. Seuls 10% à 15% d’entre eux bénéficient de crédits inférieurs à 20 000 yuans (3 200 dollars US). Dans le même temps, dans la province du Zhejiang, plus de 50% des emprunteurs souscrivent des prêts de plus de 1 million de yuans (160 000 dollars US). Les observateurs en concluent donc que seuls 500 000 des 3,5 millions estimés seraient véritablement des contractants de microcrédits, faisant néanmoins de la Chine un marché aux débouchés considérables pour les professionnels de la microfinance (EIU Country Analysis, 2007).

En ville, les travailleurs de l’informel (soit 130 millions d’urbains et 150 millions de surnuméraires ruraux au moment de la recherche citée) se voient dans l’incapacité d’épargner. Ils doivent, comme ailleurs, faire face aux coups durs de la vie en s’endettant. Amandine Monteil (2010) indique que dans six quartiers des villes de Chengdu et Leshan, 43 % des enquêtés se déclarent incapables d’épargner ; les trois quarts d’entre eux déclarent avoir déjà emprunté : 49 % pour couvrir des frais médicaux (ce taux est plus élevé parmi les migrants : 52 %) ; 39 % pour payer la scolarité de leurs enfants ; 23 % couvrir des besoins quotidiens ; 27 % pour les besoins de leur commerce. 7 % précisent l’avoir fait souvent. Pour ce faire, ils font appel à la famille (54 %), aux amis (44 %), aux voisins (19 %) et pour seulement 11 % d’entre eux aux institutions financières. L’Inde se situe dans une situation analogue (Servet et Saiag, 2013).

La société chinoise n’est fondée ni sur l’individu, ni sur le groupe mais sur les relations entre les individus (Liang Shuming, 1963). De cette manière, l’obligation de donner et de recevoir entretient et élargit les guanxi27 qui déterminent la place d’un individu au sein de la société et se révèlent être à la fois un jeu de pouvoir et un style de vie. Aussi, comme l'analyse de l'échange de dons en Chine nous l'enseigne, le prêt d'une somme d'argent n'est pas dépourvu d'intérêts, même s’ils sont, la plupart du temps, non monétaires. En ce sens, les intérêts prennent la forme d'un contre-don. Contrairement aux sociétés !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

25 La Banque postale chinoise appartient entière à l’État et est directement placée sous le contrôle

du trésor. 37 000 banques postales sont implantées à la campagne. 11% des crédits qu’elle distribue sont accordés aux entreprises d’État, la reste étant destiné à financer les activités d’auto- entrepreneurs (Brillant, 2014).

26 Les taux de change ayant considérablement varié entre le début et la fin de l’enquête, tous les

montants et équivalences mentionnés dans cette thèse sont calculés sur la base du taux moyen relevé au cours des enquêtes de terrain, soit 0,16 dollars US pour 1 yuan.

27 À cette étape de la thèse, il est préférable, dans un souci d'objectivité, de conserver le terme

chinois guanxi à ses traductions françaises « réseau de relations » ou encore « tissu social ». Le chapitre 7 traite en détail le poids des guanxi dans le rapport au microcrédit en Chine.

occidentales, les normes de réciprocité en Chine sont formées par un réseau de relations sociales structuré hiérarchiquement et sont en permanence négociées par le travail de la face. Alors qu’il y a deux sortes de face au sein de la société chinoise, c’est la recherche de face sociale qui pousse les individus à participer activement au jeu d’échange de dons tandis que la contrainte de la face morale régule l’attitude des participants (Munro, 1985 ; Yan Yunxiang, 1996).

2.3. Les Chinoises : une population aux caractéristiques

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