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Pertinence d’une approche de terrain dans le contexte chinois

1. U NE APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE

1.3. Pertinence d’une approche de terrain dans le contexte chinois

1.3.1 Des données statistiques limitées

Nombre de travaux sur la Chine soulignent la difficulté voire l’impossibilité d’y obtenir des données économiques chiffrées fiables. Même si l’orchestration de son développement économique nécessite la production d’une quantité colossale de

données statistiques, leur analyse et leur interprétation requièrent une grande vigilance (Holz, 2013). C’est d’ailleurs de cette abondance que se nourrit l’important marché noir de la publication scientifique en Chine36. Par conséquent, la fiabilité des données statistiques qui y sont produites demeure questionnable (Zhang et Zhu, 2013). Certes comme partout, leur emploi nécessite de poser à minima les questions suivantes : par qui ces données sont collectées ? À quoi et/ou qui sont-elle destinées ? Qui a supervisé leur production Les enquêtés ont-ils véritablement compris les questions qui leur ont été posées ? Ont-ils répondu honnêtement aux questions ? Le sujet traité est-il sensible ? etc. (Diamant, 2014). Les données quantitatives sur l’emploi en fonction de variables comme le sexe, l’âge, le type de contrat, le temps de travail, n’existent pas toujours (Angeloff, 2012). En outre, toutes les statistiques nationales ne prennent pas en compte la variable du sexe (Angeloff, 2012 ; Sargeson, 2012). Aussi, tant les échelles continentales que la taille de la population chinoise rendent difficile la collecte de données quantitatives dans un contexte de développement socioéconomique rapide qui exige une constante adaptation de l’appareil statistique (Angeloff, 2012).

La difficulté à exploiter certaines données sur la microfinance en Chine, du fait du manque de rigueur dans leur collecte, a déjà été souligné (Pairault, 2005 et 2009b). Aucune donnée statistique sur les organismes de microcrédit en Chine et sur la part des femmes parmi les contractants de microcrédit n’existe, y compris au sien de l’Association chinoise de microfinance (Zhongguo xiao’e xindai

lianmeng)37. Une employée de l’Association explique ce vide statistique par l’absence d’une autorité spécifiquement consacrée au secteur de la microfinance et par la confusion qui règne au sein de ce secteur, points tous deux traités en détail ci-après dans le chapitre 3.

« Comme vous le savez, en Chine, il n’y a pas d’autorité ou d’organisation qui détient l’ensemble des informations ou des données sur la microfinance en Chine parce que les définitions et les méthodes de mesure employées par le gouvernement diffèrent des normes internationales, et que les institutions sont soumises à des autorités différentes. Ce que vous demandez nécessite un travail colossal. Il

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

36 Des agences spécialisées proposent, contre paiement, d’ajouter votre nom à la liste des auteurs

d’articles scientifiques ou de trouver un étudiant ou un chercheur pour rédiger un article à votre place (Hvistendahl, 2013).

faudrait contacter la Banque populaire de Chine, la Commission de régulation bancaire de Chine et encore d’autres organisations pour leur demander un entretien car ils ne disposent pas de réponses précises à vos questions. En fait il s’agirait là d’une véritable recherche à part entière. Cela va au-delà de nos compétences et j’en suis désolée » (extrait du courriel reçu de mon informatrice de l’Association chinoise de microfinance).

D’une manière générale, l’obtention de données précises sur les organisations de microfinance dans le monde demeure ardue (Guérin, 2014). En Chine, certaines données sur la microfinance sont disponibles dans la base de données du Mix- market38. Toutefois, les données compilées par le Mix (Microfinance Information

eXchange), en réponse à une demande émanant des agences de rating et des bailleurs de fonds, repose sur une base déclarative. Ainsi, outre le fait que nombre de variables y sont mal renseignées, la représentativité des données chinoises n’est pas assurée.

1.3.2 Des recherches locales contrôlées

Un large part des travaux chinois sur le microcrédit en Chine, réalisé à partir d’enquêtes de terrain sur la base d’observations empiriques fines, est l’œuvre de chercheurs de l’Académie chinoise des sciences sociales dont le plus connu d’entre eux est Du Xiaoshan. Si l’Académie chinoise des sciences sociales est un des instituts de recherche les plus prestigieux en Chine, c’est notamment parce qu’elle rassemble un panel d’experts qui sont aussi des conseillers politiques du gouvernement. Elle est à ce titre supervisée de près par des inspecteurs disciplinaires du Parti39. Les travaux qui y sont menés sur le microcrédit se voient dès lors teintés de la rhétorique gouvernementale. La porosité entre la sphère politique et la sphère académique, aujourd’hui (Selim, 2013) comme hier (Zhang Xiaojun, 2012), dote cette dernière d’une capacité d’influence sur les politiques publiques tout en lui imposant des balises en retour. Dans une interview donnée en 2013, Gao Quanxi, professeur de droit à l’Université Beihang à Pékin, a déclaré qu’au sein des université chinoises, la liberté académique est entravée. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

38 Le Mix-market valide puis centralise, sur une plateforme en ligne, des indicateurs financiers et

sociaux d’organisations de microfinance enclines à communiquer sur leurs activités :

http://mixmarket.org/fr

39 Global Times, Inspector questions CASS ideology: http://www.globaltimes.cn/content/865837.shtml

Publier sur des sujets que les autorités désapprouvent est devenu, dit-il, de plus en plus difficile40.

Après avoir brillamment soutenu sa thèse sur les programmes de développement axés sur les femmes en Chine rurale (2011) à l’Université nationale d’Australie, Yang Lichao, que j’ai rencontrée à Pékin, a souhaité revenir dans son pays pour y occuper un poste d’enseignante-chercheuse. Pour ce faire, elle a dû renoncer à poursuivre les recherches qui l’avaient occupées tout au long de son doctorat. Elle soutient, à ce titre, que très peu de recherches de qualité sur les programmes de développement pour l’autonomisation des femmes en Chine sont réalisées par les chercheurs chinois en raison de la prégnance d’un discours officiel.

En étudiant le sujet microcrédit et femmes en Chine d’une position académique étrangère au pays, cette thèse propose de combler les savoirs concernant le contexte social, historique, symbolique, politique et genre des pratiques économiques conditionnant l’accès des Chinoises au microcrédit.

1.3.3 Les relations interpersonnelles aux fondements de la société chinoise

Comme souligné dans le chapitre précédent, la société chinoise n’est fondée ni sur l’individu, ni sur le groupe, mais sur la relation entre les individus, le réseau de relations ou guanxi déterminant la place d’un individu au sein de la société (Yan Yunxiang, 1996). Les relations entre individus répondent à un schéma binaire, principe des relations humaines fondamentales, dûment appliqué aux rapports entre supérieur et subalterne, comme entre époux et épouse ou entre vie publique et vie privée (Fei Xiaotong, 1992). Par conséquent, dans le cadre de cette thèse qui appréhende les pratiques économiques à travers leur dimension imbriquée, l’intérêt porté aux relations entre les individus se révèle particulièrement approprié dans le contexte chinois.

Une attention particulière est accordée à l’influence du réseau de relations sur le comportement des individus, ces derniers n’étant pas isolés du reste de la société. La productivité ne dépend pas de l’individu « atomisé » mais repose avant tout sur son réseau de relations, qu’il s’agisse de liens forts ou faibles, les derniers ayant une incidence économique plus significative que les premiers. Le « seuil de comportement », c’est-à-dire le rapport coût/bénéfice de l’action des individus étant propre à chacun ou autrement dit à la structure sociale, à la nature des liens !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

40 Sinosphere, A Lonely Passion: China’s Followers of Friedrich A. Hayek, 30 octobre 2013 : http://sinosphere.blogs.nytimes.com/2013/10/30/a-lonely-passion-chinas-followers-of-friedrich-a- hayek/?_r=0 (consulté le 4 novembre 2013).

ou à la « dispersion spatio-temporelle de l’action sociale » dans laquelle ils s’inscrivent, cette approche permet d’analyser la manière dont chacun agit sur son réseau de relations pour parvenir à ses fins (Granovetter, 2000).

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