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Le microcrédit : d’une alternative à la finance informelle à une démarche différenciée

3. L E DÉVELOPPEMENT DES ZONES RURALES : UNE MISSION GLOBALEMENT RECONNUE

3.3. Le microcrédit : d’une alternative à la finance informelle à une démarche différenciée

3.3.1 La voie justicière de la lutte contre l’usure

La finance informelle, ou finance populaire, renvoie à des institutions, des activités et des marchés qui ne sont pas définis dans les textes relatifs aux sociétés de capitaux et aux banques (Jiang et Ding, 2005). Même si les recherches sur la finance informelle en Chine sont récentes, elles conviennent généralement que ce qui la caractérise est l’absence du rôle régulateur joué par les autorités bancaires centrales dans le secteur financier formel (Yi et Guo, 2003 ; Jiang et Ding, 2005). La finance informelle consiste en des activités financières non bancaires, c’est-à-dire tant des prêts interpersonnels que des prêts accordés par des officines privées de crédit (qianzhuang), des maisons de prêts sur gage (danpu) ou tout autre type d’associations financières83 (Li et Hsu, 2009). La Chine aurait hérité de l’une des plus anciennes traditions de finance informelle du monde (Pairault, 1990). L’apparition des associations rotatives d’épargne et de prêt, appelées le plus souvent tontines en Chine, et présentes dans de nombreux pays (Lelart, 2005), remonterait au tout début de notre ère dans le cadre des activités économiques de monastères bouddhiques (Pairault, 1990).

La finance informelle n’est pas nécessairement synonyme de finance illégale ou sous- terraine (Li Jianjun, 2009), même si le système bancaire parallèle (shadow banking) l’inclut. Selon l’équipe dirigeante de Vtb-ch, ce qui est reconnu par le gouvernement central est légal, ce qui est interdit par le gouvernement central est illégal et ce qui est informel est ce qui n’est pas reconnu par le gouvernement central mais permis par le gouvernement local. La finance informelle apparaît ainsi difficilement définissable en raison des nombreuses apparences qu’elle revêt. Prétendre dresser un inventaire exhaustif des pratiques de finance informelle à l’échelle mondiale, voire aux échelles nationales est un projet trop ambitieux en raison de la multiplicité des pratiques (Jiang et Ding, 2005 ; Lelart, 2005 ; Servet, 2006). En Chine, toutefois, la Commission de réglementation bancaire distingue trois grandes entités : les institutions financières non bancaires (sociétés financières, trusts, sociétés de valeurs mobilières), les institutions non financières (société de private equity, de capital risque, coutiers en assurances, organismes de garantie, petits établissements de crédit, prêteurs sur gage) et les autres

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83 Les officines privées de crédit furent les premières institutions financières sous les Dynasties Ming et

Qing (Gipouloux, 2009 ; Yang Maolin, 2013). Historiquement détenues par les réseaux marchands, les maisons de prêt sur gage remontent à la Dynastie Song. Pour une étude des officines privées de crédit et des maisons de prêts sur gage, voir Pairault (2003 et 2004).

(réseaux de crédit informels, activité de personne à personne) (Li et Hsu, 2012 ; Masounave, 2012).

La publication en 1998 de « l’Ordonnance concernant l’éradication des transactions et institutions financières illégales » (Feifa jinrong jigou he feifa jinrong yewu huodong

qudi banfa), précise que les preuves d’une absorption de dépôts individuels avec un

levier de taux d’intérêt, qui constituent de ce fait une force centrifuge défavorable à la concentration voulue des dépôts (Lin Yue, 2004), suffisent à prouver qu’une activité populaire financière est un crime financier. Même si l’attitude des autorités locales à l’égard de la finance informelle varie dans le temps et dans l’espace, ces pratiques sont pour la plupart vigoureusement combattues par l’État, qui, d’un point de vue idéologique, prétend vouloir conserver la maîtrise de l’intermédiation financière (Tsai Kellee, 2004 ; Pairault, 2005). Sachant que de manière générale, le secteur informel repose sur le rejet du contrôle étatique (Harris-White, 2003), en Chine, depuis la période collectiviste, le gouvernement juge indispensable de combattre les prêts interpersonnels qu’il assimile à l’usure. Parce que, d’une part, les pratiques usuraires iraient à l’encontre d’une gestion saine des comptes de la nation ; d’autre part, qualifiées de formes financières primitives par le gouvernement, elles seraient incapables de répondre aux besoins de développement de l’économie rurale tout en constituant une entrave au développement de l’économie marchande (Sun Xiaoshan, 1986).

Dans ce contexte, les usuriers sont susceptibles d’inspirer de la défiance. Lorsque les responsables-clientèle font du porte-à-porte afin de promouvoir leur offre de microcrédit, il n’est pas rare que leurs interlocuteurs se montrent extrêmement méfiants. Ces derniers, confient-ils, craignent que les responsables-clientèle ne soient des usuriers. Dans la Chine impériale, en acquérant des droits de superficie, les usuriers devenaient propriétaires terriens. Ils louaient ensuite ces droits comme intérêts sur les prêts qu'ils octroyaient. Mais les masses populaires, accablées par les abus divers qu'elles subissaient, percevaient ces propriétaires terriens comme des exacteurs contre lesquels, entre autres, elles s’insurgeaient (Tanaka, 1984).

À l’instar des objectifs d’éradication de la finance informelle poursuivis par les acteurs de la microfinance aux quatre coins de la planète et par l’État-Parti chinois en particulier, l’un des objectifs de la microfinance en Chine est de substituer à ces pratiques incontrôlables des intermédiaires officiels (Tsai Kellee, 2002). En effet, dans sa brochure, Vtb-se présente son offre de microcrédit comme une alternative à l’emprunt interpersonnel. M. Jiang, lui, est convaincu que la microfinance peut se substituer à la finance informelle. Il explique que la région comptait de nombreux

usuriers qui pratiquaient des taux d’intérêt prohibitifs avant l’ouverture de Mcc-se. Mais le succès de Mcc-se a entraîné l’ouverture en chaîne de nombreuses autres compagnies de microcrédit, le secteur de la microfinance étant caractérisé par des comportements moutonniers (Sinclair, 2012). Par conséquent, d’une part les coopératives rurales de crédit et les autres banques ont été contraintes de repenser leur offre de crédit pour rester compétitives ; comme souligné plus haut, dans certains contextes, le principe de concurrence induit une baisse des taux d’intérêt. D’autre part, les usuriers se sont vu contraints de réduire leur taux d’intérêt et de se montrer plus flexibles envers leur clientèle. Dans certains contextes, le microcrédit est en effet susceptible d’induire une diminution des taux pratiqués par les prêteurs informels (Ovesen et Trankell, 2014). L’activité des usuriers étant devenue beaucoup moins rentable, M. Jiang soutient que leur nombre a considérablement diminué dans la région.

3.3.2 Deux types de services financiers

Toutefois, une large part des promoteurs estime que les organismes de microcrédit ne peuvent pas remplacer les prêteurs informels en raison de la différence de leur offre. Selon eux, les premiers se distinguent des seconds par la demande à laquelle ils répondent. M. Hou explique que les taux d’intérêt des usuriers étant très élevés, leurs crédits s’adressent essentiellement à des individus dont le niveau de vie est plus élevé que celui de la clientèle des organismes de microcrédit et répondent par conséquent à des besoins différents.

« Les taux d’intérêts des usuriers sont très élevés et les clients de ces usuriers sont des docteurs, des avocats, des professeurs et des fonctionnaires. Ils ne prêtent de l’argent qu’à ces gens là, c’est-à-dire ceux qui ont un très bon travail. […] Si vous obtenez un prêt de 10 000 yuans auprès d’un usurier vous devez payer 1 000 yuans par mois. […] Peu de gens profitent de leurs prêts très longtemps. En général ils remboursent le prêt en dix jours ou quinze jours. Dans la plupart des cas, les usuriers font des crédits à ceux qui parient de l’argent. Ils vont aussi prêter de l’argent à des secteurs très profitables, comme l’immobilier. Comme les hommes d’affaires qui travaillent dans l’immobilier demandent des gros prêts ils vont pouvoir négocier les taux d’intérêt. […] Je ne pense pas que les usuriers vont complètement disparaître parce que c’est plus pratique et plus flexible et ils ont leur propre clientèle. Et tant qu’il y a de la demande il y aura un marché » (extrait de l’entretien avec M. Hou, responsable-clientèle chez Mcc-se).

Mme Shao et Mme Xing jugent que les taux pratiqués par les prêteurs informels sont excessifs. Elles distinguent les usuriers des organismes de microcrédit à partir de leur clientèle. Elles déclarent que les clients des prêteurs informels ne peuvent pas prétendre aux microcrédits proposés par Vtb-ch. Selon elles, ceux étant non éligibles au microcrédit constituent le cœur de cible des usuriers, parce qu’il s’agit, affirment-elles, de porteurs de projet peu fiables.

« Il est vrai que nous avons un seuil d’entrée relativement bas, mais nous ne pouvons pas prêter au premier venu, nous avons des critères. À l'heure actuelle, nous refusons autant de personnes que nous en acceptons. Nous pensons que certains clients n'ont pas un dossier assez solide. Leur affaire ne marche pas très bien, et nous refusons de leur prêter de l'argent. Mais ils se sentent capables de rembourser. C'est le cœur de cible du prêt informel. Nous sommes une institution financière légale. Avec les prêts informels, les taux sont trop élevés, la plupart des professions ne peuvent pas se permettre de payer autant, ils seraient perdants. On ne peut raisonnablement pas emprunter dans ces conditions » (extrait de l’entretien avec Mme Shao et Mme Xing, responsables- clientèle chez Vtb-ch).

Mme Shao et Mme Xing insistent, en outre, sur le fait que l’organisme pour lequel elles travaillent est une institution légale contrairement à celle de la finance informelle. Ainsi, comparer les organismes de microcrédit étudiés aux prêteurs informels est parfois perçu certains promoteurs comme une humiliation. M. Jiang précise qu’à son ouverture, Mcc- se s’est fait connaître par la presse, et non via de simples publicités qui sont la voie empruntée par les prêteurs informels. Pour M. Jiang, il serait honteux que les organismes de microcrédit se fassent connaître de cette manière. M. Liao soutient que la finance informelle est un repère de voyous et de délinquants. C’est pourquoi pour M. Pan, il est inenvisageable de penser que l’organisme pour lequel il travaille puisse être en concurrence avec les usuriers.

« On ne peut pas être en concurrence parce que les usuriers sont illégaux. D’abord ils ont une situation familiale compliquée puis ils adorent parier de l’argent » (extrait de l’entretien avec M. Pan, responsable-clientèle chez Mcc- se).

3.3.3 Le rôle nécessaire de la finance informelle

Pourtant, Mme Wan explique que nombre de ses clients font une demande de microcrédit grâce à leur expérience de la finance informelle.

« De manière générale, si la personne connaît déjà le microcrédit ou le prêt informel, elle a plus de chance d’obtenir le prêt » (extrait de l’entretien avec Mme Wan, responsable-clientèle chez Mcc-ch).

Certes, le secteur informel peut constituer un tremplin vers le secteur formel (Pairault, 2009). Toutefois, loin de combattre la finance informelle, la microfinance peut aussi l’alimenter, en Chine comme ailleurs (Sinha et Matin, 1998 ; Tsai Kellee, 2002 ; Guérin, 2011a ; Karim, 2011).

La finance informelle est la réponse à une demande importante de financement émanant des petites et moyennes entreprises non satisfaite par un système bancaire contraignant (Li et Hsu, 2009). Elle a refait surface dans la Chine des réformes et le succès économique des trente dernières années lui doit beaucoup. Les trois quart du financement du petit et micro-entreprenariat des vingt premières années des réformes proviendraient de la finance informelle (Tsai Kellee, 2002). Aujourd’hui, selon l’économiste Lin Yifu, 5% à peine des entreprises chinoises seraient financées par le secteur bancaire formel, les 95% restant empruntant des canaux extra-bancaires souvent difficiles à recenser. C’est pourquoi confiance, réputation et relations sont, dans le financement d’activités marchandes, des vertus cardinales (Gipouloux, 2009).

M. Dai est convaincu que la microfinance ne sera jamais en mesure de se substituer à la finance informelle. La première est incapable, dit-il, de satisfaire l’importante demande de crédits qui, en Chine, est largement satisfaite par la seconde. M. Xue, son bras droit, affirme même qu’il s’agit de deux activités financières complémentaires. M. Liao, qui lui aussi travaille pour une banque de bourg et de village, en est également convaincu. Il est par conséquent nécessaire, dit-il, de ne pas poser d’entrave à la finance informelle.

« Non je ne pense vraiment pas que le microcrédit puisse venir remplacer la finance informelle. Les villageois, les agriculteurs et les paysans ont besoin d’aides économiques, et il n’y a pas beaucoup de banques [de village et de bourg]. Les banques [de village et de bourg] exigent des clients qu’ils remplissent d’abord certains critères avant de pouvoir demander un microcrédit. C’est pourquoi je pense que les crédits octroyés par les banques [de village et de bourg] ne peuvent pas satisfaire les besoins de trésorerie du marché. Donc face à ce problème, il est nécessaire de laisser s’exercer la finance informelle » (extrait de l’entretien avec M. Liao, responsable-clientèle chez Vtb-se).

4. D’

UNE CULTURE D

ENTREPRISE COHÉSIVE À DES

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