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Un champ d’action restreint

D ’ AUTONOMISATION DES FEMMES PAR LE MICROCRÉDIT 2.1 L’essor du discours sur l’autonomisation des Chinoises par le

2.3. Un champ d’action restreint

2.3.1 La prise en compte du genre : une approche limitée

L’État chinois peine à véritablement prendre en compte le genre dans ses politiques, notamment dans le cadre des politiques d’éradication de la pauvreté féminine (Wu Chegrui, 2007a). L’absence d’approche de genre dans les politiques publiques destinées à contrer les effets de la crise financière de 2008 voue notamment à l’échec la protection des droits et des intérêts des femmes et leur développement à long terme (FFC, 2009). Même les universitaires travaillant sur le genre se soumettent à des injonctions sexuées liées à un manque de sensibilisation à l’égalité de genre de la sphère académique chinoise (Selim, 2013).

Le manque de mesures concrètement prises par les gouvernements central et locaux en faveur de la promotion du mainstreaming de genre limite alors son application effective. Ces freins à la mise en place d’un mainstreaming de genre sont directement liés à une carence statistique : la prise en compte du genre dans les statistiques nationale demeure sporadique et arbitraire (FFC, 2009). L’une des nombreuses pratiques du mainstreaming de genre consiste en une budgétisation sexospécifique des ressources de l’État, c’est-à-

dire visant à une allocation équitable des ressources financières entre les sexes, expérimenté par plus de 60 pays à travers le monde. Néanmoins, bien que la Chine occupe la 37e place dans le classement de 187 pays selon l’indice des inégalités de genre (IIG)116, la budgétisation sexospécifique peine à faire sa place au sein des différents ministères chinois, cette approche du mainstreaming de genre étant confinée aux politiques supervisées par la Fédération des femmes (Yan Dongling, 2009).

Dans le cadre de la plupart des séminaires sur la Chine, organisés à l’occasion de la quatrième conférence des Nations unies sur les femmes à Pékin, il s’est agi de montrer aux « amies étrangères » la situation chinoise de la manière la plus officielle possible. La rencontre sur les violences, coordonnée par l’Association des femmes juges chinoises, s’est cantonnée à la mise en avant de l’existence de lois protégeant les femmes contre les abus. Malgré les nombreuses interrogations du public, la manière dont ces lois sont concrètement appliquées demeure floue. La reprise incessante d’une rhétorique pro gouvernementale à chaque question posée rendait tout dialogue vain. Les différentes représentantes, censées défendre les intérêts des femmes chinoises, ne faisaient que parler à leur place (Sala, 1995).

2.3.2 Une terminologie équivoque

Les préparatifs de ma première étude de terrain ont notamment consisté en l’apprentissage de la terminologie chinoise de la microfinance. Comme expliqué dans le chapitre 2, j’ai étudié le vocabulaire répertorié dans le glossaire chinois-anglais de la microfinance (PBOC et al., 2007)117. Toutefois, alors sur le terrain, je me suis rapidement rendu compte que peu d’acteurs locaux ont pour habitude d’employer la terminologie globalisée de la microfinance qui se trouve répertoriée dans ce glossaire. Dans la littérature scientifique, le terme fuquan par exemple est utilisé pour faire référence à l’autonomisation des femmes (Tong Jiyu, 2007 ; Wu Chengrui, 2007a/b). Dans le glossaire, le terme anglais empowerment est également traduit par fuquan. Or, rares sont les consultants et cadres qui connaissent la signification de ce terme. Lorsque je demande à M. Fu d’en expliquer la signification, celui-ci parle évasivement du pouvoir qu’il délègue en son absence au personnel placé sous sa direction. Même si ce consultant, formé en partie auprès du cabinet d’audit et de conseil européen partenaire !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

116 L’IIG est un indice du Pnud qui mesure les coûts de l'inégalité de genre en termes de développement.

Selon cet indice, plus la valeur de l'IIG est élevée, plus les disparités entre les femmes et les hommes sont importantes. À titre indicatif, l’indice le plus petit, enregistré en Slovénie, est de 0,021 et le plus grand s’élève à 0,733 (Yemen). Voir le tableau de l’indice des inégalités de genre (IIG), Pnud :

http://hdr.undp.org/fr/content/table-4-gender-inequality-index (consulté le 8 juillet 2015).

117 Pour rappel, comme précisé dans le chapitre 3, ce glossaire a été conjointement édité par la Banque

centrale de Chine, l’Agence de coopération internationale allemande pour le développement (gtz), et le

de Vtb-ch, fait preuve d’une connaissance fine de la terminologie de la microfinance en général, il semble en revanche ignorer le vocabulaire spécifique aux questions du microcrédit et des femmes. La même question posée à Mme Tian et Mme Cui, dont le dispositif de microcrédit s’adresse pourtant à des femmes, les place dans l’embarras. Même si elles affirment l’avoir parfois entendu au détour d’un échange avec des organisations étrangères, elles ne l’ont cependant jamais employé au sein de leur organisation. Mme Tian et Mme Cui déclarent que, par rapport à d’autres pays, la Chine accorde peu d’attention à ce terme.

« Personnellement, je pense que fuquan est très souvent utilisé à l’international mais [chez Gongo-om] nous ne l’utilisons pas si souvent. Quand on est en contact avec des organisations étrangères, […] il semble qu’ils font référence à ce caractère, mais ils n’en parlent pas en détail. Donc je pense que d’autres pays prêtent plus attention à ce mot » (extrait de l’entretien avec Mme Tian et Mme Cui, représentantes de Gongo-om).

Mme Wei, représentante de Gongo-cr n’a, comme l’ensemble des responsables- clientèle, jamais entendu ce mot auparavant. En dépit de la volonté de la Fédération des femmes d’intensifier la coopération internationale et scientifique sur les questions de la pauvreté féminine (FFC, 2009), cette méconnaissance de la terminologie globalisée de la microfinance montre à l’évidence que la rhétorique des organisations internationales, au moins en partie, n’atteint pas les échelles locales chinoises.

Selon Mme Tan, la langue constitue un obstacle majeur lorsque partenaires chinois et étrangers collaborent à la mise en place de programmes de microcrédit.

« Oui, la langue est un gros problème ici. En particulier lorsqu’ils n’arrivent pas à trouver de bons interprètes. Plus spécifiquement, concernant les termes techniques, c’est très difficile, non seulement pour eux mais aussi pour nous. Donc parfois on doit faire la traduction nous même. En fait il s’agit juste de problèmes liés à des malentendus culturels. Puisque les compagnies de microcrédit et les banques de bourg et de village n’ont pas l’habitude de traiter avec des étrangers, c’est très compliqué pour les cabinets d’audit et de conseil étrangers de travailler seuls ici » (extrait de l’entretien avec Mme Tan, experte chez Igbm).

L’un des promoteurs confie que s’il n’a jamais entendu le terme fuquan auparavant, c’est parce qu’il ignore le vocabulaire du gouvernement. Dayin, une des personnes m’ayant hébergée sur le terrain, et qui travaille à la fondation Cunsia (chapitre 2),

explique que son organisation se refuse à employer le vocabulaire utilisé par le gouvernement dans le domaine du développement. La raison qu’elle invoque est le caractère condescendant de ce vocabulaire à l’égard des personnes ciblées. Chez Gongo-om et Gongo-cr, on parle de funü xiao’e daikuan, littéralement de « microcrédit de femme », en référence au dispositif de microcrédit destiné aux femmes que les deux organisations supervisent. Il existe, en chinois, trois mots différents pour femme : nüren,

nüxing et funü. Nüren, le plus moderne des trois, est couramment employé par les

féministes chinoises118. Nüxing, à connotation sexuelle, désigne les individus de sexe féminin (Barlow, 1994). Mais la Révolution culturelle ayant porté la négation de la féminité à son comble en exigeant des femmes de ressembler aux hommes (Honig, 2002 ; Attané, 2010a), ce terme désignant les femmes à partir d’une caractéristique biologique qui leur est propre était, au cours de la période collectiviste, connoté péjorativement et banni. Enfin, funü, qui fait référence à des femmes d’âge mûr, était le mot à employer dans la Chine de Mao, et ce en dépit des références traditionnelles confucéennes auxquelles il renvoie (Barlow, 1994). De plus, l’intitulé d’un des programmes de Gongo-om (Jinguo chuangye), soit littéralement les activités marchandes des femmes émancipées, utilise un terme (jinguo) qui désigne l’écharpe que les femmes portaient sous l’ère impériale autour de leur bras et occasionnellement sur la tête afin de cacher leurs cheveux et de ressembler à des hommes lorsqu’elles allaient à la guerre. L’emploi des termes funü et jinguo montre que Gongo-om et Gongo-cr désignent leur cœur de cible à travers une terminologie qui conjugue champ lexical de la tradition et idéologie maoïste, renvoyant les femmes à une identité sexuée subalterne (Van Gulik, 1971 ; Elisseeff, 1988 ; Attané, 2005 ; Tan Lin, 2006) et dont l’émancipation passe par leur asexuation, autrement dit par la dénégation des rapports sociaux de sexe.

Si l’archétype du microcrédit, diffusé dans le monde par les organisations internationales, atteint les échelles locales, la terminologie qui l’accompagne ne semble pas, en revanche, faire l’objet d’une adaptation fidèle dans la langue chinoise. En réponse à ce problème, certains plaident en faveur d’une « indigénéisation » des concepts et de la terminologie des organisations internationales (Gao Xianxian, 2005). Toutefois, les décalages observables entre les pratiques et la rhétorique font également émerger un décalage entre la rhétorique et la manière dont sont véritablement pris en compte les rapports sociaux de sexe par les organisations au niveau local. À ce titre, la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

118 Je l’ai en effet noté lors de la Cinquième école d’été internationale d’études chinoises « Gender and

Women in China’s Transitional Society » à laquelle j’ai participé en juin-juillet 2014 à l’Université de Nankin (Chine).

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