• Aucun résultat trouvé

L’adaptabilité sur un terrain chinois : une stratégie clef

2. C ONTEXTE ET MÉTHODOLOGIE DE L ’ ENQUÊTE DE TERRAIN

2.3. Analyse et réflexivité

2.3.4 L’adaptabilité sur un terrain chinois : une stratégie clef

Examiner les difficultés rencontrées au cours de l’enquête de terrain est d’un grand intérêt en raison, dans une perspective heuristique, de la dimension positive

in fine de certains obstacles. Par conséquent, il convient de mener une réflexion

Rétif, 2015). En effet, les obstacles rencontrés sur le terrain donnent à connaître certains éléments saillants de la trajectoire propre de cette recherche. C’est pourquoi, en raison de leurs effets cognitifs sur les résultats d’enquête (Olivier de Sardan, 2000), certains d’entre eux font l’objet d’une attention particulière dans cette thèse.

Parler le chinois (mandarin) ne garantit pas de communiquer aisément partout en Chine, et de surcroît en zone rurale. Par conséquent, j’ai fait parfois appel à des étudiantes originaires de la région pour la conduite de certains entretiens, en contrepartie de quoi j’ai relu et corrigé certains de leurs travaux universitaires rédigés en anglais. Ayant pris soin de choisir ces étudiantes en fonction de la population enquêtée (Bizeul, 1998), j’ai sélectionné des femmes issues de milieux modestes. Aussi, bien que ces étudiantes n’appartenaient pas aux champs disciplinaires de cette recherche, le simple fait qu’elles y aient participé un temps m’a conduite à retenir avec attention leurs propos et réflexions (Copans, 1996). En dépit de mes nombreux contacts sur place, l’accès au terrain s’est parfois révélé difficile. Mais ces difficultés ont mis en lumière la dimension éminemment politique de ce sujet de recherche et ont ainsi contribué au développement de la problématique. Début 2013, une association chinoise qui distribue des microcrédits à des femmes m’a donné son accord pour m’accueillir plusieurs semaines au cours de l’été en tant que stagiaire. Je me suis alors attachée à préparer l’enquête de terrain, en rédigeant notamment de nombreux documents en chinois sur l’objet de ma recherche, que la présidente de l’association m’avait demandés. Alors que je m’apprêtais à partir, billets d’avion réservés et visa obtenu, la présidente de l’association m’a informée par email de son regret d’être finalement dans l’impossibilité de me recevoir, les autorités locales s’opposant subitement à ma venue. Toutefois, annuler mon départ sur le terrain était pour moi inenvisageable. J’ai alors sollicité l’aide d’universitaires chinois rencontrés précédemment. Pour m’aider, ceux-ci exigeaient paradoxalement que j’obtienne une lettre d’invitation d’une université chinoise. En dépit d’un large réseau, je ne suis jamais parvenue à obtenir une telle lettre. Ainsi bloquée, j’ai contourné ce premier obstacle et suis parvenue à trouver une seconde entrée sur le terrain et à approcher d’autres organismes de microcrédit grâce à un réseau plus informel composé de contacts d’amis. J’ai cherché à comprendre ce qui s’était passé et, bien que profondément anxiogène sur le moment, cette expérience m’a en

définitive servi de clef d’analyse. Le chapitre 7 explique donc en détail les raisons des ces difficultés.

La surveillance contraignante dont j’ai parfois fait l’objet est également révélatrice de la dimension politique et donc sensible de cette recherche. À mon arrivée, Madame Ge, vice-présidente de Rcc, a exigé que je séjourne dans un hôtel de son choix. Au regard des prix élevés pratiqués par cet hôtel, je lui ai expliqué qu’étant étudiante, j’étais dans l’incapacité financière d’y séjourner. Mais Madame Ge a insisté en me faisant comprendre qu’il s’agissait d’une condition sine qua non à la poursuite de mon enquête de terrain. Puis elle a fini par me préciser que Rcc prendrait en charge mes dépenses d’hôtel. Bien que très gênée, j’ai préféré ne pas me montrer imprudente en tentant de la faire changer d’avis. Enfin, à l’issue de notre échange, Mme Ge m’a informée de la présence de deux de ses employées dans la chambre contiguë à la mienne, afin de s’assurer, justifia-t-elle, que je garde un bon souvenir de mon séjour parmi eux et qu’il ne m’arrive rien. Tout au long de mon séjour, je ne suis jamais parvenue à sortir de l’hôtel sans être accompagnée par au moins l’une de ces deux employées de Rcc. Enfin, au-delà de la sensibilité du terrain, l’autre grande difficulté qu’implique une telle enquête réside dans l’incertitude permanente de mener l’enquête telle que programmée à court voire à très court terme. Les nombreux aléas que réservent les transports sur des infrastructures routières de mauvaise qualité ne me permettaient pas à coup sûr de me rendre en temps et en heure là où j’étais attendue ce qui a compromis plusieurs rendez-vous. Toutefois, tant ces divers aléas que leur issue se sont en définitive révélés enrichissants pour l’enquête en elle-même. J’ai aussi parfois éprouvé certaines difficultés à obtenir la coopération des employés des organismes de microcrédit, leur collaboration étant quelquefois indispensable pour rencontrer les contractants. En dépit de l’accueil chaleureux que la plupart des directeurs et présidents des organismes étudiés m’ont réservé, tout comme de leur disposition à faciliter mon enquête, mes interlocuteurs directs, les responsables-clientèle, ne comprenaient pas toujours clairement l’objet de ma présence et se montraient, par conséquent, parfois peu enclins à coopérer. J’ai fait part de cette difficulté à Monsieur Dubois, consultant français chez Vtb-se. Selon ce dernier, « le vrai problème est que personne ne comprend ce qu’est la recherche en soi, et qu’elle est donc toujours associée à quelque chose d’autre ». Ce n’est toutefois pas en m’évertuant à expliquer l’objet de cette recherche que je suis parvenue à surmonter cette difficulté. La clef a résidé dans le respect des

règles chinoises relatives aux relations entre les individus que mon enquête s’attachait à étudier : offrir de nombreux cadeaux à ces derniers (songbieren

yidian xiaoliwu, banshi geng rongyi).

* * * * *

L’accès des femmes au microcrédit est conditionné par le contexte social, historique, symbolique, politique et les rapports sociaux de sexes dans lesquels les pratiques économiques s’opèrent. Dès lors, le sujet des femmes et du microcrédit en Chine ne peut se contenter d’une approche formelle. Autrement dit, traiter de ce sujet implique une approche interdisciplinaire et nécessite une analyse contextualisée dans un terrain spécifique.

Tout d’abord, le microcrédit, en tant que pratique économique imbriquée dans ce contexte et dans ces rapports sociaux de sexe justifie l’importance accordée aux relations sociales, aux institutions et aux capacités d'action des personnes, prises en compte dans leur contexte. Parce qu’elle s’intéresse aux usages réellement vécus du microcrédit, cette thèse prend le contrepied des approches économicistes et positivistes qui négligent les rapports sociaux et sur lesquelles repose, à tort, une large appropriation académique. Le microcrédit participant du champ du développement, il convient de l’étudier à différents niveaux en concentrant l’analyse sur la vie sociale du dispositif, c’est-à-dire sur les acteurs, les processus et les conflits. Les choix du présent étant influencés par l’héritage de l’accumulation des institutions passées, l’intérêt pour l’historicité dans l’étude du microcrédit est d’autant plus importante que des recherches révèlent que les Chinoises en zone rurale perçoivent tout programme gouvernemental de microfinance à la lumière de l’histoire de leur pays.

Si cette recherche porte un regard sur les femmes, l’analyse se doit d’aller au-delà, c’est-à-dire d’accorder une attention particulière aux rapports sociaux de sexe. Une étude sur le microcrédit, promoteur de l’auto-entreprenariat féminin, requiert de resserrer l’attention sur la division socio-sexuée du travail, lieu où les rapports sociaux de sexe sont particulièrement éprouvés. En tant que champ de savoir, la prise en compte du genre vise plus précisément à lire l’organisation sociale et se révèle ainsi extrêmement fécond pour comprendre la dialectique du microcrédit dans une Chine globalisée.

Un défaut de fiabilité, voire même l’inexistence, des données statistiques sur le microcrédit produites en Chine comme à l’échelle globale, invite immanquablement à se rendre sur le terrain. Aussi, cette thèse n’étant pas autant soumise au contrôle politique que le sont les recherches autochtones, elle examine la dimension éminemment politique du microcrédit qui demeure inexplorée. Enfin, l’intérêt porté aux relations entre les individus se révèle particulièrement légitime dans le contexte chinois dans lequel le guanxi détermine la place d’un individu au sein de la société.

Pour toutes ces raisons, cette recherche combine les outils de la socioéconomie et de l’anthropologie. En effet, tant la combinaison d’échelles que la déconstruction des catégories constituent des préoccupations chères et communes à ces deux champs disciplinaires. Or, le point 1.1 s’est justement attaché à montrer l’importance de ces préoccupations méthodologiques et épistémologiques dans l’étude du sujet femmes et microcrédit en Chine, et ce en dépit des difficultés académiques qu’une telle approche est susceptible de susciter.

Le cœur de cette recherche se situe sur un terrain spécifique explicité dans ce chapitre. Choisir de conduire une ethnographie économique multi-située, combinant observations directes et entretiens semi-directifs, se justifie par la pertinence de cette méthode pour rendre compte de l’ensemble des points de vue locaux et analyser les pratiques économiques et les rapports de force dans un contexte chinois globalisé. Le microcrédit appelant à être étudié à différents niveaux, l’enquête de terrain a souhaité parcourir différents espaces au sein desquels se joue la signification des phénomènes observés. Ce sont, de cette manière, les réalités étudiées qui définissent les concepts formulés dans cette thèse. Le choix d’une approche de terrain multi-située s’est alors assorti d’une approche comparative adoptée à différentes étapes de cette recherche.

Ainsi, l’enquête de terrain a été menée en deux temps et dans les deux provinces frontalières du Yunnan et du Sichuan, et plus concrètement au sein de sept organismes de microcrédit : deux banques de village et de bourg, deux compagnies de microcrédit, deux GONGO et une coopérative rurale de crédit. C’est la diversité de statut et de fonctionnement de ces organismes, toutefois apparemment occupés par le même projet de distribuer des microcrédits, qui a motivé une enquête au sein d’eux. Néanmoins, en dépit des différences affichées par ces derniers, cette enquête s’est attachée à conserver un contexte cohérent, à savoir rural et périurbain.

L’enquête de terrain a donné lieu à la collecte puis l’analyse d’un journal de terrain et de 63 entretiens conduits avec les promoteurs et les emprunteurs. Tant le traitement que la collecte de ces données a incité à mener une réflexion, sur les aspects éthiques et déontologiques relatifs à cette recherche, prise en compte sur le terrain comme dans l’analyse. En revanche, en dépit d’un intérêt certain pour ce sujet et d’une implication mesurée au cours de l’enquête, cette réflexion n’a pas souhaité prendre la forme d’une auto-analyse. Elle a préféré laisser place, dans ce chapitre, à la lumière faite sur les difficultés rencontrées et sur la manière dont celles-ci ont été contournées. L’intérêt d’un tel examen vise en effet à prendre acte des effets cognitifs des obstacles sur les résultats d’enquête.

L’exposé des fondements de cette recherche, auquel cette première a partie a été consacrée, peut à présent laisser place aux parties suivantes portant sur le développement heuristique de cette thèse.

-

P A R T I E

I I

-

D

U G L O B A L A U L O C A L

:

D I S C O U R S E T P R A T I Q U E S D E S P R O M O T E U R S

C

H A P I T R E

3

L

A C O M M E R C I A L I S A T I O N D U M I C R O C R E D I T C H I N O I S F A C E A L A

T E N D A N C E G L O B A L E

:

S I M I L I T U D E S E T D I V E R G E N C E S

La commercialisation de la microfinance chinoise a débuté en 2006 à la faveur d’un assouplissement institutionnel (Monteil, 2010). L’objectif du chapitre 3 est donc de savoir si les organismes de microcrédit étudiés réfléchissent une image conforme au paysage de la microfinance, plus généralement décrit comme le résultat d’un mouvement social mutant, aujourd’hui tourné vers le marché (Guérin, 2015).

En dépit des nombreux débats et contestations dont il fait l’objet (Morduch, 1999 ; Labie et Mees, 2005 ; Dichter et Harper, 2007), le « paradigme de la pérennité financière » (Guérin, 2015 : 58) a imprégné la microfinance au cours des quinze dernières années. C’est pourquoi ce chapitre interroge la participation des promoteurs chinois à une course à la rentabilité. Alors qu’une part croissante des organismes de microcrédit dans le monde s’adonne à cette course effrénée, la rentabilité ne concerne cependant qu’une minorité d’entre eux (Creusot et Poursat, 2009) : à l’échelle de la planète, seuls 500 organismes de microcrédit sur les 3 652 recensés auraient atteint un niveau de rentabilité financière (Guérin, 2015). Même si, de manière générale, le statut juridique des organismes de microcrédit n’apparaît pas déterminant dans leur participation à cette course à la rentabilité (Ehrbeck et al., 2011), les organismes étudiés sont ici comparés sur la base de leur statut et de leur fonctionnement.

La volatilisation et l’épuisement progressifs des financements publics sont au fondement du paradigme de la pérennité financière qui pose le postulat qu’une offre de crédit de faible montant coûte de plus en plus chère. En s’intéressant à la manière dont le microcrédit est localement décrit, ce chapitre vise à vérifier la validité d’un tel paradigme dans le contexte chinois. Les praticiens justifient leurs préoccupations à recouvrer leurs coûts et à générer des bénéfices, afin d’attirer des capitaux privés, par l’accroissement des coûts relatifs à l’offre de microcrédits. Cette stratégie commerciale consiste aussi à produire une offre de masse afin de tirer ces coûts vers le bas (Guérin,

2015). Mais dans un contexte où la microfinance chinoise est souvent qualifiée d’embryonnaire (Debéthune, 2010), l’aboutissement d’une telle stratégie pose question. Alors que certains organismes de microcrédit dans le monde se contentent de pratiquer des taux d’intérêt élevés, d’autres parviennent à limiter leurs tarifs grâce à divers facteurs comme, par exemple, des subventions, l’épargne et la fidélité de leurs clients, la densité élevée de population de certains territoires, un portefeuille de clients composé de personnes aisées contractant de grosses sommes d’argent et d’une clientèle moins nantie, une faible rémunération du personnel et une course à la clientèle (Armendariz et Szafarz, 2009 ; Servet, 2011 ; Roodman, 2012 ; Morvant-Roux et al., 2014). Tout en sachant que les profits ainsi engendrés servent à rémunérer grassement les dirigeants, les actionnaires ou les fonds d’investissement de certains organismes de microcrédit (Ashta et Hudon, 2009), ce chapitre examine la manière dont les organismes étudiés élaborent et appliquent ces différentes stratégies.

Enfin, ce chapitre reposant sur l’hypothèse que les zones dans lesquelles les organismes étudiés sont implantés conditionnent leur offre de microcrédit, nous accorderons une attention particulière à leur situation géographique. Dans de nombreux pays, en Asie comme en Afrique, la microfinance contemporaine a fait ses débuts en zone rurale (Guérin, 2015). L’attrait de la microfinance pour les zones rurales repose sur le fait que des cycles de crédits répétés peuvent être à l’origine d’un agrandissement des surfaces travaillées et de l’amélioration des cultures et des outils de production. L’hypothèse sous-jacente est qu’une offre de microcrédit destinée à des activités rurales contribue à combattre la pauvreté qui touche en premier lieu les habitants des zones rurales des pays communément désignés comme étant en développement. Mais dans les faits, compte tenu des risques spécifiques liés aux activités paysannes et au monde rural, peu d’organismes de microcrédit ciblent ce type de clientèle (Morvant-Roux, 2009c). Le chapitre 3 se focalise donc en partie sur les facteurs ayant déterminé le choix des promoteurs à s’installer en zone rurale et sur la manière dont l’offre de microcrédit proposée par les organismes étudiés s’articule avec l’environnement direct de ces derniers et répond à des besoins locaux.

Une première partie présente les organismes étudiés. Les activités qu’ils mènent puis leur engagement dans le développement des zones rurales seront ensuite examinées. Ce chapitre se termine enfin par une étude des conditions de travail des promoteurs menées au regard de leurs motivations et des relations qu’ils entretiennent entre eux.

1. D’

UNE MICROFINANCE SOCIALE À UNE MICROFINANCE

Outline

Documents relatifs