• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : La dimension institutionnelle de la coordination : quelles perspectives ?

3. Le cadre ADI : analyser les situations polycentriques

3.1. Rapport action collective et coordination

Ostrom E. (2010) se fonde sur les propos d’Olson (1978) concernant la logique de l’action collective. Ce dernier remet en cause l’optimisme de la théorie de groupe. Celle-ci décrit que des individus ayant des intérêts communs, agissent volontairement pour tenter de servir leurs intérêts. Pour Ostrom E. (2010), il est contestable d’envisager que la présomption d’un bénéfice éventuel pour un groupe puisse être suffisante pour engendrer une action collective, sauf sous la contrainte ou si le groupe est restreint. Si l’ouvrage d’Olson est très souvent cité pour le regard pessimiste sur l’action collective, il ouvre surtout la question de savoir quelle est la taille du groupe souhaitable, non pas en nombre d’individus mais dans la perception des actions de chacun des membres, peu importe leur nombre. C’est le changement de point d’attention qui est remarqué.

Dans les développements sur l’action collective, apparaît le problème du passager clandestin qui profite des efforts des autres sans contribuer à l’effort commun (Ostrom E., 2010, p. 19) ainsi :

- si le nombre d’acteurs qui resquillent est supérieur à celui de ceux qui suivent le processus rationnel, alors le résultat n’est pas celui attendu,

- si certains resquillent mais en nombre limité, alors le résultat attendu du travail collectif est inférieur à celui attendu.

Avec la notion de passager clandestin, il est possible d’apporter des explications rationnelles à des résultats qui ne le semblent pas. La coordination peut être non concertée. Elle peut être plurielle ou induite par certaines rationalités.

La théorie de l’action collective fait appel à deux théories mères : la théorie de la firme et théorie de l’Etat. Dans la théorie de la firme, l’entrepreneur cherche puis reconnaît une possibilité d’augmenter les rendements possibles si les individus sont impliqués dans une relation interdépendante. Dans une note de bas de page de « gouvernance des biens communs », Ostrom E. (Poteete et al, 2010), rappelle les propos de Alchian et Demsetz en 1972 qui montrent que les problèmes liés à la confiance que l’on peut accorder à une entreprise pour organiser les comportements sont liés à l’interdépendance d’une fonction de production plus qu’aux actions indépendantes des acheteurs et vendeurs. L’entrepreneur est en position de négociation d’une série de contrats entre participants qui spécifient leur coordination et non leur interdépendance. C’est la liberté qu’ont les participants de rejoindre l’entreprise qui est majoritaire. L’efficacité de l’entreprise détermine les revenus de l’entrepreneur, il surveille donc la performance de ses employés de manière à augmenter ses bénéfices. Les agents choisissant d’accepter ou non les termes du contrat, cette organisation de travail est dite privée, volontaire et caractérisée par les individus comme plus ou moins exploitante.

Dans la théorie de l’Etat, l’entrepreneur est remplacé par un gouverneur qui est conscient des bénéfices substantiels dégagés de l’organisation de certaines activités. Le gouverneur peut utiliser la force pour contraindre les sujets à se conformer à une diversité d’activités humaines qui pourront aboutir à des bénéfices collectifs. Les ressources sont obtenues grâce à des taxes et du travail. Elles permettent d’augmenter le niveau général de bien-être économique des sujets permettant par la suite d’augmenter les recettes d’impôts en réduisant peu à peu le recours à la contrainte. Les gouverneurs, comme les entrepreneurs de la théorie de la firme, perçoivent les excédents. Cependant, si les mesures envisagées sont trop répressives, la non-adhésion des sujets pourra compromettre le système.

Avec ces deux théories, l’organisation collective est confiée à un individu. Des règles sont mises en place afin de contrôler (et de sanctionner en cas d’écart) que les agents se conforment aux engagements pris. Dans le but de coordonner les activités, l’individu en charge de

l’organisation peut envisager de changer la règle : il initie un changement qui s’inscrira dans l’institution. Mais la définition de l’engagement, de la surveillance et la mise en place de nouvelles institutions posent de nombreux problèmes liés à la densité de liens et d’interdépendances en présence entre et dans les institutions. Ostrom E.conclut son article « analyzing collective action » en 2010 pour l’International Association of Agricultural Economists en ces termes :

« A key lesson of research on collective-action theory is recognizing the complex linkages among variables at multiple levels that together affect individual reputations, trust, and reciprocity as these, in turn, affect levels of cooperation and joint benefits. Conducting empirical research on collective action is thus extremely challenging (see Poteete et al., 2010). There is no way that one can analyze the entire “spaghettiplate” of variables that have been identified and their interactions in a single empirical analysis. The reason that experimental research has become such an important method for testing theory is that it is a method for controlling the setting of many variables while changing only one or two variables at a time (Camerer, 2003). In addition, one can self-consciously examine the interaction of several variables over a series of carefully designed experimentssomething that is almost impossible to do in field research »6 (p 164). La description des mécanismes de l’action collective est donc une entreprise complexe demandant une préparation prudente des éléments de collecte et de traitement des informations depuis l’individu. L’action collective nécessite de concevoir les types de liens entre les différents types d’acteurs institutionnels et ceux-ci peuvent varier en fonction du secteur d’activité (théorie de l’Etat ou théorie de la firme). Ostrom E. nous propose une conception permettant de dépasser ces difficultés. La définition de l’action collective d’Ostrom E. est ainsi assimilable à la coordination nécessaire à la gestion d’une ressource avec un objectif commun plus ou moins explicite. Elle se distance ainsi de la conception de l’action collective en sciences politiques, discipline dans laquelle elle a pu travailler, où les rapports avec les logiques syndicales et partenariales sont centraux. L’action collective renvoie alors à des notions d’intervention dans la vie publique.

6 Traduction libre : une leçon clé de la recherche sur la théorie de l'action collective est de reconnaître les liens complexes entre les variables à plusieurs niveaux qui affectent ensemble la réputation, la confiance et la réciprocité individuelles qui à leur tour, affectent les niveaux de coopération et les avantages conjoints. Mener une recherche empirique sur l'action collective est donc extrêmement difficile (voir Poteete et al., 2010). Il n'y a aucun moyen pour que l'on puisse analyser l'ensemble du «plat de spaghetti» de variables qui ont été identifiées et leurs interactions dans une seule analyse empirique. La raison pour laquelle la recherche expérimentale est devenue une méthode si importante pour tester la théorie est qu'elle est une méthode pour contrôler l'établissement de nombreuses variables tout en changeant seulement une ou deux variables à la fois (Camerer, 2003). De plus, on peut examiner consciemment l'interaction de plusieurs variables sur une série d'expériences soigneusement conçues - ce qui est presque impossible à faire dans la recherche sur le terrain.

Nous pouvons donc évoquer la coordination dans les travaux d’Ostrom E. lorsqu’elle traite de l’action collective. Cela nécessite de s’attarder sur les biens qu’elle évoque. Qu’appelle-t-elle « ressources communes » ? Que sont les biens communs, les ressources communes au sens d’Ostrom E. ? Ces biens sont centraux dans l’analyse institutionnelle des contextes polycentriques. Cela nécessite de préciser comment Ostrom E.conçoit les secteurs d’activités et les biens associés. En effet, dans les systèmes polycentriques, si une action coordonnée à lieu entre acteurs appartenant à plusieurs institutions, comment concilier l’action alors qu’elles ont des propriétés (privées/publiques) différentes ?