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Chapitre 1 : Contributions théoriques

1. La fabrication de la coordination en contexte polycentrique

1.2. Les acteurs de la coordination

La coordination concerne des individus en action. Nous proposons dans ce paragraphe d’étudier comment concevoir ceux-ci dans notre cadre ADI étendu. En effet, il y a des transferts d’expertise d’une arène à l’autre. Evoquer les participants d’une arène semble alors réducteur pour évoquer la coordination tant il est nécessaire de sortir d’une arène pour trouver des solutions dans une autre arène qui se trouve alors interconnectée dans un ensemble d’arènes. Dans ce paragraphe, nous proposons d’emprunter à la linguistique le qualificatif « méta-collectif » de la coordination afin de rendre compte de la multitude de relations nécessaires dans et entre les arènes d’action pour mener une action coordonnée.

Lors de la coordination, il y a une articulation des expertises et des compétences selon les rôles des participants qui peuvent varier d’une arène à l’autre, d’une situation d’une même arène à une autre. Les participants peuvent transférer leurs expertises d’arène en arène selon les rôles qu’ils occupent. Les participants des situations d’action sont, dans la conception d’Ostrom, éminemment socialisés. Elle écarte les difficultés posées par les modélisations de l’action des individus en passager clandestin et la théorisation en tragédie des communs de Garett Hardin (Hardin 1968, Harribey, 2011). Pour Ostrom, les intérêts des participants ne peuvent se réduire à une maximisation individuelle des gains, il y a d’autres moteurs à l’action. Les notions de gains, d’utilité et de représentations de l’action sont débattus plus ou moins explicitement entre participants. Les actions sont conduites selon un cheminement, un raisonnement individuel partagé avec les autres participants. Des normes sociales, écrites ou non, interviennent. Elles sont les éléments du secours à personne dans notre cas avec une dimension interprétative entre les différents participants n’ayant pas tous le même background professionnel (acteurs sanitaires, du secours, de la sécurité avec des formations initiales différentes). Cette dimension s’associe à une dimension délibérative : les individus s’interrogent, construisent ensemble la meilleure manière de faire. Ce sont la confiance au sein des communautés et l’engagement des acteurs pour une cause qui les guident, ainsi qu’une part de responsabilité-réputation vis-à-vis des populations pour lesquels ils agissent. La diversité des institutions d’appartenance de chacun leur permet d’avoir accès à des dispositifs de circulation de l’information et à des éléments de supervision pour résoudre les éventuels conflits. Cette communication primordiale

dans les arènes d’action participe à la construction de schémas mentaux d’équipe qui vont en retour fonder les normes de réciprocité et de confiance entre les participants. La notion d’équipe n’est pas spécifiquement abordée dans les travaux d’Ostrom E.. Pour autant, elle évoque une forme de schémas mentaux partagés à travers le concept de modèles internes « The appropriators from a common-pool resource build internal models of the resource, the relationships among the components of the resource, and frequently where their own actions are positively or negatively related to one another and the resource. Among the shared lore for most fishing villages is a clear understanding of where fish breed, where young fish tend to cluster, the length of time it takes for fish to be mature and reproduce, the migration patterns of fish, the food chain in a location, etc »12 (Ostrom E., 1999, p. 523). Les relations qui se tissent entre les participants et la ressource constituent les acteurs de la coordination : la coordination n’est pas seulement incarnée, elle se situe dans le rapport entre les participants des arènes et la ressource commune à préserver.

Nous proposons de substituer au terme « équipe », la notion de « collectif » et plus précisément de « méta-collectif » afin de prendre en compte les relations qui font la coordination et surtout le caractère incertain du nombre de relations entre les membres et de leurs affectations spécifiques à une tâche. Le méta-collectif renvoie à des concepts de linguistique à propos des nombres. Les noms méta-collectifs ont des propriétés bien particulières que l’on peut approcher par les théories hyperonymiques13, abstractives ou dénominative (Lammert, 2010 p 355). En effet, s’agissant de groupe, de collection ou d’ensemble, il n’est pas possible de réellement dénommer de quoi il s’agit : seuls des regroupements sont envisageables. Une abstraction est également nécessaire pour comprendre le contenu de ces termes qui n’ont pas de forme générale (Lammert, 2010, prend l’exemple de « rose » et « fleur »). La dénomination « collectif » permet de suggérer à l’interlocuteur à la fois une dimension de nombre, au sens multitude et une dimension interne particulière formant un tout spécifique de cette collection. En renforçant le terme collectif par le préfixe méta, nous signifions qu’il y a en plus du collectif, une notion de changement, de transformation (méta en grec vient de mithas, mithu et mat signifiant réciproquement, ensemble et avec selon le Littré). La formation méta-collective des participants des arènes d’action renvoie ainsi à un collectif constitué d’un ensemble de nombreuses relations

12 Les appropriateurs d'un pool de ressources communes construisent des modèles internes de la ressource, les relations entre les composants de la ressource, et fréquemment là où leurs propres actions sont positivement ou négativement liées les unes aux autres et à la ressource. Parmi les traditions communes à la plupart des villages de pêcheurs, il y a une compréhension claire de l'endroit où les poissons se reproduisent, où les jeunes poissons ont tendance à se regrouper, le temps nécessaire à la maturité et à la reproduction, la migration des poissons 13 L’hyperonymie est définie comme la relation d'inclusion entre un terme général et un ou plusieurs termes spécifiques (CNRTL)

pouvant se regrouper. Ce méta-collectif possède de plus une identité particulière, un attribut commun : le rapport à la ressource commune. Ceci se rapproche du répondant professionnel de Clot (2005), dans l’analyse du travail, il évoque « cette histoire générique ne trouv[ant] son temps qu’inscrite dans l’espaced’une géographie singulière : celui de la confrontation actuelle et collatérale dans le collectif professionnel entre les différentes manières, éventuellement rivales, de s’y prendre, controverse nécessaire des variantes et des « écoles ». Cet espace-temps est ce qui définit alors le métier non pas seulement comme un exercice technique mais comme le répondant collectif qui unit secrètement mais parfois aussi sépare et agite ceux et chacun de ceux qui le pratiquent » (Clot, 2005, p 8). Le collectif de travail serait un tout complexe dans lequel s’exprime des régularités naissant de la confrontation des différentes individualités en action dans un espace-temps donné. Le travail possède un « volume ou une épaisseur dont l’activité réalisée par un opérateur n’est jamais que la surface. Ce volume possède une architecture développementale. L’activité est à la fois irréductiblement personnelle, interpersonnelle, transpersonnelle et impersonnelle. Personnelle et interpersonnelle, elle l’est dans chaque situation singulière toujours exposée à l’inattendu. », (Clot, 2003 p. 42). Le caractère transpersonnel peut s’identifier par l’histoire collective construite à travers l’ensemble des situations traversées ensemble, avec des réponses individuelles différentes d’une situation à l’autre. Clot (2003) évoque alors les attendus génériques de l’activité. L’activité peut ensuite être vue sous l’angle de la tâche, alors, elle retrouve un caractère impersonnel. Ce caractère impersonnel permet de traverser les situations qui sont indéterminées, changeantes et incertaines. Ainsi, dans le cadre de la coordination, faire référence à un méta-collectif plutôt qu’à la notion d’équipe permet de prendre en compte à la fois le tissu de relations nécessaire à la conduite de l’action de la situation mais également celles passées qui contribuent aux choix d’action. Par exemple, dans la situation d’action 15, lors de l’intervention de secours, le méta-collectif se manifeste par des participants qui, arrivant auprès de la victime, connaissent chacun des gestes des participants, comptent sur les connaissances, préférences et craintes de chacun spontanément. Certains interviewés diront que c’est naturel, d’autres automatique ou cadré. Le méta-collectif agit en s’appuyant sur toutes les relations qui peuvent apporter de l’information en situation comme dans la situation 18, lors d’une action de secours dans un département limitrophe à notre département d’observation. La présence de participants ayant des affectations dans des arènes multiples (un sapeur-pompier volontaire dans un département mais professionnel dans l’autre) au sein de la situation permet la mise en abime de ces expériences de règles différemment appliquées dans son département d’affection professionnelle où il exerce une autre fonction. Le tissu de relations qui se fait dans cette

situation s’étend alors jusqu’au département limitrophe. Ces relations vont permettre d’identifier pas-à-pas, la meilleure manière de faire pour prendre en charge le demandeur de secours d’urgence. C’est également le cas dans la situation 6 où un participant arrive fortuitement dans l’arène, et, parce qu’il connait le terrain de l’opération de secours à mener (il vit dans cette commune), il peut proposer des itinéraires plus adaptés pour assurer l’arrivée du véhicule de secours auprès de la victime. Les autres membres de l’arène le savent « local » et se reposent alors sur ses connaissances.