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Chapitre 1 : Contributions théoriques

2. Polycentricité et coordination

Ces paragraphes sont dédiés à notre seconde question de recherche : comment se manifeste la polycentricité lors du processus de coordination ? Nous montrons que la stabilité institutionnelle et la flexibilité du méta-collectif conditionnent la coordination et que ces éléments sont liés aux propriétés des contextes polycentriques.

2.1. Stabilité

L’environnement institutionnel multiple participe de la stabilité de la réalisation des activités. Un schéma général d’action est identifiable grâce à l’apprentissage d’un ensemble de règles. Les variables externes rassemblent une partie des arrangements institutionnels qui font la coordination qui sont tout aussi présents dans l’arène d’action. En effet, les participants contribuent à la naissance d’arrangements institutionnels par confrontation des règles avec le cas pratique qui se présente à eux.

Les ordres polycentriques mettent en présence différentes institutions qui composent un environnement particulier, un écosystème large, avec de nombreuses règles disponibles et autant d’outils associés qui sont stabilisés par consensus communs pour le maintien de la ressource commune. Les arènes d’action se situent dans cet éco système, elles s’y inscrivent et d’une certaine manière le constitue. En effet, les arènes sont le lieu où se déroulent des actions avec des interactions. Ces dernières ne sont possibles qu’en présence d’un environnement nécessitant une action. Il y a des invariants dans l’arène d’action, des logiques d’action qui sont stables : la mise en œuvre du bilan secouriste est identique dans toutes les situations de secours. Ensuite, l’agencement entre les possibilités et la réflexion qui se partage entre les participants d’une arène permet au méta-collectif d’ajuster ses actions au plus près des objectifs partagés et respectifs qui fait la coordination. Par exemple, dans la situation 3, le méta-collectif s’ajuste en répartissant les participants de l’arène selon les moyens de déplacement les plus adéquats dans la zone à investiguer. La confrontation des souhaits d’évacuation de l’archipel avec les

contraintes environnementales et les moyens disponibles nécessitent le recours à l’expertise d’autres participants qui rejoignent alors le méta collectif et contribuent à la décision d’action de manière coordonnée.

La polycentricité permet de mettre à disposition dans les arènes d’action un éventail de choix de règles à ajuster. Ces règles, instituées localement, sont stabilisées par l’institution dont elles proviennent et sont mises à l’épreuve de l’utilisation par d’autres acteurs. Elles n’en deviennent que plus robustes car sont maitrisées par les participants des institutions desquelles elles émanent. Elles sont validées par la pratique de terrain et l’expérience du réel. Supposer qu’un ensemble de règles soit édicté par un seul ordre monocentrique nécessiterait que l’institution à laquelle ces règles se rapportent puisse maitriser l’ensemble du système. Cela nécessiterait un système de contrôle de l’environnement particulièrement développé. Dans l’ordre polycentrique, il importe de laisser aux participants du système la sélection des règles institutionnelles les plus adaptées aux besoins du moment. Cela suppose un système de confiance et de réciprocité entre les institutions et leurs participants à tous les échelons. Les strates de décision ne sont plus hiérarchiques, elles sont des mises en relation, analysées sous le prisme de la pertinence afin que la décision finale réponde à une exigence de fiabilité et de qualité pour tous les participants dans la gestion de la ressource commune. Les ordres polycentriques sont ainsi des ordres où le degré d’implication des participants à tous les échelons est tel que ceux-ci s’auto-contrôlent dans l’action. La division d’un problème d’action collective en de multiples « petits » problèmes qui deviennent alors accessibles à la compréhension des acteurs et à l’expression de leurs expertises permet l’action coordonnée. Il est à rappeler que cet ordre polycentrique ne signifie pas décentralisation. Il y a persistance d’un ordre hiérarchique descendant qui permet de résoudre les conflits dans la décision, dans les choix de confiance et les règles de réciprocité. C’est cette stabilité qui permet d’éviter des actions éparses, non conscientisées, qui pourraient nuire à la bonne conduite de l’action. La responsabilisation des participants devant l’analyse des règles nécessaires à l’action permet ainsi l’auto-gouvernance du système par les participants de tous les niveaux d’action.

2.2. Spontanéité ordonnée et résilience

L’auto gouvernance du système polycentrique fondée sur une forme de spontanéité dans les décisions d’action au sein du système et ordonnée par les objectifs des participants fait écho aux travaux consacrés à la résilience (Tarko, 2017).

La richesse des structures polycentrique tient dans leur capacité auto-organisatrice dans un tout complexe. Il s’agit de concevoir la spontanéité pour que celle-ci permette de faire face à toutes les configurations de problèmes d’action collective. Cet aspect nous permet de nous rapprocher des travaux à propos des Organisations à Haute Performance (OHP) et à la théorie des accidents normaux. En effet, dans la littérature qui traite des organisations face aux risques et aux maintiens des performances alors que les conditions sont réunies pour mettre les participants en difficulté (environnement changeant, conséquences possibles des erreurs en termes de dommages civils type navigation aérienne, sureté nucléaire), nous pouvons repérer de nombreuses similitudes conceptuelles avec l’approche polycentrique. Rochlin, (2001, p. 45) décrit les OHP comme des structures où « l’adhésion à un objectif commun de performance collective pren[d] le dessus sur les habituelles rétentions d’information, rivalités entre spécialités, compétitions entre unités, et conflits entre responsables administratifs, direction et opérateurs […] en dépit de la rigidité de la hiérarchie formelle, nous trouvions ces équipes tout à fait capables de s’auto-organiser et de s’adapter afin de maximiser le niveau de leurs performances, mais aussi pour répondre à un large éventail de contingences et de crises ». Par ailleurs Roberts (Roberts, 1990 ; Roberts et Bea, 2001) distingue plusieurs caractéristiques des OHP : les redondances sont nombreuses, les simulations et entraînements sont déterminants, l’organisation structurelle est stricte, la prise de décision est décentralisée, l’apprentissage des erreurs et la prévention sont valorisés, l’expérience est centrale. Ces éléments participent à la souplesse de l’organisation permettant d’absorber les « chocs », c’est-à-dire les crises majeures. Les changements successifs dans les règles font entrer l’organisation polycentrique dans une forme de cycle adaptatif (Buchheit, d’Aquino et Ducourtieux, 2016 ; Gunderson et Holling, 2001), métaphore utilisée dans les théories de la résilience. Le cycle adaptatif définit la trajectoire d’une organisation systémique avec des phases, obtenues par accumulation. Les interconnexions entre les phases permettent la transformation profonde de la structure de l’organisation autant dans sa fonction que dans son identité. Ainsi, une organisation suivrait une phase d’exploitation d’un fonctionnement qui se consoliderait par connaissances partagées de tous les membres. L’exercice de leurs expertises face aux situations permet de décomposer totalement l’organisation pour la repenser selon les nouvelles possibilités d’action à encadrer. Une fois ces nouvelles possibilités d’action identifiées et actées, elles sont exploitées de nouveau avant une nouvelle réorganisation. Cette conception de l’organisation en adaptation constante assure sa résilience. Ainsi la spontanéité se situe dans la possibilité de pouvoir repenser les utilisations de règles face à un problème d’action collective. C’est une capacité d’adaptation, une tolérance dans l’application stricte des règles qui doit être cultivée. Si la

liberté d’action cadrée par la volonté d’atteindre un objectif commun peut effrayer les décideurs, elle est cependant un mécanisme qui permet de mettre à jour les faiblesses de certaines règles. On ne peut pas tout prévoir. Les évolutions minimes des règles contribuent à la refonte progressive d’un système qui sait apprendre de ses expériences dans le cadre d’un débat démocratique entre participants.

3.Vers une approche intégrée des travaux sur la