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Chapitre 1 : Contributions théoriques

3. Vers une approche intégrée des travaux sur la coordination : prolongements de l’ADI

3.2. Aspects cognitifs de la coordination en contexte polycentrique

polycentrique

Les systèmes polycentriques sont des systèmes où le retour d’expérience et l’adaptabilité sont très présents. Cela fait nécessairement appel à des éléments cognitifs. Les systèmes de mémoire transactive sont particulièrement présents : les participants connaissent les façons de faire de chacun et agissent en fonction, par composition. La composition est l’assemblage de caractéristiques similaires à un niveau donné pour obtenir quelque chose avec une propriété supérieure tout en conservant à l’identique tous les éléments constitutifs. Les membres du méta-collectif intègrent également des dimensions culturelles (« c’est aussi à la Normande ici, les émotions on les met de côté » nous dit un médecin chef adjoint du SDIS, des dimensions historiques (« il faut refaire l’histoire des urgences pour comprendre ce qu’il nous arrive » selon un médecin chef de pôle des urgences) et des dimensions sociales (« le pompier, le secouriste, c’est quelqu’un de considéré ici, même si son métier n’est pas top aux yeux de la société, il est volontaire ou bénévole, ça fait beaucoup de chose pour l’action en commun ensuite » médecin chef adjoint du SDIS). Nous avons relevé une approche genrée des prises en charge : un chef d’agrès nous confie « c’est un milieu très masculin tout de même ». Cela entraîne des comportements de « bonne camaraderie » qu’il faut encadrer (médecin chef adjoint du SDIS).

Associés aux systèmes de mémoires transactives, des modèles mentaux d’équipe sont identifiables. Ils font référence à la mise en application automatique des procédures de prise en charge même si les membres de l’équipe ne se connaissent pas.

Le tableau n°18 ci-dessous présente les éléments de coordination cognitive repérés dans notre contexte polycentrique, en lien avec les dimensions ADI.

Tableau n°18 – Eléments de coordination cognitive repérés au sein du secours d’urgence

pré-hospitalier

Sur la base de ce tableau, nous pouvons détailler davantage certaines dimensions du cadre ADI. Nous pouvons d’abord enrichir la notion d’attributs de la communauté et de règles en pratique. Ils reposent sur des modèles mentaux qui se construisent dans l’action. Le système de mémoire transactive peut être mieux identifié et peut concourir à repenser les usages des dispositions à agir prévues par les organisations. Formation, entraînement et simulation sont considérés comme essentiels dans la constitution de modèles mentaux partagés dans la littérature OB. Régulièrement le système de secours d’urgence pré-hospitalier organise des exercices pour tester le travail entre les organisations et assurer les meilleures réponses à la population. Nous avons pu assister à plusieurs d’entre eux à différentes échelles. Sur les postes de secours saisonniers (sur les plages), ces exercices sont élaborés par les centres de secours de rattachement des postes de secours. Ils représentent un temps dédié à la formation. L’exercice est court et l’action à envisager est courante. C’est un temps d’échange sur les habitudes et les modèles mentaux de chacun. L’échange ci-dessous traduit ce transfert d’habitude et la constitution des modèles mentaux : il est tiré d’un enregistrement d’un débriefing de simulation de chûte dans les rochers en bord de mer. L’accidentée est alors prise dans les vagues et emportée par la mer. L’équipe de sauveteurs saisonniers a donc mis en œuvre la procédure de gestion d’une noyade. Après l’intervention, les sapeurs-pompiers professionnels assurant cette simulation reviennent sur les actions envisagées par les membres du méta collectif (Figure n°16).

Figure n °16 : Echanges entre des SP formateurs et les membres d’un poste de secours saisonniers lors d’un exercice « surprise » mettant en scène une noyade/chute dans les rochers sur une plage dangereuse

SPP2 : Vous pouviez faire un relevage sur le plan dur. La pose du collier cervical a été faite, avec le maintien tête. Très bien. Mais il n’y a pas quelque chose qui vous a choqué ?

CDP : On a fait le maintien tête quand on a décidé de mobiliser

SPP1 : Oui, quand la victime vous dit, j’ai mal au dos, c’est maintien tête. Ce n’est pas une question de relevage. Surtout ce que vous avez fait à 4 !

Saisonnier : Oui, mais à la base on ne voulait pas faire comme ça L : Oui c’est moi qui… je les ai influencés

SPP1 : Oui, mais bon, y a un passant, vous vous laissez influencer ? C’est ça ? Vous savez ce que vous faites ! SPP2 : Vous en avez des médecins sur la plage. Des gens qui savent mieux faire. Mais en fait non. Chacun son métier.

SPP1 : Et la couverture ? C’est parce que c’est votre collègue que vous la laissez se refroidir ? Imaginez quelqu’un qui a mal, là déjà votre collègue elle était bleue ! En tout cas, vous avez appris des choses, vous faites ce qu’on vous a appris. C’est tout. Et si vous n’êtes pas surs et que vous avez des doutes sur vos possibilités de relevages et bien on attend le VSAV pour le relevage. D’accord ?

SPP2 : On s’adapte ! Là, la mer est montante. Si on était plus bas on s’adapte. On conserve le rachis. Relevage à quatre ou à trois. Rotation. En respectant le bien être de la victime. Après moi... Je ne suis pas… Je m’adapte. Les araignées… C’est le bazar. Moi, je suis habitué à la mienne, dans mon centre, là, je ne la connais pas, je demande à Léo, hé c’est le haut ça ? Ouais, bon allez hop je sais m’en débrouiller. Ok ? je m’adapte. Même si t’es très grande, là y avait un bout de ça (fait un geste) qui dépassait ! Bon, je ne vais pas chercher à faire des nœuds ou je ne sais quoi. Hop je la remets. Par contre moi, ma victime elle est sanglée sur le plan dur. Voilà. Ça marche ? Le bien-être de la victime. C’est tout. C’est aussi simple que ça !

SPP2 : Sapeur-pompier équipier formateur, CDP : chef de poste de secours SPP1 : sapeur-pompier professionnel formateur L : lieutenant de sapeur pompier en observateur sur l’exercice

Cet échange illustre l’habilité qui doit devenir la norme pour s’adapter à toutes les situations. Les simulations d’action permettent de se mettre en situation et, par l’échange entre pairs, de progresser dans son répertoire de possibilités d’action.

Lors d’un autre exercice de Sauvetage Maritime de Grande Ampleur (SMGA), les acteurs en présence sont très nombreux. Toutes les organisations du secours d’urgences pré-hospitalier sont censées être présentes sur l’exercice. Un scénario est pré-établi entre quelques membres du dispositif de secours. L’exercice consiste en la mise en œuvre de l’évacuation d’un navire en difficulté avec des passagers en situation d’urgence absolue. Ces exercices sont très difficiles à mettre en œuvre : pour celui-ci, plus de 600 personnes ont été mobilisées. Nous avons observé la constitution du méta-collectif au fil de l’action. Ce dernier peut être si vaste que les

institutions en présence dans le scénario n’étaient pas entièrement représentatives de ce qui aurait pu se jouer dans la réalité. En effet, lors du retour d’expérience de cet exercice, certains participants ont fait savoir qu’ils auraient pu, en situation réelle, faire appel à d’autres acteurs. Dimensionner le secours d’urgence en « équipe » reviendrait à limiter le recours à d’autres experts et annihilerait les possibilités adaptatives offertes par un méta collectif. Ces exercices sont appréciés par les participants du SUPH qui peuvent « voir ce que cela donne » (un infirmier SMUR). En effet, ce type d’évènement est peu fréquent. Même si tous les intervenants de cet exercice n’avaient pas nécessairement déjà vécu ce type de situation, nous avons pu observer que tous ont pu se positionner dans l’action, répondre aux urgences simulées. Seuls les participants ayant été impliqués dans à la conception de l’exercice n’ont pu se lancer dans la réelle simulation et répondre aux sollicitations de terrain comme ils auraient dû le faire en situation réelle et ce à cause des enjeux d’un tel exercice : « il faut que tout le monde puisse jouer, il y a beaucoup de moyens engagés dans ce type d’évènement » (un membre de la

préfecture maritime). Le chef de service des opérations de secours du CROSS propose à l’issue de cet exercice de penser à des formes de construction de scénarii de coordination d’action face à des évènements pour qu’ils s’exercent à la mécanique d’évaluation de situation et de recours à d’autres expertises. S’il y a une dimension « entraînement » d’un certain nombre de participants relativement constants du méta-collectif, il y a aussi cette dynamique de relation et de recours à la relation à laquelle il faut se familiariser.

La simulation est de plus en plus utilisée dans les parcours de formation. Des DU fleurissent dans les universités pour encourager les instituts de formation à mettre en place des formations basées sur des simulations. De nombreuses approches par la simulation sont possibles. Par exemple, la HAS propose dans ces fiches de construction des programmes de DPC une partie dédiée à la simulation en santé15. Les sessions de simulation dépassent maintenant le seul apprentissage des gestes techniques. Le professeur de médecine en charge de la formation des urgentistes nous livre à ce propos : « Oui, c’est l’esprit pour les gestes techniques, effectivement. On peut entrainer les gens à faire des gestes techniques avant de le faire sur un patient. […],c’est vraiment un complément de formation sur des compétences… non plus que techniques et non plus que fondamentales, des compétences qu’onn’apprend pas en médecine, mais qui sont des compétences de communication, d’organisation, de direction des soins. De d’intégration dans une équipe. Et ce sont des choses qui sont complexes, qu’onn’apprend

15 Fiche technique « méthode simulation en santé et DPC » [en ligne] consulté le 15 mai 2018 disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_930641/fr/simulation-en-sante

pas du tout en médecine », il précise que « c’est un vrai plus parce qu’on touche non pas les connaissances fondamentales, on leur demande… à ce qu’ils arrivent en séance de simulation en ayant les connaissances qu’ils ont. Ils les ont, ils ne les ont pas. C’est leur problème. Mais là, on les met en situation…d’exécutants et non plus d’apprenants. Ils sont face à une situation clinique dans un scénario simulé le plus réaliste possible. Et force est de constater que les… étudiants, sont extrêmement stressés devant ces situations-là. Et là, les enseignants sont à distance, derrière une vitre, observent les réactions face à une situation, une situation réelle avec du matériel réel, et un mannequin qui simule un patient. On a des mannequins de plus en plus perfectionnés. Et là, avec des équipes réelles, un infirmier, un brancardier, un pompier, un médecin, deux médecins, un interne, un étudiant en médecine comme dans la vraie vie si j’ose dire. Et là, on examine un petit peu, comment ils arrivent à mettre en pratiques, dans une situation donnée, les connaissances qu’ils ont accumulées, est ce qu’ils arrivent à recruter ces connaissances d’une part, et deuxièmement on évalue également, leurs capacités à communiquer dans l’équipe… leurs capacités à communiquer avec le patient. Les capacités à organiser les secours sur le terrain de l’action et ensuite ça permet d’appréhender, voilà, des compétences qu’on ne peut pas enseigner en cours ou qui sont très… très… qui vont être abordées très superficiellement. Enfin, c’est extrêmement riche, à la fois pour les enseignants et extrêmement riche pour les étudiants».

Simulation et exercice peuvent être des voies pour travailler les modèles mentaux et construire les attributs de la communauté à distance de l’urgence, de la tension générée par l’importance de la gestion d’une ressource commune. Le partage sur des difficultés de coordination est alors plus objectif, l’appréhension n’est plus la même dans les échanges. Lors des séances de retour d’expérience à propos de l’exercice de secours de grande ampleur, nous avons pu observer une diversité des propositions d’actions correctives proposées par tous les participants. Lors des retours d’expérience de dispositif de secours de grande ampleur (comme la sécurisation du tour de France), les propositions existent mais sont contraintes par les faits décrits et l’imagination des participants ne s’expriment pas aussi nettement : le discours est formalisé pour ne pas susciter de polémiques ou être détourné par les médias, de son intention première à savoir l’amélioration continue ou la critique constructive.

3.3 Aspects pratiques de la coordination en contexte