• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Analyse et développement institutionnel du système de secours d’urgence pré-

1. Les arrangements institutionnels

1.1. Attributs du monde biophysique

Les situations d’action se déroulent sur le territoire du département de la Manche dans le cadre d’une réponse sanitaire d’aide médicale urgente. Deux types d’attributs sont identifiables : ceux de l’environnement naturel, changeant, décrit dans notre présentation du terrain et ceux correspondant au monde de la santé et du secours, c’est-à-dire le monde de l’incertitude médicale en contexte d’urgence. Ces deux attributs sont maîtrisés par les acteurs. Tous peuvent décrire les spécificités du site sur lequel ils exercent le plus fréquemment. Ils sont particulièrement conscients du caractère périlleux de certaines missions. Par exemple, sur l’archipel de Chausey (situation 3), la difficulté est de s’adapter au sol instable de la falaise dont

l’accessibilité est contrainte par les horaires des marées (à la fois pour accéder au niveau de l’accident mais également pour faire partir un navire de secours depuis le port le plus proche (impossibilité de sortir du port à marée basse). Au niveau du chantier EPR de Flamanville, la difficulté est de composer avec des bâtiments présentant des circuits de sécurité imposant du fait de la sensibilité du site (risque de contamination importante du personnel et du matériel mais également risques liés au contexte de vigilance attentat). Sur le tiers du département, le réseau routier est soumis aux variations des niveaux d’eau, notamment par les marais, sur une surface de 30000 Ha au centre du département (Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin, 2010), cela peut nécessiter le contournement de cette zone pour rejoindre un centre hospitalier. Nous l’avons observé dans la situation 1, où le transport sanitaire effectué est allongé par des routes impraticables tant les marais sont gorgés d’eau et envahissent les routes. Ainsi, l’environnement changeant (localisation, météo et événements locaux rassemblant du public) peut changer la manière d’agir. Sur l’archipel de Chausey, l’ordre habituel d’intervention peut être revu : les secouristes sont intégrés à la vie de l’île. Dans la situation 3, une personne a fait une chute dans les rochers. Les secouristes sont prévenus par un appel au secours verbal (c’est-à-dire en personne, sans téléphone) et doivent intervenir sur ce secteur particulièrement isolé de l’île, le secouriste présent sur l’intervention rapporte que « la dame avait chuté carrément à l'autre bout de l'île parce que c'est assez mal pavé en fait. ». L’équipe de secours s’organise alors pour faire face à ces conditions environnementales spécifiques, ce même secouriste détaille que « Donc, nous, on est parti en reconnaissance, et G et B avec le quad. Parallèlement on a fait déclencher un nos bips et on a fixé nos interventions via le 18, donc le CODIS ! « Déclenchez-nous pour une personne blessée à tel endroit » le bilan suivra dès qu'on aura les infos ! ». Pour s’adapter à l’environnement, les secouristes créent un relai entre le terrain, le poste de secours et le centre de traitement des appels départemental. Le bilan du secouriste auprès de la victime confirme la suspicion de traumatisme évoquée lors de l’appel au secours. La situation clinique de la personne ne permet pas à celle-ci de se déplacer (atteintes aux genoux et aux épaules). Ainsi l’équipe demande un renfort de brancardage au poste de secours de l’île : le dernier équipier disponible part donc sur le site de l’accident pour aider le brancardage et ainsi faire le bilan complet et précis à l’abri : « le troisième est parti là-bas pour filer un coup de main pour le brancardage. Avec le quad et la barquette qu'il y a dans le quad. On l'a ramenée ici pour parfaire le bilan... de G » (un secouriste SPV saisonnier). La gestion de l’environnement instable impose un déplacement conséquent de la victime avant la réalisation d’un bilan précis. Sur un archipel comme Chausey, le nombre de professionnels de secours est restreint et l’organisation de l’arrivée de renfort sur l’île peut être complexe (un

moyen aérien est-il disponible ? les conditions de mer sont-elles favorables ?). Ainsi, les secouristes se sont rapprochés de la population locale dans laquelle certaine personne peuvent avoir des compétences médicales. Dans cette situation, une évaluation médicale est souhaitable tant les traumatismes semblent handicapants et douloureux pour la personne, le secouriste nous confie : « On a la chance d'avoir des médecins sur l'île qui sont en vacances et qui se présentent. Pas tous. Mais certains se présentent. Donc, là par exemple, là, le Dr A, bah on sait qu'il est là pendant trois semaines à partir de cette date-là. Donc, il accepte de se faire entre guillemets solliciter. […] Là, on a fait appel à [lui] pour avoir un avis médical. Et après, avec tous ces renseignements-là, on a complété notre fiche bilan. ». Le bilan réalisé, il faut décider de la prise en charge avec les équipes du « continent ». Dans cette situation, il faut impérativement composer avec l’environnement. Le secouriste nous dit à ce propos : « Et puis, c'était marée basse, donc... les portes à Granville n'ouvraient pas avant 22H30 donc, 3H après l'intervention ! Donc, c'est vrai qu'on a insisté auprès du centre 15 …. pour avoir l'hélico et avoir l'évacuation la plus rapide. Par voie aérienne, donc, l'hélico est arrivé. Donc, on a rebrancardé la dame qui était ici dans le quad et on est remonté jusqu'à la zone où se pose l'hélico, au niveau du phare ».

Dans le cadre d’une intervention sur un lieu recevant du public (action dans un supermarché pour la situation 14 et action de secours dans un lieu touristique pour la situation 4) la préservation de l’intimité de la victime est recherchée en priorité comme nous le dit le chef d’agrès de la situation 14 : « il faut se mettre à l’abri des regards, c’est la difficulté ». L’accès à la situation peut être compliqué par le comportement des badauds qui s’arrêtent devant l’ambulance en chemin. Toujours dans la situation 14, un des sapeurs-pompiers doit sortir de l’ambulance pour réguler la circulation et frayer un chemin pour le véhicule de secours. Le conducteur de l’ambulance confie « Moi, je n’aime pas le rôle conducteur, parce que c’est le mec le plus embêté, ce n’est pas le chef d’agrès. Parce que là, s’il y en a qui déboule et qui m’accroche, c’est à moi de faire le constat. Et puis les gens quand ils nous voient, ils ne font plus attention à rien sauf à notre passage, il faut être encore plus attentif... mais ça fait 14 ans que je suis pompiers, j’ai toujours pas eu…j’ai de la chance. Juste un petit rétro une fois avec le gros camion. mais c’est tout. Là c’est nos missions, c’est lieu public donc, oui, il y a du monde à regarder et il faut composer avec ». Les équipes peuvent s’accommoder d’espaces exigus pour réaliser leur bilan et manipuler leur matériel. Dans la situation 4, l’ambulance est stationnée dans l’enceinte de la Cité de la Mer de manière à cacher la victime du passage des touristes. Les secouristes se répartissent entre les réponses aux badauds et la réalisation du bilan afin de préserver l’intimité de la personne qui peut montrer des réticences à la prise en charge

lorsqu’elle voit les professionnels s’accumuler autour d’elle, dans la situation 4, elle est alors victime d’une douleur violente paralysante et exprime « heureusement qu’iln’y a pas non plus l’hélico ».

Les situations d’action se déroulent dans le champ sanitaire qui possède ses codes propres avec un vocabulaire bien spécifique. Le vocabulaire des pathologies et des services associés pour les traitements et prise en charge des patients rencontre le champ du secours qui a ses propres codes. Par exemple, le patient, du champ sanitaire, devient une victime pour les acteurs du secours. Cette différence de termes, peut se retrouver dans les logiques des acteurs. Nous pouvons l’illustrer en prenant l’exemple de la situation 17. Lors de la sécurisation du passage du Tour de France, un dispositif de sécurité de grande ampleur est mis en place pour assurer la prise en charge de nombreuses victimes. Des postes de secours sont dispersés le long du parcours et plus particulièrement sur les départs et arrivées de la course. Tous les acteurs de la sécurité, du secours et de la santé sont mobilisés. Ils ont anticipé cette organisation un an à l’avance afin d’assurer une capacité d’intervention sur tous types de risques dans des lieux isolés. Dans la situation 17, nous sommes à Utah Beach, une des plages de la côte Est du Cotentin, à la limite entre les départements de la Manche et du Calvados. Le littoral est fait de larges plages de sable séparé des marais par une bande dunaire, Utah Beach s’étend sur 5km entre les communes de Sainte Marie du Mont et Quinéville. Des routes départementales légèrement surélevées permettent de relier Utah Beach à Sainte Mère Eglise dans un maillage complexe issu du passé agricole de la région. Ce maillage complexe de routes sinueuses et étroites est cependant parfait pour une course cycliste à travers le département. Afin de sécuriser la course, il est nécessaire de clarifier tous les accès et liens entre les différentes routes. Une cartographie a été élaborée pendant la phase de préparation de l’événement avec des circuits de circulation dédiés aux ambulances et aux véhicules de sécurité qui peuvent ainsi entrer ou sortir de la zone à sécuriser sans difficulté et sans gêner le bon déroulement de l’événement. Ainsi, au moment du passage de la course, tous les déplacements sont contrôlables et envisageables selon un certain itinéraire. Les différents acteurs de la sécurité et du secours sont positionnés au niveau du poste médical avancé, dans des postes de secours ou des points de ralliement. Les secouristes (sapeurs-pompiers, sécurité civile, croix rouge) sont postés, le directeur des secours médicaux (DSM) prend le temps de vérifier « l’armement » de tous les postes avant le passage de la course et l’arrivée de la foule. Des canaux de communication sont répartis entre les différents postes de secours et participants. Comme en casernes, ou comme sur les postes avancés de sécurité, les agents restent en veille « au cas où » et sous les ordres du Directeur des

Secours Médicaux (DSM). Le cadre des actions de secours est donc défini, normé et avec des règles de fonctionnements collectivement définies et connues.

Cependant, une équipe SMUR prend l’initiative de faire du repérage devant l’absence d’intervention de secours au PMA (Poste Médical Avancé) sans formaliser cette prise de décision auprès du DSM. Ainsi, un véhicule et son équipe SMUR se déplacent sur le secteur à sécuriser. Lors de l’accident pour lequel les services de sécurité sont mobilisés, la présence fortuite de l’équipe SMUR à proximité de l’accident permet de réaliser un bilan détaillé de la situation par une équipe médicale : l’intervention de l’ambulance de secouristes est retardée par le passage de la course cycliste.

Les équipes de secours de ce contexte polycentrique ont développé une capacité à s’approprier un environnement complexe et évolutif. Ils rassemblent les informations disponibles sur le site en mobilisant les connaissances personnelles des différents participants à une action et les connaissances professionnelles par voie d’expertise des institutions partenaires de l’action. Un médecin sapeur-pompier volontaire et aussi urgentiste en centre hospitalier évoque à propos des protocoles et de l’adaptabilité des équipes aux contraintes de l’environnement : « Les protocoles ! [tout n’y est] pas forcément. Parce que quelqu’un qui est tombé dans l’escalier, il n’y a pas forcément de protocole. Les pompiers oui, c’est assez carré. Plan dur, coquilles, maintien tête…. Après pour un accident avec quelqu’und’incarcéré, ils ont des formations pour ça. Parfois, nous [le SMUR] peut être, on est intervenant, on peut trouver que c’est très long. Pour …. Sortir une victime de voiture parce que… il faut couper telle partie et parfois ça peut être long et on peut pousser pour que ça aille plus vite. Oui… on suit des grosses pathologies et donc des protocoles mais on ne peut pas en avoir pour tout. Il y a des choses inattendues et sur lesquelles il faut… réfléchir et prendre des décisions ensemble… je ne dis pas qu’on crée la science sur place. On ne la crée pas. Quelqu’un qui a 6 de tension, faut le remplir. Le protocole de remplissage oui, ça existe, quelqu’un qui saigne, il faut faire une compression, sur le point de saignement, quitte à faire une suture si c’est une plaie du scalp qui est très hémorragique, oui, on peut penser qu’il existe des protocoles mais très souvent, au-delà du protocole, il faut du bon sens. Pour prendre des décisions rapidement tous ensemble avec nos apports respectifs. »

Ainsi, même si l’environnement est particulièrement variable, les équipes, quelle que soit leur composition, s’emploient à créer un climat d’intervention propice à la production d’un bilan circonstanciel et d’urgence vitale précis. Cela passe par la stabilisation de l’environnement dans lequel ils interviennent ou le déplacement vers une zone de sécurité.