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Chapitre 2 : Coordination et arène d’action, et si seulement si…

2. Institution et coordination dans l’arène d’action

2.2. La coordination en action et ses effets sur l’institution

La diversité des approches permet aux acteurs d’entrer en débat et leur permet de mobiliser leurs expériences passées face à celles qu’ils rencontrent. Ainsi, les acteurs pratiquent, à chaque instant, une forme de retour d’expérience. Les temps de transport avant et après la prise en charge de terrain permettent aux acteurs de communiquer avec les différents acteurs de la situation à distance et ainsi d’évaluer la situation. Les conséquences des erreurs sont rapidement perçues et les mesures à envisager sont élaborées simultanément. Ainsi, un directeur des secours médicaux rapporte « c’est ça qui est amusant : en même temps que l’ARM que j’avais

à côté de moi, et qui était avec le SAMU et demandait : mais qu’est-ce qu’ils font le VSAV pourquoi ils ne transportent pas ? Le régulateur a dit de transporter. Alors que moi, j’avais un autre régulateur qui me demandait punaise, il faut absolument que le SMUR y aille trouvez-moi un passage par où il faut aller. Là c’est rigolo, deux appels contradictoires et avec les décideurs ! Le VSAV demande, la VLI demande, […] donc, voilà on a su. Et ensuite on peut travailler là-dessus ».

Nous avons observé des situations où les participants des arènes d’action théâtralisaient les éléments de bilans pour obtenir les moyens de secours qu’ils estimaient les appropriés à la situation, sur le terrain. Ceci nécessite une maîtrise particulière des règles en vigueur de manière à les utiliser dans le sens souhaité. Parallèlement, les institutions SDIS et hôpital et ambulanciers privés travaillent ensemble pour comprendre et juguler la montée exponentielle de l’activité secours à personne. Cette réflexion est présente dans les équipes comme chez le législateur depuis la publication du référentiel commun de 2008 précisant l’organisation du secours à personne et de l’aide médicale urgente. Dans la Manche, cela se traduit par la signature d’une convention entre SAMU et SDIS sous le pilotage du Préfet. Cependant celle-ci n’a pas nécessairement permis de faire consensus. Les retours d’expériences mis en place montraient les difficultés des équipes de terrain pour obtenir le concours d’un SMUR alors que celui-ci était souhaitable. Il était trop régulier d’entendre des plaintes des médecins régulateurs sur la précision des bilans des secouristes. L’analyse conjointe SAMU-SDIS des événements indésirables recensés par les équipes de terrain a permis de retravailler certaines consignes partagées entre les institutions qui ont ensuite été transmises lors de formations animées « ensemble » par des acteurs des différentes institutions.

Cependant, même si les missions sont connues par tous les acteurs, les réalités du terrain et la disponibilité des équipes médicales peuvent décider de la coordination des moyens : les sapeurs-pompiers, répartis sur tout le département, sont plus rapidement sur les lieux que les ambulanciers privés. Un bilan rapide dans le cadre d’un malaise à domicile par une équipe de sapeurs-pompiers (situation 8 et 11) permet d’éviter l’envoi d’une équipe médicale qui ne pourrait pas être sur les lieux aussi rapidement que les équipes de sapeurs-pompiers. Le SAMU aura donc tendance à s’appuyer sur les compétences secouristes des sapeurs-pompiers, même si la mission ne relève pas nécessairement du SDIS, ils peuvent ainsi limiter le recours aux équipes hospitalières qui peuvent rester disponibles au sein du service des urgences. Considérant le taux de remplissage des urgences, limiter le nombre de prise en charge impliquant un transport pour orienter le patient vers un médecin traitant est à rechercher. Nous

avons pu observer, dans la moitié de nos situations, que les urgences des hôpitaux étaient surchargées au point que les sapeurs-pompiers pouvaient être amenés à aider les équipes des urgences à aménager des places pour les patients qu’ils transportaient. S’il est intéressant de penser à l’encombrement des urgences, il convient également de considérer l’indisponibilité de l’ambulance utilisée pour un transport sanitaire injustifié. Dans le sud de la Manche, rural, les moyens sont dispersés, l’indisponibilité d’un VSAV implique la sollicitation d’une ambulance plus lointaine, à au moins 20 minutes.

L’ensemble de ces éléments de coordination de terrain interrogent d’autres niveaux institutionnels, comme en témoignent les mots du président du conseil d’administration du SDIS lors d’un discours Sainte Barbe en 2015 : « il faut trouver une solution à cette augmentation exponentielle des missions de secours à personnes, cela n’est plus possible de solliciter nos pompiers pour des missions relevant du champ de la santé ». La sollicitation régulière des services de sapeurs-pompiers pour ajuster au plus près les moyens à la situation en préservant les médecins hospitaliers a entrainé une augmentation de 30% de l’activité des sapeurs-pompiers (Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de crise, 2015). Ceci n’est pas sans conséquences : certains secteurs ne peuvent plus assurer leurs opérations. L’impression ressentie par les équipes est qu’il y a une dérive dans les missions qui ne sont pas du ressort des sapeurs-pompiers : « on a encore fait du social » (situation 16). Cette impression avait été objectivée en avril 2013 dans une étude interne au SDIS de la Manche : 60% des interventions ne nécessitant pas la présence de sapeurs-pompiers.

Devant l’ensemble de ces constats de terrain, lors de la publication de la circulaire de 2015 présentant le Secours d’Urgence A Personne (SUAP), les décideurs de secours d’urgence ont souhaité travailler ensemble sur la construction d’un schéma commun. Le médecin responsable du SAMU évoque que « la circulaire a recadré » les missions et moyens de chacun. Ainsi s’appuyant sur les ressentis et retours terrains, autant concrets par l’analyse de l’activité qu’indirects par les ressentis transmis, il a été possible d’envisager la mise en place d’un schéma commun de gestion du « SUAP » conçu en inter institutionnel. Une nouvelle convention SAMU-SDIS a ainsi été rédigée. Ce travail en commun a permis de mettre en évidence des difficultés de coordination. La première se situe dans le langage. Si l’exemple classique est l’usage des termes « Victime » et « Patient » selon les institutions, il y a surtout la logique d’action associée au terme « prise en charge » utilisé par les acteurs du champ sanitaire. La prise en charge est individuelle et unique, elle est une rencontre avec les acteurs de la santé. Les autres participants des actions de secours vont parler en « sinistre ». Ce terme renvoie à une

dimension plus large en prenant en compte les risques associés (la fuite de produits toxiques par exemple, le sur accident dans la situation 12). Ainsi un travail sur les termes et les idées associées a été initié. C’est la distinction entre « voie publique » et « lieu recevant du public » qui a été la plus problématique et a fait l’objet de nombreux débats. En effet, une voie publique, c’est une rue, une route, mais qu’en est-il des squares et des plages ? En effet, en ces lieux, un départ réflexe ne préjuge pas de la gravité médicale de la situation (circulaire du 5 juin 2015), par contre, la notion de trouble à l’ordre public justifie un départ réflexe. Concernant l’établissement recevant du public, pour les sapeurs-pompiers, il s’agit de lieux répondant à des normes et des engagements lors d’incendies plus ou moins importants en fonction d’une classification nationale, totalement inconnue des médecins et des ARM. Pour ces derniers, ce sont des bâtiments accueillant des personnes. Cependant la prise en charge en ces lieux est complexe. Pour trouver un point d’accord, la notion de lieu protégé a été proposée. Un lieu protégé est un établissement recevant du public qui possède un cabinet médical ou une infirmerie. Il a été décidé qu’en dehors d’une urgence nécessitant un départ réflexe, ces lieux nécessitaient une régulation, et que si le lieu était qualifié de protégé, une ambulance privée pouvait être envoyée.

Nous pouvons dire que la coordination sur le terrain est faite d’ajustements perpétuels pour que les règles puissent permettre l’action et que ces ajustements conduisent à une refonte de ces mêmes règles.

3. Des situations connexes et la situation d’action : les