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Chapitre 2 : La dimension institutionnelle de la coordination : quelles perspectives ?

1. Analyse institutionnelle et coordination

1.1. Analyse institutionnelle

L’analyse institutionnelle s’est développée ces cinquante dernières années à travers l’étude dans les sciences de l’homme des relations et enjeux de pouvoirs institutionnels localisés - dans l’éducation et l’enseignement notamment - parallèlement à des analyses macro-sociales sur des institutions globales - psychiatrie, partis politiques. L’ambition des analyses institutionnelles était de rapprocher dimensions « micro et macrosociales des réalités étudiées en tentant de comprendre, à la fois, comment l’universel sociétal se réfracte dans la singularité des situations institutionnelles localisées et comment celles-ci tissent celui-là » (Monceau et Savoye, 2003, p. 1). L’analyse institutionnelle souhaitait étudier le « social-en-train-de-se-faire » (Monceau et

Savoye, 2003, p. 1). Un courant est né permettant de penser l’institution comme un phénomène dynamique. Cependant, la tâche de l’analyse institutionnelle est complexe : elle demande de conceptualiser les institutions en étudiant les individus qui interagissent, en considérant que la motivation ou non à suivre des règles est centrale dans l’analyse. Elle nécessite de proposer un appareil conceptuel d’analyse permettant d’étudier l’institution dans le temps par l’étude de la pérennité, la transformation endogènes, l’influence réciproque entre institutions antérieures et ultérieures (Greif 1998, 2009).

L’analyse institutionnelle propose une approche de l’action collective fondée sur l’observation des individus en interaction tout en intégrant les aspects de l’environnement qui peuvent conditionner les interactions. Cette approche ouverte de l’action collective par l’inclusion de tous les facteurs externes à l’interaction est assimilable à la conception située de la coordination.

1.2. Objets de l’étude de la coordination

La coordination des équipes est recherchée dans le but d’améliorer la performance d’une organisation réalisant des tâches partagées. Celles-ci relèvent du travail qui peut être réalisé dans le cadre de l’activité d’une organisation ou d’une activité nécessitant l’intervention de plusieurs institutions. L’activité est un concept relativement abstrait. Dans la littérature économique et managériale, travail et activité peuvent se substituer l’un à l’autre. Pour Harribey (1998) l’activité est une « manière d’utiliser son temps de vie. Ce peut être effectuer un travail productif, mais aussi accomplir des tâches domestiques, lire, écrire, chanter, jouer, discuter, intervenir socialement et politiquement, parler avec ses enfants, aimer, dormir, ou même ne rien faire du tout, les yeux éveillés. » (Harribey, 1998, p. 29).

Les activités peuvent ainsi être productives, politiques, culturelles et affectives (les quatre types d’activités d’Aristote à Arendt précisées en note de bas de page (Harribey, 1998, p. 29). L’activité dépasse donc la seule activité économique habituellement évoquée. Elle peut avoir un but ou non. Elle peut se suffire à elle-même (dans le cadre d’activité culturelle par exemple), ce n’est pas une occupation.

Le travail peut être défini comme l’« activité poursuivie dans le but de produire des biens et services à usage domestique ou non domestique » (Harribey, 1998, p. 29). L’activité de travail appelle les activités individuelles des acteurs par leurs approches analytiques de certains problèmes à résoudre collectivement. Les aptitudes individuelles issues de leur éducation singulière peuvent être mobilisées et appellent ainsi d’autres institutions, extérieures au travail proprement dit.

Les activités de travail sont de plus en plus complexes (Bonnet, 2010) : elles mettent en jeu des techniques de plus en plus exigeantes, dans des environnements interdépendants. Qu’entend-on par complexe ?

Edgar Morin (Dortier et Yousfi, 2013 ; Morin, 2005) prône un système de pensée complexe. En effet, l’organisation de la connaissance sépare, unit, hiérarchise puis centralise les idées, selon une logique unique. Pour penser complexe, il faut modéliser la pensée comme un tissu de constituants hétérogènes inséparablement associés mais aussi un tissu d’événements, actions, interactions, rétroactions déterminations et aléas qui constituent notre monde phénoménal. Edgar Morin propose de substituer au paradigme de disjonction, réduction, uni-dimensionnalisation un paradigme de distinction, conjonction qui permet de distinguer sans disjoindre et d’associer sans identifier ou réduire. Dans la vision complexe, si l’on aboutit à des contradictions, cela ne signifie pas nécessairement une erreur mais un niveau de réalité différent, qui, justement parce qu’il est différent, n’est pas traduit dans notre logique. La vision complexe amène à penser qu’il y a une réalité autour des réalités que nous étudions. E Morin donne l’exemple des sciences sociales dans lesquelles il y a une réalité économique, une réalité psychologique et une réalité démographique. Dans l’économique, il y a des besoins et des désirs humains, derrière le financier, il y a des passions, de la psychologie humaine et ce, même pour un phénomène que l’on a étiqueté économique. La complexité relève de l’incertitude, de l’incapacité d’être certain de tout, de formuler une loi de concevoir un ordre absolu.

Penser la complexité des activités de travail conduit donc nécessairement à aborder la coordination inhérente à ces activités partagées. Cela requiert une méthode d’analyse agençant les différents niveaux de réalités qui s’agencent dans le processus de coordination des activités partagées. La prise en compte de l’environnement, plus précisément de l’écosystème dans lequel la coordination se déroule et qui la co-construit, est essentielle sans l’écarter des individus. L’étude de la coordination des activités de travail complexes et des individus en équipe, requiert donc une approche permettant de rendre compte à la fois les dimensions individuelles, cognitives et des dimensions collectives au sein d’un écosystème soumis à des contingences. La perspective située de la coordination étudie les pratiques des acteurs en prenant en compte les aspects institutionnels déterminant les actions des acteurs et déterminés par les acteurs eux-mêmes. Le rapprochement de l’analyse institutionnelle et de l’analyse située des pratiques permettrait donc d’affiner notre compréhension de la coordination.

1.3.L’analyse institutionnelle de la coordination

L’analyse institutionnelle permet de détailler les interactions entre les individus, de comprendre les changements opérés avant et pendant l’action. Ces changements s’intègrent ensuite dans l’institution. L’analyse institutionnelle permet l’observation du social en train de se faire, avec une approche dynamique des interactions des individus. L’appareil conceptuel et analytique de l’analyse institutionnelle permet d’étudier la pérennité d’un système et de comprendre les transformations de celui-ci (Greif, 2009). L’analyse institutionnelle offre la possibilité de relier des dimensions macro - la structure des organisations sociales et de travail - et micro - la motivation à suivre une règle par des individus. Nous avons vu dans les différentes perspectives d’analyse de la coordination que l’approche pratique souhaite se concentrer sur les interactions entre les individus et l’environnement en prenant la vraie vie en train de se faire. Cette perspective prend en compte les aspects cognitifs de la coordination tant la réflexivité est présente dans la mise en place de pratiques de coordination. Cependant, cette approche est située : elle présente des pratiques dans un contexte sans faire nécessairement de liens d’aller et retour entre contexte et interactions. L’apport de l’analyse institutionnelle serait-il adapté pour comprendre ces effets récursifs ? Serait-il possible d’envisager la combinaison d’une analyse des pratiques de coordination avec une analyse institutionnelle afin de mieux comprendre comment les équipes se coordonnent dans des contextes de complexification des activités de travail liée à la diversité des organes en présence ?

Ostrom E. propose un cadre d’analyse institutionnelle qui prend en compte la diversité institutionnelle (Ostrom E., 2005) en mobilisant le concept de polycentricité. Nous allons à présent étudier ce cadre de manière à construire notre outil d’analyse de la coordination mobilisant l’analyse institutionnelle.

2. Coordination et diversité institutionnelle :