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Chapitre 1 : Analyse et développement institutionnel du système de secours d’urgence pré-

1. Les arrangements institutionnels

1.2. Attributs de la communauté

La communauté du secours d’urgence rassemble de nombreux professionnels aux parcours et formations très variables : le secouriste volontaire ou le bénévole peut avoir une profession très éloignée des champs de l’urgence sanitaire, alors que d’autres professionnels ont commencé leur carrière comme jeune sapeur-pompier (avant 18 ans) et sont entrés dans les rangs des sapeurs-pompiers professionnels rapidement à leur majorité. Nous pouvons observer le même phénomène pour les professionnels de santé des hôpitaux qui ont exercé depuis toujours dans la région et se connaissent entre-eux. Le territoire de la Manche, une presqu’île, favorise également le faible turn-over dans les professionnels qui exercent sur le département dans les champs sanitaires, ils sont nés dans la région et y tiennent. Ils défendent les centres hospitaliers qu’ils ne veulent pas voir fermer ou restreints dans leurs activités (Béguin, 2016 ; Granvillais, 2014). Des conflits peuvent s’observer entre les différents centres hospitaliers du département pour légitimer la place d’un centre par rapport à un autre. Il en va de même dans la relation entre professionnels de différentes catégories (médicale, paramédicale et secouriste). En effet, la régulation médicale est déterminante dans les actions de secours et elle revient aux médecins qui, seuls, peuvent poser un diagnostic. Cet aspect peut profondément déplaire aux équipes au contact physique de l’urgence, qui, prises dans cette urgence peuvent être en difficulté face à une lenteur ressentie « de la régulation » (un équipier SP) dans le diagnostic. De même, les équipes au contact expriment qu’il peut y avoir parfois une forme de négligence d’éléments cliniques qu’eux perçoivent comme vitaux. Ces signes cliniques peuvent ne relever « que » d’une urgence fonctionnelle et non vitale. Cette distinction peut être délicate à réaliser par des professionnels non médicaux alors qu’elle est le quotidien des équipes médicales de la régulation. L’entretien avec un médecin régulateur du SAMU 50 (situation connexe en salle de régulation) nous révèle que certaines urgences avec une forme de violence peuvent être perçues par les équipes de terrain comme une urgence absolue et vitale, alors qu’elles sont bien en réalité des urgences fonctionnelles : « la distinction est difficile à faire avec les émotions mais elle est pourtant fondamentale pour la gestion des parcours d’urgence». Ce médecin présente la difficulté de contenir ses émotions devant une section incomplète d’un doigt (le cas clinique du moment) où le saignement abondant associée à la vue du membre sectionné peut être impressionnante pour tous. Il y a une urgence : celle de faire une chirurgie qui permette de conserver un fonctionnement normal de la main et du doigt, mais il ne s’agit pas d’une urgence vitale.

Si le type d’acteurs par institution caractérise ces dernières en termes de possibilités d’action médicale, le nombre d’acteurs par institution est très différent. Le faible nombre de médecins coté SMUR encourage à la parcimonie dans leur sollicitation alors que les sapeurs-pompiers répartis sur tout le département selon le SDACR vont davantage opter pour des déclenchements de secours rapides et systématiques. Un directeur adjoint du SDIS évoque que les sapeurs-pompiers agissent dans une « logique assurantielle ». La ressource n’est pas autant limitée que la ressource médicale, il est donc possible de redimensionner (en nombre et en compétence) en cours d’intervention si l’équipe envoyée sur les lieux n’est pas adaptée. C’est le cas dans la situation 2 : l’opérateur du Centre de Traitement des Appels (CTA) déclenche un moyen infirmier sapeur-pompier en plus de l’ambulance de secours sapeur-pompier. L’urgence médicale pourrait nécessiter des gestes plus techniques que les gestes de premier secours. Cependant, lors du bilan de l’équipe de secouristes, ceux-ci écartent le besoin de compétences paramédicales. L’intervention de l’infirmier est donc annulée par le médecin régulateur du SAMU ayant pu documenter sa décision de prise en charge d’éléments cliniques clairs et probants à l’aide du bilan du secouriste. Cependant, cette annulation n’est pas transmise au CTA du 18 de manière à annuler le départ de l’infirmier en chemin vers l’intervention. Ce dernier arrive sur les lieux et ne comprend pas pourquoi il n’est plus attendu. Ce déclenchement excessif de moyens n’a pas de conséquence sur les autres interventions de secours du département : il y a d’autres équipes disponibles et prévues au sein des SDIS. Cette logique assurantielle ne peut pas être envisagée du côté des équipes SMUR. La répartition et les actions des médecins SMUR du département sont particulièrement suivies et minutées par les équipes de la régulation : le recours aux équipes SMUR pour une urgence pré-hospitalière prive les équipes hospitalières d’un binôme médecin-infirmier. Ainsi, le recours aux équipes des SDIS est plus aisé. Cependant la diversité des ressources d’intervention des SDIS est peu connue par la régulation médicale en dehors du statut des véhicules des centres de secours (disponible, en opération, retour). Lors d’une situation connexe dans une salle de régulation d’un département limitrophe au département de la Manche, un des médecins de la permanence des soins ignorait la présence d’infirmiers de sapeurs-pompiers à proximité de la limite du département. Pourtant, ces derniers peuvent mettre en place des « protocoles infirmiers de soins d’urgences » (PISU). Ces protocoles sont co-signés par tous les médecins des services de santé et de secours médicaux de la région et les médecins responsables des SAMU de la région. Ils décrivent les conditions d’administration de médicaments et de soins dans des cas cliniques précis. Si ces dispositifs ne peuvent remplacer une expertise médicale d’un médecin urgentiste réanimateur, ils peuvent cependant permettre des prises en charge à haute technicité avec un médecin à

distance. Cela permet de « garder » la ressource médicale disponible pour une intervention qui ne pourrait être envisagée dans le cadre des PISU. Le recours aux « infirmiers PISU » dans la Manche est assez courant mais est inégalement développé sur la région Normandie.

Les sapeurs-pompiers sont répartis sur tout le département de manière quasi uniforme en respectant le schéma départemental de couverture des risques, le SDACR : 47 centres de secours sont présents sur le département. Cependant, il n’en est rien pour les ambulanciers privés. Ils s’implantent où ils le souhaitent après validation de l’ARS qui contrôle la densité régionale de structures d’ambulances privées. De la même manière, les équipes SMUR se partagent le territoire avec 7 « lignes » de SMUR. Cette différence dans le nombre d’équipes peut mener à des incompréhensions des acteurs devant certaines difficultés sur le terrain où la priorisation d’activités ne fera pas consensus. La médicalisation est régulièrement souhaitée par le terrain mais pas toujours envisageable depuis la salle de régulation ; c’est le cas dans la situation 13 où une infirmière libérale ne peut continuer à prendre en charge un patient souffrant de détresse respiratoire chronique et qui présente une altération majeure de son état général. Une intervention médicale est nécessaire et les secouristes sapeurs-pompiers envoyés sur l’action en sont conscients. Cependant, la disponibilité des SMUR est telle, que dans ce cas, le transport vers un centre hospitalier est plus rapide que le déplacement d’un SMUR.

La communauté du secours d’urgence se rassemble sur l’aide médicale d’urgence avec des nuances en termes de prérogatives. Le médecin du SAMU 50 nous rapporte « nous n'avons pas les mêmes missions, et effectivement les sapeurs-pompiers ont une disponibilité constante sur l'ensemble des missions de secours, les ambulanciers se mettent à disposition sur des moyens qui sont plus légers. Je reste... ils restent très adaptés pour les missions de secours à domicile. Et quant aux SMUR nous avons là, une réponse, comment dire, professionnelle, de de différents besoins, enfin, tous les types de besoins, médicaux sur tous les types de situation. Le point commun à l'ensemble de ces secours-là, c'est leur adaptabilité, la mobilité. Mais sur des missions pas tout à fait identiques, qui se superposent. Ça reste une chaine de secours, si on prend les pompiers, ils ont un temps de trajets, avec un temps d'immobilisation qui est long, les équipes de SMUR ne peuvent pas se permettre ça. En sachant que lorsque les appelants sont en relation avec le 15, on donne les premiers conseils et l'assistance téléphonique en direct pour que les gestes d'attentes de secours fonctionnent, c'est donc, une chaine. Donc nous n'avons pas les mêmes caractéristiques professionnelles, ni même... pas toujours une culture commune, on reste par contre, toujours dans cette chaine ». Il complète ses propos à propos de la culture en nuançant les approches de l’action « La culture médicale est un peu particulière,

c'est un entre soi sur des études qui sont assez longues, l'apprentissage du métier de médecin se fait sur... le modèle d'une relation duelle contractuelle avec le médecin et le malade. Avec des règles de confidentialité qui sont particulières. Les sapeurs-pompiers et eux font du secours à personne. Sur des procédures et des protocoles. Qui leur sont propres. Qui ne sont pas rarement partagés avec le SAMU. Et les ambulanciers ont un éventail de missions dont le secours à personne dans le cadre de la mise à disponibilité des pôles mais qui ne représente qu'une partie de leurs activités. ». Ainsi, tous les participants du système interagissent dans les situations de secours selon des objectifs propres sous un objectif commun de réponse urgente à une détresse.

La présence de volontaires - sapeurs-pompiers - et de bénévoles - associations agrées de protection civile - permet d’associer de multiples compétences transversales. Les professions principales de ces acteurs peuvent apporter de nouvelles compétences et connaissances au sein des équipes sur des thèmes très différents (gestion de l’environnement, de la technique etc), ces expertises annexes peuvent être une aide inespérée dans la coordination d’une action au sein d’une arène d’action. Par exemple, un sapeur-pompier volontaire guide de la baie du Mont Saint Michel (situation 9) ou mécanicien (situation connexe formation information sur le chantier EPR) pourra apporter bien des savoirs pratiques en intervention à une équipe de secours : maîtriser la baie et les locaux de la Merveille au Mont Saint Michel est un avantage majeur pour se repérer sur le territoire et anticiper les possibilités d’évacuation de victime (situation 9), les experts en mécanique seront également des conseillers de choix lors des « désincarcérations » de victimes prises au piège dans leur véhicule accidenté (situation connexe de manœuvre information sur le chantier EPR). Cela peut également créer des tensions avec les professionnels du secteur sapeur-pompier qui peuvent se sentir relayés au rang d’acteurs « d’activité secondaire ». Leur métier ne serait pas un métier à part entière, « ils ont l’impressionqu’onn’a pas un vrai métier » (un chef d’agrès professionnel, ancien SPP de Paris à propos de ses collègues volontaires).

Au-delà de ces possibles disparités, nous pouvons cependant relever que tous les acteurs partagent la description de l’objet de leur activité : porter secours à une personne en péril et lui apporter la meilleure réponse possible dans les meilleurs délais. Un médecin sapeur-pompier volontaire et urgentiste d’un centre hospitalier du département rapporte à propos de la multi appartenance, avec précaution : « Ça peut changer quelque chose. Dans le sens…où je comprends… les problèmes des deux côtés. Chacun de son côté croyant avoir la meilleure solution. Je vois arriver des malentendus, des paroles adressées par le régulateur… dans un

contexte tendu… qui est mal pris par le pompier ou…l’infirmier ou le médecin. Donc…C’est je pense que c’est plutôt positif. Ça permet… de comprendre le problème des deux côtés. Et puis… parfois d’aplanir certaines choses qui auraient pu monter monter en tension alors qu’iln’y a rien et que c’est une question de susceptibilité parfois question d’interprétation d’un protocole qui peut-être… porte à confusion… Et Et que…bon…c’est… faut savoir qu’on a tous les mêmes objectifs. Porter secours urgent. Et la guerre des égos ne devrait pas avoir lieu. A mon avis. Donc. La priorité c’est aider les victimes ».

Différents centres de décision sont identifiables dans notre système. Pour les acteurs, évoquer un centre de décision appelle la notion de gouvernance. La gouvernance serait l’organe de pilotage, ou la structure de pilotage autant pour le système de tous les secours d’urgence pré-hospitaliers que sur le terrain en situation unique. L’ARS met en avant le fait que la gouvernance du secours d’urgence pré-hospitalier n’est possible qu’en termes de conseils, d’expertises mutuelles car « il n’y a pas de situation purement sanitaire » ce qui nécessite le concours de plusieurs acteurs de différentes institutions. Nous retrouvons ce discours auprès du chef des opérations du CROSS qui, même s’il pilote une action de secours et peut décider de qui interviendra sur un terrain donné, ne se substitue pas à un autre centre de décision par une forme de hiérarchie. La gouvernance des secours est partagée et communicante à l’aide d’une conférence entre les centres de décision. Le Directeur adjoint du SDIS évoque la confusion et l’empilement des modes de gouvernance du secours d’urgence pré hospitalier. Toutefois, il y associe la réactivité et la rapidité que ce type de gouvernance permet. Il évoque « une efficacité miraculeuse sur le terrain » en précisant que les enjeux de chacun sont différents, les attendus différents, les cultures sont différentes, le cadre d’exercice des missions est différent.