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Les médias et le Canada : l’essor des nouvelles sources

1. Une radicalisation des médias ?

Dans l’objectif de rallier l’ensemble des citoyens à leur cause, les différents médias reprennent parfois à l’identique les pensées de l’élite politique sans faire des recherches préalables. L’imposition d’un discours binaire au public et une simplification du conflit radicalise l’opinion du citoyen qui abandonne une vision plus complexe pas nécessairement plus facile à obtenir. Cette vision est parfois apportée par des spécialistes qui tentent de transmettre une autre vision de la Russie qui prend plus de recul face à la prise de position des médias.

1.1. Le contenu russe : entre discours officiel et création spontanée

La presse russe s’illustre par sa dépolitisation partielle dans le désir de ne pas intégrer le citoyen dans le jeu politique. Pourtant les événements qui se déroulent en Ukraine ont déclenché dans les deux camps une radicalisation des discours beaucoup plus forte. A travers l’ensemble des médias et surtout à travers la télévision, la position des journaux russes est pratiquement univoque sur ces événements. Cette position d’une presse contrôlée a eu pourtant des précédents. Ce n’est ainsi pas la première fois que la Russie est spectatrice des révolutions libérales ou des conflits armés dans l’enceinte de la CEI. Lors de ces événements l’enjeu médiatique a eu une valeur incontestable.

La vision russe du conflit ukrainien révèle de fait un discours avec pour objectif de le discriminer politiquement et culturellement. L’argument qui a des échos sur la mémoire russe de la « Grande Guerre patriotique » est bien évidemment de considérer que Kiev est gouvernée par des « fascistes ». Sur le plan politique toujours cette argumentation continue en jouant sur le souvenir d’un impérialisme américain en pensant que le président élu Porochenko est un pion des États-Unis. Le Monde

diplomatique s’est empressé de reprendre cet usage de la télévision par des émissions

composées d’invités qui débattent sur une question. En théorie, le débat télévisé est censé inclure des avis différents afin de le rendre constructif. La difficulté de ce genre de programme réside dans le choix des invités en lien avec la question posée. Les invités de cette émission (celle du 18 mars 2014) sont tous issus soit de Russie Unie, soit sont des journalistes et des chercheurs nationalistes. Ainsi, sur la question du rattachement de la Crimée, l’émission « Politika » rassemble des invités qui en réalité ne débattent pas réellement mais diffusent de façon univoque le discours présidentiel476. Certains articles de journalistes qui disposent d’un semblant de méthodologie analysent les causes de la situation en Ukraine. Le discours donne nécessairement la parole aux groupes nationalistes comme s’ils contrôlaient le pays avant le départ du président Yanoukovitch quelques années plus tôt. La politique linguistique est évoquée pour donner l’impression que les russophones vont être la cible d’un futur génocide. Un discours qui est rejoint par l’idée d’une non intervention des défenseurs des droits de l’Homme et des Occidentaux dans sa préparation477. Le message est donc sans appel en

476 « Vue à la télévision », dans Manière de Voir, n°138, Décembre 2014-janvier 2015. p. 52.

477 Victor Militarev, « Sviachtchennia voïna », dans Izvestia [en ligne], 16 mai 2014. Disponible à

condamnant les Occidentaux accusés d’avoir fait preuve d’une neutralité bienveillante et reprend l’idée majeure que Kiev est soumise à des groupuscules nationalistes.

Le discours officiel du gouvernement s’affiche donc clairement par le biais des médias. Mais le changement majeur se situe dans la production d’œuvre de propagande par des médias comme internet qui permettent une diffusion rapide et efficace. Les journaux russes font usage d’internet, mais des particuliers ou des groupes de particuliers participent également à ce processus et le plus souvent de façon sincère. Ce n’est évidemment pas particulièrement nouveau, et il faut revenir au début des années 2000 afin de voir le soutien qui est fait au président par des supports musicaux, écrits et vidéos. C’est l’exemple récent de la vidéo Moi, occupant russe dans laquelle la politique impériale russe d’Ivan le terrible à l’actuelle Ukraine est promue à l’aide de discours qui ne manquent pas de contradiction (« Nous combattons pour la paix »). En dehors du fond de cette vidéo et de sa forme qui est d’une très bonne qualité visuelle, il faut mentionner le score des vues sur internet qui est non négligeable avec 6,9 millions de vues depuis le 27 février 2015. Cette création volontaire est une réelle preuve d’adhésion au régime comme l’exprime sans équivoque son auteur : « On mène une guerre de l’information à grande échelle contre la Russie. J’y participe à ses côtés. Mon objectif est de faire une propagande prorusse de qualité. Je dois ajouter que je suis simple individu, je n’ai pas de client et personne ne m’a payé. »478. Les médias occidentaux sont les premiers à dénoncer eux-mêmes cette prise de position volontaire des médias russes.

Outre la vidéo, il faut également noter ses différents commentaires qui témoignent de l’adhésion de la population à ce genre de production culturelle et surtout politique. Le commentaire que ce soit sur un forum de discussion ou sur un blog tend à devenir un enjeu crucial dans l’objectif d’orienter l’opinion de la population. Dans ce domaine, la Chine, la Russie et les États-Unis rivalisent dans l’usage de commentateurs professionnels servant à réorienter l’opinion479.

478 [Notre traduction] « Сейчас против России ведется полномасштабная информационная война, я

тоже участвую в ней на стороне России. Моя цель — качественная пророссийская пропаганда. Добавлю, что я частное лицо, у меня нет заказчиков, и мне никто за это не платит. » Evgueni

Jourov cité par Vetcherni Novossibirsk [en ligne], 13 mars 2015. Disponible à l’adresse :

http://vn.ru/index.php?id=107405.

479

1.2. Les médias occidentaux se lancent dans la bataille

Dans un désir de lutter contre la « Russie revancharde », les États-Unis sont en première ligne pour diffuser de l’information. Et pour cela, ils n’ont aucune hésitation à utiliser la chaine de radio située sur le sol russe et financée par le Congrès des États- Unis. Véritable relique de la guerre froide, Radio Liberty plus connue auparavant sous le nom encore utilisé de Radio Free Europe, est bien disposée à imposer sa vision de la situation européenne mais également des situations annexes dans les autres continents. Dans cette lutte contre la Russie, d’aucuns dénotent que les moyens mis en œuvre sont limités. Les Etats-Unis ne sont réellement implantés que sur internet et ne possèdent, semble-il, pas de chaines radiodiffusées480.

A travers la télévision, il ne faut pas attendre les incidents en Ukraine pour voir apparaitre des émissions manquant cruellement de rigueur et se présentant sous la forme de caricature. Pour les élections législatives de décembre 2011, la chaine américaine

Fox News ne s’est ainsi pas gênée pour reprendre des images d’émeutes en Grèce et

donner l’impression qu’elles ont été tournées en Russie481.

Les médias français vont réellement moins dans la caricature que leur homologue américain, mais ils se manifestent également par leur prise de position plutôt favorables aux Géorgiens lors du conflit en Ossétie du Sud avec une certaine nuance. L’intégrité territoriale est alors promue dans les reportages où le président Saakachvili ainsi que le commandant des forces armées confirment la légalité de leurs actions devant une Russie qui se retrouve au rang d’agresseur. A l’occasion de ce reportage, les forces géorgiennes sont pourtant les seules à être filmées482. Un autre reportage présenté par France 2 insiste davantage sur la force de l’armée russe qui semble invincible. Des images de blindés et de navires de guerre sont ainsi mises en opposition avec des images de civils filmés en émoi après avoir perdu des proches. Même si le discours est là pour dénoncer les conséquences de l’offensive géorgienne, le téléspectateur est invité

480 Ibid., p. 40.

481 Jean-Marie Chauvier, « « Révolution blanche », drapeaux rouges et forces de l’ombre », dans Le Monde diplomatique [en ligne], 21 décembre 2011. Disponible à l’adresse : http://www.monde-

diplomatique.fr/carnet/2011-12-22-Revolution-blanche-drapeaux-rouges.

482 A l’inverse la Russie prône le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans la région. France 3, Combat entre Géorgiens et Russes en Ossétie [en ligne], 8 août 2008. Disponible à l’adresse :

à faire preuve de compassion et à relier les crimes avec les forces russes483. Et les médias français font preuve d’une partialité similaire aussi bien dans la presse écrite qu’à la télévision au sujet du conflit ukrainien. A travers ces quelques exemples, le petit écran selon le pays peut donner une vision parfois nuancée et parfois complètement partisane du pays d’origine des immigrants.

Ces mêmes immigrants sont concernés par les informations diffusées par la télévision canadienne. Radio-Canada ne parle de la Russie souvent que pour exprimer les difficultés du pays en matière de liberté et des effets des sanctions. L’Ukraine est perçue à travers des sujets exclusivement militaires qui n’évoquent presque pas la situation économique, sociale et politique. Les sanctions face à la Russie sont souvent expliquées par l’intermédiaire de certains dirigeants comme le premier ministre Stephen Harper ou ses collègues de la diplomatie484.

Les journalistes canadiens prennent tous le chemin de la lutte contre V.Poutine au sujet de l’Ukraine. Dans un article du quotidien montréalais Le Devoir daté du 28 février 2014, le chroniqueur Christian Roux donne une vision sans nuance de la politique du président russe qui viserait à reconstruire un semblant de l’ancienne Union soviétique : « La répression et la propagande ne suffisent plus. Pour s’en sortir, Poutine fait comme les tsars et l’URSS avant lui, il tente de restaurer la grandeur de l’empire, fût-il une caricature de ce qu’il a déjà été. »485. Tous les médias ne se soumettent pas à une vision presque caricaturale et dénuée de toute complexité. Des reportages tentent de faire montre d’une certaine nuance mais font des conclusions hâtives qui auraient demandé une plus grande recherche.

1.3.Une nuance recherchée dans certains reportages

Même si les sujets concernant la Russie sont circonscrits à sa situation politique et économique voire militaire, il peut arriver que ces sujets développent au moyen de témoignages courts des réflexions sur la société du pays en lui-même. Leurs réflexions

483

France 2, Conflit en Ossétie du Sud [en ligne], 10 août 2008. Disponible à l’adresse :

http://www.ina.fr/video/3692549001039/conflit-en-ossetie-du-sud-video.html.

484Murray Brewster, « Ukraine: Harper exhorte la Russie à faire marche arrière », dans Le devoir [en

ligne], 5 février 2015. Disponible à l’adresse : http://www.ledevoir.com/politique/canada/431069/le- canada-exhorte-la-russie-a-faire-marche-arriere-en-ukraine.

485 Christian Roux, « La Révolution orange bis », dans Le devoir [en ligne], 28 février 2014. Disponible à

l’adresse : http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/401378/la-revolution-orange- bis.

initiales sont parfois intéressantes et insistent sur la complexité du pays. Toutefois leurs conclusions peuvent au contraire se montrer très précipitées et simplistes.

Nous pensons ainsi à une émission de Radio-Canada portant sur la liberté d’expression qui est développée par le chroniqueur Philippe Marcoux. Ce dernier rapporte ses impressions et il évoque le double discours d’un pays qui pratique une « démocratie dirigée ». C’est d’abord la surprise de se voir dans un pays dans lequel on peut parler librement sans difficulté. Le constat est similaire avec internet où « rien n’est bloqué ». Ce qui est important peut s’illustrer dans l’idée d’une ressemblance entre les deux pays : « on mange la même chose, on conduit les mêmes voitures, on s’habille de la même façon, le climat est le même, ils aiment le hockey ». Une liberté « calculée » dans laquelle les journalistes sont utilisés comme gages d’une Russie démocratique est évoquée, ce qui apporte bien évidemment une certaine nuance. Mais là où le bât blesse, c’est dans la conclusion (et dans le titre) qu’il donne en comparant la Russie à 1984 de Georges Orwell. Si cela se justifie par le contrôle réel de la presse par l’État, cela reste en contradiction avec ses propos précédents qui évoquaient l’absence de totalitarisme en Russie. Le titre laisse malheureusement entrevoir la position de la chronique qui pourtant a cherché à dévoiler la « complexité » et la subtilité486.

Ce témoignage dégage également et malgré une relative bonne volonté, une incompréhension par rapport à la société du pays qui est laissée en suspend face à une vision essentiellement politique de la Russie. C’est ce genre de comportement qui a donné les moyens aux immigrants de justifier le désir d’aller s’orienter vers de nouvelles sources.

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