• Aucun résultat trouvé

La Russie des années 2000 et 2010 : La Russie de Vladimir Poutine

3. Des changements économiques et culturels majeurs

Après le difficile krach financier de 1998, la situation commence à être beaucoup plus favorable pour la Russie. Cela s’explique notamment par l’aboutissement des réformes entreprises par le premier ministre puis le président Vladimir Poutine mais également par ses prédécesseurs.

3.1.Grandeurs et misère de l’économie et de la société russes

Le respect des privatisations et de la libéralisation semblait l’objectif de V.Poutine. Toutefois, sous l’impulsion de la politique du nouveau dirigeant la Russie

462

prend de plus en plus de distance avec le modèle économique qui a dominé les années 1990, c’est-à-dire le néo-libéralisme. Ce dernier considéré comme responsable de l’ensemble des maux de l’économie n’est plus accepté par l’ensemble de la population. Avant tout pragmatique, V.Poutine comprend bien que le retour à une économie dirigiste serait une grave erreur. C’est pour cela qu’il s’oriente davantage vers un capitalisme d’État et proche donc d’un certain patriotisme économique. Mais avant tout, V.Poutine, dans un objectif électoral il est vrai, s’est donné pour mission de doubler le PIB de son pays par une forte croissance en dix ans463.

Au moment où il fait de telles déclarations, la reprise économique est déjà entamée durant l’année 1999. Le président connait depuis qu’il a été à la mairie de Saint-Pétersbourg l’importance de l’exportation des hydrocarbures pour favoriser l’économie du pays. Mais la croissance la plus importante se situe dans des secteurs plus traditionnels tels que la métallurgie ou encore la chimie. Les bénéfices liés aux hydrocarbures ne sont probants que dans la deuxième partie de son premier mandat autrement dit en 2002. L’État dépend très fortement de l’industrie pétrolière puisque 40% de ses recettes provient de ce secteur. Ce dernier apporte également les devises nécessaires pour refaire tourner une économie qui manquait de liquidités. Finalement le premier semestre 2007, la Russie retrouve le PIB de 1990. La même année, le budget obtient un excédent de 7% du PIB. Ce maintien d’un excédent résout l’ensemble des problèmes et la possibilité pour l’État de rembourser ses prêts. Le FMI confirme au monde entier le 3 février 2005 que la Russie a remboursé l’intégralité de ses dettes.

La société russe n’est pas complètement comblée par la politique économique du président. De nombreuses difficultés subsistent et marginalisent une part de la société. Une des premières conséquences est la démographie qui ne cesse d’être inquiétante aux yeux du gouvernement. Avec une espérance de vie de 61,7 ans pour les hommes contre 77,3 ans pour les femmes pour la période 2010-2015, l’inquiétude est largement justifiée464. La forte mortalité s’explique notamment par un retour de certaines pathologies, par des accidents nombreux (surtout d’origine routière), par la consommation de spiritueux, de drogue et de tabac. La faible natalité alliée à cette forte mortalité rend difficile l’inversion de l’accroissement naturel et les estimations pour en

463 Jacques Sapir, Quel bilan économique pour les années Poutine en Russie ? [en ligne], CEMI

(EHESS), mars 2007, p. 12. Disponible à l’adresse :

464 Philippe Descamps, « Un pays dépeuplé », dans Manière de voir, n°138, Décembre 2014-janvier 2015,

2002 pour 2050 restent assez pessimistes dans leur ensemble avec une population qui diminue de moitié par rapport à 2002 pour la plus basse465.

Si l’État tente d’intervenir pour inverser de la courbe de la natalité, il a eu tendance à poursuivre son désengagement en matière de protection sociale. Cette dernière présente durant la période soviétique, a été complètement perturbée par la décentralisation et l’arrivée de compagnie privées qui se sont occupées d'un service géré alors par l'État mais avec difficulté. La Russie est à la traine pour la part du PIB consacrée aux dépenses des secteurs publics et privés consacrés à la santé466. Mais l’État n’a pas abandonné l’ensemble de sa protection sociale. Pour des raisons purement électorales, ce dernier subventionne exclusivement tout ce qui a trait à l’énergie (bien que le système de chauffage soit un véritable gouffre énergétique), et les transports en commun qui sont à des prix très bas, voire gratuits pour les vétérans de guerre et les retraités467.

Mais le phénomène majeur qui non seulement persiste sur le territoire mais également s’aggrave demeure la corruption. L’arrivée au pouvoir de Poutine puis de D.Medvedev n’a pas résolu ce problème inhérent à l’histoire sociale et économique de la Russie contemporaine. Une étude réalisée en 2010 par l’Association russe des avocats des droits de l’homme affirme que la corruption représente 50% du PIB du pays468. La moyenne des montants du pot-de-vin atteint par versement dans certaines régions comme à Sakhaline 140000 roubles (environ 35000 euros). Cette région est suivie de près par celle de Moscou avec 95000 roubles (environ 24000 euros)469. Et ce phénomène est omniprésent dans la société russe que ce soit pour réclamer une modification d’un dossier judiciaire, l’attribution d’un terrain à la municipalité, faire la demande d’un document officiel, demander des soins médicaux de meilleure qualité, échapper au service militaire, etc. Elle est régulièrement dénoncée par l’opposition qui n’hésite pas à s’attaquer au patrimoine du président et de son entourage. Le monde cinématographique aime bien dénoncer ce problème. Un des récits du film russe

Rasskazy (Les récits) dénonce cette corruption sous la forme d’une pyramide qui

465 Georges Sokoloff, op.cit., p. 608. 466

Ibid., p. 81.

467 Régis Genté, « Du radiateur à l’isoloir », dans Manière de voir, n°138, Décembre 2014-janvier 2015,

p. 86.

468 Tania Rakhmanova, op.cit., p. 245 469

partirait d’un simple garagiste de quartier jusqu’à un oligarque dans un golf très fermé470.

Pour un pays qui voit sa population diminuer, l’immigration reste une solution. Toutefois une partie de ses citoyens les plus xénophobes n’apprécient pas l’immigration de personnes non-russes, ce qui dans un État multiethnique dans sa constitution pose certaines questions471.

3.2. L’évolution du cadre identitaire, politique et idéologique

La chute de l’Union soviétique a laissé sur le plan identitaire plus de questions que de réponses. La Fédération de Russie fait partie de ces anciennes républiques soviétiques qui était une fédération à l’intérieur d’une fédération. A l’origine, il suffisait de lire la fameuse cinquième ligne du passeport pour connaitre la nationalité (ou l’ethnie) d’un individu qui était en revanche de citoyenneté soviétique. Finalement cette dernière finit par être remplacée par la citoyenneté de la Fédération de Russie. Mais un citoyen de cette entité n’est toutefois pas toujours russe de nationalité. Il existe donc deux mots pour parler de la citoyenneté (Rossiisskiy) et de la nationalité (rousskiy) russe. La Fédération de Russie se compose à 93% de Russes. Le reste se compose de Tatars à 4% puis d’autres nationalités. Le Russe de la période de l’empire des tsars était défini par sa pratique de l’orthodoxie. Aujourd’hui les pratiquants orthodoxes sont majoritaires relativement mais sont concurrencés par les croyants orthodoxes qui ne pratiquent pas, les athées et enfin les musulmans et les bouddhistes. Les musulmans avec les Russes orthodoxes se partagent une nouvelle conception de leur société et du monde.

V.Poutine a pris en main son pays par une attitude pragmatique qui reprenait des éléments des valeurs apparues dans les années 1990 tout en y injectant une dose d’autoritarisme politique, financier et économique. Le président russe de l’époque négociait alors un contrat social portant sur la stabilité politique contre la prospérité économique. L’identité russe comme l’identité soviétique durant la domination de L.Brejnev reprend en grande partie le culte de la « Grande guerre patriotique » comme

470 Mikhail Segal, Rasskazy (Les récits), Russie, 2012, 1h45. 471

thème central de sa mémoire. A partir de 2008, en raison de la crise financière qui secoue l’économie mondiale, l’économie commence à perdre de la vitesse. La période de la présidence de D.Medvedev affronte une érosion du contrat social des années précédentes, la santé de l’économie russe traversant une passe difficile d’autant plus que l’ascension des classes moyennes se traduit par une opposition nombreuse et mieux organisée. Suite aux élections de décembre 2011, accusées d’être truquées, des vagues de manifestations apparaissent dans toute la Russie jusqu’en février 2012, afin de contester les résultats. Mais cela se fait en vain, V.Poutine succède bel et bien à D.Medvedev. Avec 63,6% des suffrages le 4 mars 2012, le président l’emporte mais avec une baisse de popularité évidente472.

En 2012, V.Poutine qui a sous-estimé l’ampleur des manifestations sait qu’il doit tenter de recréer de nouvelles bases pour asseoir son autorité. Le patriotisme revient donc en force dans le pays avec le développement d’un conservatisme de plus en plus important. Le président affiche ainsi de plus en plus sa croyance en la religion orthodoxe, se présente souvent aux côtés du patriarche et s’attaque à la prétendue immoralité de la société de l’Occident par des lois condamnant la publicité de l’homosexualité. L’affaire du groupe punk féministe et écologiste Pussy Riot en février 2012 marque la désapprobation du pouvoir lorsque les valeurs religieuses sont attaquées. Le libéralisme politique symbole de l’Occident, semble s’effacer face à un contrôle beaucoup plus important du régime. L’opposition semble payer pour son sursaut de 2011-2012. Les rares élus de l’opposition sont persécutés et les élections des grandes villes suspendues. La Douma est, depuis l’annexion de la Crimée, habitée par un certain unanimisme dans ses débats473.

Ce conservatisme se manifeste par l’émergence ou la réémergence d’idéologies antérieures. Ainsi Dostoïevski développe à la fin du XIXe siècle le ferment nécessaire à la construction de « l’idée russe » (ideinost). L’Union soviétique n’a pas mis fin ce projet idéologique qui allie un rejet de l’Occident et de ses valeurs tout en privilégiant une spécificité russe. Devant un Occident de plus en plus athée et matérialiste dominé par la Révolution industrielle, Dostoïevski lui oppose la Russie par la pureté de la religion orthodoxe et de ses valeurs collectives. La Russie serait donc un modèle à

472 Tania Rakhmanova, op.cit., p. 278.

473 Tatiana Kastoueva-Jean, « Le système Poutine : bâti pour durer ? », dans Politique étrangère [en

ligne], Paris, IFRI, Editions du CNRS, N°2, 2015. Disponible à l’adresse :

imiter car elle incarnerait le salut de l’Europe. Et il est clair que la transmission de l’identité russe alimente un certain messianisme pour un peuple qui lit-on fut une « citadelle assiégée » attaquée par la Pologne catholique et les Turcs musulmans, les Allemand protestants, l’Empire français. Un thème que la période soviétique reprend largement et dont la situation géopolitique actuelle est interprétée en ce sens474.

Et la population russe donne largement son aval à ce discours. La propagande des médias sous le contrôle du Kremlin ne peut expliquer une telle adhésion à un homme qui a été populaire de façon continue depuis son arrivée. Et cette popularité est un moyen de soutenir idéologiquement son pouvoir. V.Poutine est à l’origine d’une sorte de césarisme démocratique dans lequel il concentre de forts pouvoirs, mais avec un soutien populaire. Si c’est bien une des concessions à l’Occident, il ne veut pas abandonner l’aspect démocratique de son régime car il a conscience de ce qu’un tel régime peut lui apporter. Une des grandes qualités de V.Poutine lors de sa prise de fonction a été de répondre en partie aux demandes d’une grande partie des Russes qui ont construit une certaine aversion pour le libéralisme. Le président, même s’il est contesté par une partie de son opinion, demeure l’image idéale du dirigeant russe qui doit faire preuve de charisme et d’autorité. Les sanctions successivement imposées sont une preuve assez manifeste d’une vision biaisée d’un contrat social entre le président et sa population. Les dirigeants européens et américains ont eu l’illusion de croire que les manifestants de 2011 descendraient à nouveau dans la rue, et que l’oligarchie qui entoure le président se retournerait contre lui475.

En quinze ans, la Russie a connu une remise en cause massive des valeurs qui régnaient sous Eltsine pour un modèle qui sans modifier radicalement les bases des années 1990 les a fait évoluer vers une forme beaucoup plus centralisée. Cette évolution se matérialise dans ses relations avec « les compatriotes » de manière ambigüe mais qui cache difficilement la tentative du pouvoir central d’avoir la main mise sur l’ensemble des organisations émigrantes. Fort de ce pilier politique, V.Poutine réussit également à le maintenir par une refonte profonde de son contenu idéologique et, par une évolution

474 Alexandre Bourmeyser, L’Europe au regard des intellectuels russes, Toulouse, Editions Privat, 2001,

p. 109.

475

de son économie, à maintenir ses distances avec la démocratie libérale bien qu’il conserve des bases de cette dernière.

Chapitre II

Documents relatifs