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La Russie des années 2000 et 2010 : La Russie de Vladimir Poutine

1. L’affirmation du pouvoir politique

1.1.Vladimir Poutine : du protecteur désigné de « la famille » à l’architecte d’une nouvelle oligarchie

Lorsque B.Eltsine cède sa place en décembre 1999, il la laisse à un presque inconnu. Les mois précédant cette démission ont été intenses pour un président en fin

de vie politique (et que l’on croit tout simplement en fin de vie en raison de sa santé430). Pratiquement assiégé par les premiers ministres en lutte pour le pouvoir et encerclé par les affaires de corruption qui touchent ses proches, B.Eltsine encore très impliqué politiquement est à la recherche d’un homme sachant le remplacer tout en gardant une image inspirant l’ordre à la population et sauvegardant les intérêts de la « Famille ». Cette dernière est composée d’hommes du clan du président qui profitent des faiblesses de ce dernier pour imposer leur politique et protéger leurs sources de revenus parfois situées en dehors de la légalité.

Véritable tremplin pour être héritier de B.Eltsine et ainsi accéder plus aisément à la présidence, le poste de premier ministre est également le moyen de se débarrasser d’hommes politiques pas suffisamment impliqués dans la sauvegarde des intérêts du président et de son entourage. Face à Victor Tchernomyrdine, qui est premier ministre sans discontinuer de 1992 à 1998, et malgré l’interrègne mené par Sergueï Kirienko, le président fait le choix d’Evgueni Primakov qui s’avère soutenu par la forte opposition communiste à la Douma. Désireux à la fois de remplacer un premier ministre trop farouchement opposé à la famille et de reprendre la main face à un parlement qui vote sa destitution, B.Eltsine le remplace par celui que l’on pense alors son dauphin : Victor Stépachine. Mais ce dernier à l’image de S.Kirienko ne tient pas trois mois. Boris Nikolaevitch choisit donc V. Poutine, séduit par sa loyauté, son attitude militaire et sa jeunesse431.

Qui est V.Poutine ? C’est au début un parfait inconnu dans le monde politique russe (le parlement l’investit de justesse) et pour 72% de la population qui ne comprend pas sa nomination le 9 août 1999. Bien que disposant à ce moment là de seulement 1% d’intention de vote pour les prochaines élections du 26 mars 2000 puis bénéficiaire de la démission de B.Eltsine à la fin de l’année 1999, il parvient à être élu victorieusement dès le premier tour avec 52,9% des suffrages. Ce score record obtenu en moins d’un an est dû notamment à la reprise en main de la situation dans la Nord-Caucase. V.Poutine insiste, et c’est son point fort, sur la création d’une idéologie à la fois réformatrice et traditionnelle, évite l’idéologie libérale qui fondait le projet d’Eltsine, et reste nostalgique de la période soviétique tout en insistant sur l’européanisation de la Russie.

430 Le président William Clinton avait d’ailleurs été informé avant sa visite des 1er et 2 septembre 1998 de

la possibilité de retrouver un cadavre. Tania Rakhmatova, Au cœur du pouvoir russe, Enquête sur

l’empire Poutine, Paris, La Découverte, 2012 (2014), p. 56. 431

La «famille » et en particulier Boris Berezovski, l’oligarque le plus influent du pays, voient en V.Poutine un instrument docile, facile à contrôler : ils se trompent lourdement. Vladimir Vladimirovitch use de tous les outils qu’il a en main pour retourner à son avantage une relation clientéliste existant sous Eltsine qui se déroulait au détriment de ce dernier. Pour ce faire, à la suite d’une offensive contre l’oligarque Goussinski, le président arrive à établir le 28 juillet 2000 un pacte dit « d’équidistance » appelé aussi « Schaschtchlyk » qui ne remet pas en cause les privatisations mais qui interdit à tout homme d’affaires de faire de la politique. Certains oligarques comme B.Berezovki décident de mener une offensive contre V.Poutine. Mal lui en prend ! Il est contrait de partir au Royaume-Uni poursuivi par la justice russe qui ose enfin l’affronter432. L’oligarque le plus riche de Russie est ensuite visé, il s’agit de Mikhail Khodorkovski à la tête de la compagnie Youkos. B.Eltsine menacé par le retour de l’affaire Mabetex est condamné à ne plus prendre le chemin de la politique433. Sa fille auparavant très influente au poste de conseillère de l’administration de la présidence finit par quitter son poste à la fin de l’année 2001. A la fin de la moitié de son nouveau mandat, V.Poutine a mis un terme au règne de la « famille ».

Les autres oligarques qui ont accepté les nouvelles règles sont donc désormais sous une forme de clientélisme renforcé et sous un « État prédateur ». Le patron a fait surgir des oligarques qui lui sont dévoués et fidèles en échange d’un contrôle sur de larges monopoles. Les organismes privés comme publics les plus importants sont invités et souvent contraints de participer à des projets servant les intérêts de l’État. En échange, ce dernier assure ainsi sa protection contre toutes poursuites judiciaires et mêmes les crises économiques et financières comme en 2009. Cette logique corporatiste limite toutefois le secteur des petites et moyennes entreprises qui ont plus de difficultés

432 Andrey A.Kinzakin, « Les oligarques dans la Russie contemporaine : de la « capture » de l'État à leur mise sous tutelle », dans Revue internationale de politique comparée [en ligne], vol.20, n°3, 2013, p. 121. Disponible à l’adresse : http://www.cairn.info.rproxy.univ-pau.fr/revue-internationale-de-politique-

comparee-2013-3-page-115.htm

433 Après la chute de l’URSS, le nouveau pouvoir entreprend une rénovation impressionnante du Kremlin

pour faire table rase de la période soviétique. Ces gigantesques travaux sont toutefois l’occasion de faire un gigantesque détournement de fond qui transite par l’entreprise Mabetex située en Suisse. Le procureur général Youri Skouratov mène l’enquête en coopération avec la justice helvétique mais il est suspendu et l’affaire reste au point mort en 1999. B.Eltsine est suspecté d’être un des principaux protagonistes de cette affaire et semble avoir négocié sa clôture contre son abandon définitif de la vie politique. Tania Rakhmatova, op.cit., p. 176.

à survivre434. Ce contrôle de l’économie par l’État et de son haut personnel par des liens de clientèle a pour conséquence de gommer l’ensemble des innovations démocratiques.

1.2. La « verticale du pouvoir » et la mise au pas du parlement

V.Poutine est à peine arrivé à la tête du pays qu’il s’occupe assez rapidement des problèmes d’administration. La Fédération de Russie est comme son nom l’indique et d’un point de vue constitutionnel une république fédérale. Pourtant le nouveau président ne digère pas les libertés que prennent les différents sujets de la Fédération et leurs représentants à la capitale au sein du Conseil. La plupart des sujets fédéraux qui sont par ailleurs inégaux en droit selon leur statut se voient chapeautés par un nouvel échelon issu directement du pouvoir exécutif : les districts fédéraux. Au nombre de sept, ces derniers ont pour avantage d’être particulièrement bien approvisionnés en personnel et en capitaux tout en ayant de larges prérogatives. Les gouverneurs locaux sont les premiers perdants d’une réforme qui s’empare de leur autorité. Pourtant ces derniers restent dans leur majorité peu touchés au niveau de leurs intérêts. Mais le 13 septembre 2004 à la suite du drame de Beslan en Ossétie du Nord, le président modifie le choix des gouverneurs et des présidents. Ces derniers respectivement à la tête des régions (oblast et kraï) et des républiques se voient élus uniquement par l’assemblée régionale avec des candidats nommés par le pouvoir central435. Cette « verticale du pouvoir » touche également les sujets de la Fédération qui n’acceptent pas l’autorité du pouvoir fédéral.

La république de Tchétchénie se trouve en première ligne d’une opération qui vise à remettre le Nord-Caucase dans le droit chemin. Avec la prise de Grozny, la capitale de la république en 2000, lors de la seconde guerre de Tchétchénie, V.Poutine soutenu par la population, a les mains libres pour imposer une nouvelle constitution à la république en 2003 que la population accepte officiellement avec 96% des voix. Akhmad Kadyrov le candidat de Moscou devient son président en octobre de la même année, mais il est assassiné l’année suivante. Le président indépendantiste et modéré qui

434 Ibid., p. 129.

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avait signé la fin des hostilités de la première guerre de Tchétchénie avec Eltsine est élu à sa place mais il est éliminé en 2005. Ramzan Kadyrov, le fils d’Akhmad Kadyrov inféodé au Kremlin devient le nouveau président en 2007. Malgré la difficile reconstruction, une économie maintenue uniquement par l’État, un pouvoir arbitraire clientéliste, et gangréné par la corruption, la Russie met fin officiellement à l’opération officielle le 16 avril 2009.

« Prenez autant d’autonomie que vous pourrez en avaler ». Les propos de B.Eltsine en 1990 à Kazan sont déjà loin lorsque l’on s’aperçoit de la tâche que mène le président actuel. Cette recentralisation de tous les pouvoirs se fait évidemment au détriment du pouvoir législatif. La Douma ont mené la vie dure au premier président russe, son successeur estime la mettre au pas. B.Eltsine si, en 1993, il a gouverné avec un pouvoir exécutif fort, a respecté son influence même lors de la cohabitation avec E.Primakov. Sa faiblesse a aussi été de disposer de forces favorables à son pouvoir relativement divisées mais luttant péniblement contre le Parti communiste de la Fédération de Russie, le premier parti d’opposition. V.Poutine les fait réunir en un parti présidentiel : Edinaya Rossiya (Russie unie). Son parti devient réellement puissant en 2002 et parvient à occuper l’ensemble des postes des commissions parlementaires face aux communistes436. Afin d’obtenir des formations larges et de limiter les partis d’opposition qui obtiennent des scores particulièrement faibles, le type de scrutin des élections législatives est modifié. D’un scrutin par circonscription uninominal, les élections deviennent proportionnelles…avec pour obligation aux formations politiques de dépasser le seuil de 7% (5% à partir de 2011), ce qui marginalise les candidats indépendants et les petites formations.

1.3.La remise en cause du libéralisme politique ?

La diminution des libertés en Russie n’est pas un cas isolé. L’ensemble de l’ancien monde soviétique est concerné par ce recul de l’État de droit. Cette tendance s’était poursuivie dès la chute de l’URSS. En Asie centrale et dans le Caucase, celle-ci est particulièrement visible. L’opposition est marginalisée et souvent les anciens secrétaires des partis communistes des républiques conservent jalousement leurs pouvoirs. La presse écrite obtient encore une certaine liberté, mais la télévision se

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trouve totalement sous la coupe d’un État autoritaire. Reporters sans frontière peine à attribuer un bon classement à ces pays en 2015 en les situant presque tous en « situation difficile » voire même en « situation grave » pour le Turkménistan. Bien que contrôlé en Asie centrale, Internet est en Russie un nouveau média qui a pour avantage de toucher les citoyens locaux comme les diasporas. L’évolution de la politisation des sources est un bon outil afin de bien comprendre les références ou les non références possibles des immigrants russes437.

Nous avions vu à quel point était contrôlé la majeure partie de la presse russe dans les années 1990 par les oligarques. La remise en cause de l’aura de ces derniers, les patrons, sur la politique russe entraine presque naturellement la perte de protection des « clients », autrement dit les journalistes surtout issu de l’audiovisuel. Le ton trop ouvert de certains ne plait pas au pouvoir. Ainsi la chaine TV6 passe des mains de B.Berezovski à celles d’oligarques fidèles à la présidence. La chaine NTV qui signifie en russe télévision indépendante, fait tout pour la conserver face à son probable rachat par Gazprom média inféodé au Kremlin. ORT, la première chaine détenue majoritairement par B.Berezovski, finit également par passer sous contrôle des hommes du président438. L’État par une mise sous tutelle de l’actionnariat réussit à s’emparer d’une grande partie de la puissance médiatique de son pays.

Le pouvoir saisit aussi qu’il faut que le personnel soit également bridé dans sa liberté de ton et de sujet. Ainsi les journalistes qui ne respectent pas les directives du Kremlin sont purement et simplement licenciés. Les journalistes un peu trop libres aux yeux du pouvoir central sont d’ailleurs régulièrement menacés oralement puis physiquement avant d’être assassinés parfois de façon spectaculaire comme Anna Politkovskaya qui fut empoisonnée en 2004 avant d’être éliminée par balles dans un ascenseur en 2006439. Ils sont remplacés peu à peu dans les années 2000 et 2010 par une nouvelle génération de journalistes qui dans sa formation se trouve totalement dépolitisée et même a un certain dégoût du monde politique, ne portant donc que très rarement son attention sur les mouvements d’opposition. La génération précédente, produite par la Perestroïka et baignée dans un climat très politisé, ne tire pas sa

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Anne de Tinguy, L’Eurasie vingt ans après, Transitions démocratiques ou retour à l’autoritarisme [en ligne], Etudes du CERI, 2011. p. 12. Disponible à l’adresse : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-

01024508/document.

438 Tania Rakhmatova, op.cit., p. 179. 439

révérence et continue de publier sur des sujets propres à l’opposition malgré des libertés limitées. La nouvelle intelligentsia ou les descendants d’une génération ayant poursuivi des études supérieures s’expriment par des moyens traditionnels mais avec difficulté ou par internet qui devient un formidable outil de communication440.

Régulièrement menacées, certaines chaines sont souvent prises pour cible par les autorités comme la radio Les Echos de Moscou ou la chaine de télévision Dojd avec leurs sites internet associés et d’autres comme lenta.ru, gazeta.ru. Par ailleurs, le pouvoir reste méfiant et n’hésite pas lors des grands événements électoraux comme en 2011 à garder une certaine mainmise sur le contenu de blogs. Des cyber-attaques sont ainsi assez fréquentes en décembre de cette année441. Dans l’ensemble la vie des journalistes libres s’est considérablement complexifiée. L’apparition de la crise ukrainienne n’a pas aidé à desserrer davantage le carcan présent sur le monde du journalisme russe, bien au contraire. Le classement sévère de Reporter sans frontières sur la Russie atteste de ce regain récent d’autoritarisme sur fond d’un certain climat patriotique, mais également de l’augmentation des difficultés sur le temps long. Ainsi en 2002, la Russie obtient la 121e place, puis atteint en 2015 la 152e place. Ce classement reste toutefois à relativiser puisqu’en 2002, 134 pays étaient recensés par l’organisation alors qu’elle en compte 180 aujourd’hui. En comparant sur 100, entre les deux périodes, nous constatons que la Russie est passée de la 90e à la 84e place. En outre, les résultats des questionnaires (qui ont été modifiés en 2013) la font passer de 48 à 44, 93 points (avec une perte de quatre places de 148 à 152 et un gain de 2,19 points entre 2014 et 2015)442 . En rapport avec ses voisins, la Russie accuse de grandes difficultés à l’égard de la liberté de presse qui se matérialise par l’assassinat de 29 professionnels du journalisme depuis l’arrivé au pouvoir de V.Poutine443. Néanmoins la Russie a en réalité eu une certaine stabilisation dans sa politique autoritaire pendant l’ensemble des années 2000 et 2010. Cette stabilité s’explique notamment par les conséquences d’une politique à la fois de centralisation économique et politique.

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Chupin Ivan, « Des médias aux ordres de Poutine ? L’émergence de médias d’opposition en Russie », dans Savoir/Agir [en ligne], Vol. 2, n°28, 2014. Disponible à l’adresse : www.cairn.info/revue-savoir- agir-2014-2-page-33.htm.

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Reporter sans frontière, Russia [en ligne], 12 mars 2012. Disponible à l’adresse :

http://en.rsf.org/russia-russia-12-03-2012,42075.html.

442 Ibid.

443 Idem, Les prédateurs, Vladmir Poutine, Président de la Fédération de Russie. Disponible à l’adresse : http://fr.rsf.org/predator-vladimir-poutine,44512.html.

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