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De Gorbatchev à Eltsine : De l’espoir à l’effondrement

1. La nouvelle NEP : la Perestroïka

La « stagnation » comme les Soviétiques aiment l’appeler, a apporté le sentiment que l’Union soviétique n’avait pas ou presque pas évolué. Le conservatisme particulièrement fort des années précédentes s'est manifesté par un autoritarisme de plus en plus acerbe. Malgré les désirs particulièrement forts d’améliorer la vie des

Soviétiques et malgré certaines innovations, le régime n’a pas réussi à se renouveler suffisamment et à surmonter les nombreux défis présents dans son système.

1.1. De la bonne volonté…

1985 est aujourd’hui perçue comme une année où la tombe de l’URSS est en train d’être creusée. Mais lorsque Mikhaïl Sergeevitch Gorbatchev succède à la tête du secrétariat général du PCUS au conservateur Constantin Oustínovitch Tchernenko, il est loin de faire l’unanimité aussi bien dans son propre pays qu’à l’étranger. La surprise est évidemment son âge. A 54 ans, le nouveau numéro 1 du parti suscite à la fois de l’espoir et de la crainte. De l’espoir, parce qu’il se veut un homme d’action et de terrain. La télévision soviétique sert beaucoup M.Gorbatchev dans cette image de personnage proche des intérêts du peuple et des travailleurs275. Mais l’inquiétude n’est pas pour autant absente car M.Gorbatchev est présenté comme un personnage autoritaire en puissance276.

Dès son accession au pouvoir, il s’affiche de plus en plus comme un réformiste souhaitant un socialisme à développer plutôt qu’un « socialisme développé »277. L’année qui dégage davantage d’espoir que de crainte, c’est l’année 1986. Au milieu de la propagande attribuée au communisme, deux mots apparaissent au XVIIe congrès du PCUS : « Glasnost » (Transparence) et surtout « Perestroïka » (Restructuration). L’ouvrage de 1987 de M.Gorbatchev, Perestroïka, donne une définition de ce dernier terme : « Perestroïka, cela signifie aussi initiative de masse. C’est le développement complet de la démocratie, l’autonomie socialiste, l’encouragement de l’initiative et des attitudes créatives, c’est aussi davantage d’ordre et de discipline, davantage de transparence, la critique et l’autocritique dans tous les domaines de notre société. »278.

- L’ « ordre » et la « discipline » : En effet, face aux difficultés de l’Union soviétique, M.Gorbatchev a la certitude que si une réforme doit être réalisée, elle ne peut être impulsée que depuis le sommet.L’un des objectifs de ces réformes est de faire en sorte que l’État puisse non seulement réussir à sortir de sa crise, mais également qu’il parvienne à devenir : « meilleur et plus

275 Antenne 2, Portrait Gorbatchev, Institut National de l’Audiovisuel, 1er octobre 1985.

http://www.ina.fr/video/CAB85103575

276 Ibid.

277 Andrea Graziosi, Histoire de l’URSS, Paris, PUF, 2010, p. 322.

278 Mikhaïl Gorbatchev, Perestroïka, Vues neuves sur notre pays et sur le monde, Paris, Flammarion,

« moderne » (guillemets dans le texte), mais aussi plus puissant et plus ordonné »279. Mais derrière la propagande des discours, c’est bel et bien l’équipe qui a soutenu le secrétaire général qui apparait, constituée aussi bien de réformateurs que de conservateurs. Bercé par le système, M.Gorbatchev est un personnage qui a foi en le marxisme-léninisme et en le système de son pays. Dans son ouvrage, il l’indique clairement dans sa narration d’une conférence en 1983 pour le 113e anniversaire de la naissance de Lénine : « Le public avait alors soutenu avec enthousiasme cette référence aux idées de Lénine. Une fois de plus, j’avais senti que mes réflexions rejoignaient celles de mes collègues membres du Parti »280. Mais M.Gorbatchev s’il est conforté par le système qui l’a modelé, ne cherche pas pour autant à le protéger. C’est ainsi qu’il commence une attaque en règle à l’encontre des cadres du parti, incapable de se réformer selon lui. Les républiques du Caucase et d’Asie centrale sont les plus touchées par cette politique. Celle-ci a une incidence non négligeable sur la résurgence des nationalismes. Le Comité central et les secrétariats régionaux sont également touchés281.

- « Démocratie », « autonomie », « attitudes créatives » : D’un autre côté, le premier personnage du PCUS est déterminé à bouleverser l’appareil du Parti par l’introduction d’un relatif multipartisme. Le geste le plus symbolique est évidemment la libération de l’académicien Andrei Sakharov et de deux centaines de prisonniers politiques en 1986282. C’est aussi l’introduction de mesures visant à donner plus de responsabilités aux entreprises, soutenue par une démocratisation de ces dernières. En outre, M.Gorbatchev favorise la création d’un secteur privé par l’introduction en 1988 d’établissements bancaires de crédit privé283. Au-delà de ces mesures, la libération de la parole s’exerce aussi sur l’histoire de l’URSS et du Parti. Le personnage situé dans le collimateur de cette révision historique, c’est Staline. La déstalinisation avait été stoppée avec l’arrivée de L.Brejnev au pouvoir en 1964. Avec la

279

Andrea Graziosi, op.cit., p. 322.

280 Mikhaïl Gorbatchev, op.cit., p. 28. 281 Andrea Graziosi, op.cit., pp. 332, 333. 282 Ibid. p. 333.

283

« Glasnost’ », elle est remise à l’ordre du jour284. La censure s’affaiblit en 1988 pour réellement disparaître en 1989. Ce retour des libertés est également une appropriation par M.Gorbatchev. Cette disparition du contrôle de l’État dans la vie politique et l’échec de la politique économique a pour conséquence d’accélérer la marche vers l’effondrement de l’URSS.

1.2. …Au dérapage du processus…

Dans ces conditions, il n’est pas très étonnant de voir que la politique mise en place ne donne pas des résultats satisfaisants. Les mauvaises décisions se multiplient et au lieu de sauver l’économie soviétique, elle ne fait que hâter sa fin. En voulant s’attaquer à l’économie privée et non déclarée, le numéro 1 perturbe davantage la production individuelle alors longtemps parallèle au système d’État. Ce dernier n’est pas nécessairement sauvé puisque face à un budget déficitaire dû à une ruineuse course aux armements mais également au faible prix du baril de pétrole, M.Gorbatchev n’hésite pas à supprimer des pans entiers de l’administration centrale285. A cela, la politique prohibitionniste pour lutter contre l’alcoolisme s’avère difficile à soutenir d’autant plus que l’économie souterraine, déjà existante, ne fait que s’accroitre286. Les réformes loin de soutenir la Perestroïka ne font qu’accélérer sa fin. La pénurie des biens de consommation se répand dans l’ensemble de la population.

L’histoire officielle soviétique, sujet quasiment immuable, finit par être mise sur le devant de la scène. Et en effet, on comprend vite que s’attaquer à l’histoire, c’est s’attaquer au monopole du Parti sur le pouvoir soviétique. Pourtant en voulant se rapprocher de la branche réformatrice et démocrate, il est clair que le résultat est d’enlever le monopole du PCUS. Et en retirant son monopole, M.Gorbatchev se crée alors des ennemis dans le Parti, mais également dans l’opposition. Suite à de nombreuses erreurs, Eltsine devient le chantre de la lutte contre la Nomenklatura et surtout d’une véritable réforme du système face à une Perestroïka de plus en plus chancelante. Le Parti communiste à partir de 1989 voit le nombre de ses adhérents baisser vertigineusement. Les partis communistes locaux afin de survivre tentent de

284 Nicolas Werth, op.cit., p. 543. 285 Andrea Graziosi, op.cit., p. 342. 286

surfer sur la vague toujours plus grandissante du nationalisme en délaissant leurs idéaux marxistes-léninistes287.

Mais les ennemis du pouvoir central, ce sont également les nationalismes de plus en plus triomphants. Le KGB s’alarme devant la contestation de plus en plus importante en 1986 dans les autres républiques. Alma-Ata, la capitale du Kazakhstan soviétique est le cadre de violentes manifestations288. Les Pays baltes donnent de plus en plus de difficultés au pouvoir central surtout lorsqu’ils ont l’occasion de dénoncer le pacte germano-soviétique réalisé par Molotov en 1939289. Notamment en raison des violences dans l’armée, les trois républiques refusent la conscription imposée par l’État central290. Le point culminant de la crise avec les Pays baltes est représenté en 1990 par les multiples pressions économiques, militaires et territoriales à l’égard de la Lituanie par M.Gorbatchev. Et enfin, les républiques du Caucase sont en ébullition croissante. L’Arménie pourtant fidèle ne résiste plus à l’attrait du nationalisme, convaincue par l’incurie du pouvoir central durant le terrible tremblement de terre de 1988 et les luttes ethniques. Son voisin affirme tout autant son séparatisme avec l’intervention armée de l’Armée rouge en 1989 à Bakou291. Au conflit ethnique déjà ancien qui oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan autour du Karabakh292, s’ajoute celui de la Géorgie où a lieu un « Tiananmen à Tbilissi » selon l’expression d’Hélène Carrère d’Encausse293.

1.3.…et à la dislocation de l’URSS

La libéralisation de l’Union soviétique a un objectif précis chez le secrétaire général du PCUS : délaisser le rôle du Parti afin de donner toute la place qu’il mérite à l’État fédéral. Cette manœuvre vise à consolider la position de M.Gorbatchev qui veut asseoir son autorité en créant le poste de président de l’URSS. Si sur le papier la transition de l’autorité passe du Parti au Congrès des Députés du Peuple et au Soviet suprême, dans les faits le vide politique qui est réalisé profite surtout aux républiques. M.Gorbatchev fait de nombreuses concessions pour réformer l’État soviétique, et s’il

287

Andrea Graziosi, op.cit., p. 352.

288 Hélène Carrère d’Encausse, La gloire des nations ou la fin de l’Empire soviétique, Paris, Fayard, 1990.

p. 64.

289

Ibid., p. 253.

290 Ibid., p. 263.

291 Andrea Graziosi, op.cit., p. 342.

292 Hélène Carrère d’Encausse, op.cit, p. 98. 293

peut réaliser ses projets, c’est également en octroyant davantage d’autonomies aux républiques fédérées et surtout davantage de légitimité par l’élection des présidents des républiques au suffrage universel direct. Alors que les Pays baltes, du Caucase et de l’Asie centrale minent l’Union, la RSFSR représente une menace de plus en plus inquiétante. Eltsine élu le 29 mai 1990 à la tête de cette imposante fédération, quitte le PCUS et se tourne vers des politiques économiquement ultralibérales pour résoudre les problèmes croissants de la distribution. L’opposition de M.Gorbatchev à ces politiques trop extrêmes achève le schisme entre le pouvoir fédéral et la Russie294.

1991 signe le dernier acte de l’Union soviétique. Le président tente désespérément de rattacher par des liens de toutes natures, les républiques centrifuges à une fédération en marche vers son effondrement. Ce n’est pas un référendum gagné d’avance par M.Gorbatchev, bien que boycotté par les républiques indépendantistes, qui semble le soutenir. Le nouveau traité de l’union ne semble pas convaincre tout le monde de sa pérennité. Un groupe de dignitaires soviétiques conservateurs proches de M.Gorbatchev, dirigé par son vice-président Guennadii Yanaaev et soutenu par le KGB, le MVD et l’armée, instaure l’État d’urgence dans la capitale après avoir exclu M.Gorbatchev. Si l’échec du putsch du 19 au 21 août est dû aux hésitations des membres du comité qui répugnent à utiliser la violence par crainte des représailles de la part de la communauté internationale, le charisme de Boris Eltsine semble indéniable295. Le président russe sur un blindé forge cette image d’Épinal qui se répand dans le monde entier. Le putsch échoue et même si le héros de ces journées affirme que les Moscovites ont sauvé l’URSS, les mois qui suivent sont marqués par son enterrement. Le pilier de toutes ces rencontres, le 8 décembre 1991, marque la fin définitive de l’Union soviétique. M.Gorbatchev finit par céder à la fin du mois en donnant sa démission. Boris Eltsine tire tous les marrons du feu et obtient une grande partie des fonctions de l’ancien président soviétique. La RSFSR voit son nom raccourci en Fédération de Russie.

En quelques années, l’Union des républiques socialistes soviétiques s’est libéralisée sous l’impulsion de son secrétaire général. Les nationalismes endormis alliés

294 Andrea Graziosi, op.cit., p. 357. 295

à une situation économique et financière de moins en moins maitrisable ont eu raison de l’État fédéral. Au lecteur qui nous a suivi jusqu’ici nous avons souhaité rappeler brièvement les éléments de la dislocation du monde soviétique. La place de l’émigration est-elle minime dans cet enchevêtrement d’événements et de paysages économiques ? C’est même le contraire. Nous voulons poursuivre notre travail de contextualisation en donnant les grands traits de la Nouvelle Russie des années 1990.

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