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CHAPITRE I : Le Sénégal, le Culte islamique et l'Ordre colonial

4. LE SÉNÉGAL, LE CULTE ISLAMIQUE ET L’ORDRE COLONIAL

4.1. Le Sénégal 1. Données géographiques

4.2.5. Rôles des grands empires

Ainsi introduit sur le continent à partir du Maghreb l'Islam a eu pour sa diffusion un support à connotation profane: le commerce.

Pendant longtemps, le Sahara a été un obstacle majeur dans l'interpénétration des cultures entre le Maghreb et l'Afrique, que l'Islam devait surmonter grâce à l'avènement et à l'esprit mercantile des Berbères.

Avec les richesses minières du sous-sol et la prédisposition des Grands empires aux échanges commerciaux, la pratique s'est vite instaurée, qui devait faire du berbère et de l'africain des partenaires pour promouvoir l'Islam en Afrique.

Le soutien des grands empires du Ghana puis du Mali et leurs vassaux, a été déterminant dans cette phase ultime du prosélytisme mené à partir du Moyen Orient par les dynasties et autres sultanats.

4.2.5.1. L'Empire du Ghana71

Lorsqu'au VIIème siècle le Maghreb fut sous la domination musulmane et les routes caravanières transsahariennes ouvertes, le royaume du Ghana fut le premier contact commercial avec le monde arabe. Il était florissant et son commerce autant intérieur qu'extérieur faisait les beaux jours de ses princes et négociants animateurs attitrés du prosélytisme.

Victime, au fil des années, de la forte convoitise de ses partenaires commerciaux arabes, l'Empire du Ghana perdit son lustre et il bascula au XIème siècle, après

une résistance dérisoire, sous la domination des Almoravides72, eux-mêmes renversés par une

dynastie noire73 d'ethnie soninké.

4.2.5.2. L'empire du Mali

L’émergence de l’Empire du Mali devenu, avec l'absorption de ce qui restait de celui du Ghana, royaume du Sosso, remonterait au XIIIème. Il engloberait la totalité de la

71 Couvrait l'ouest du Sénégal actuel, le sud-est de la Mauritanie et le sud-ouest du Mali,

72 En provenance du Maghreb

zone subsaharienne74, dont deux royaumes vassaux du Sénégal: le Tékrour et le Dioloff situés

dans la boucle du Sénégal75.

Par l’alternance des guerres hégémoniques fratricides et les sordides intrigues de cours qui sous émaillent toujours les successions, Soundiata Keïta, fut d'abord évincé du pouvoir avant de reconquérir son titre. Devenu souverain de l'empire, il en assura

l'extension jusqu'au littoral atlantique76 et élabora une stratification sociale à base de castes.

Le système dure encore mais revêt une certaine délicatesse dans son expression.

La caste des Dioula, commerçants par tradition, très mobiles assura principalement la diffusion de l'Islam en Afrique occidentale et imposa, de par cette mobilité même, la langue malinké dans l'Empire.

Kankan Moussa devenu à son tour Empereur, signa positivement son règne. Son entregent allié à son dynamisme fit croître les échanges commerciaux nord sud et reculer

les frontières de son royaume jusqu’aux confins de la Gambie77 une enclave de toujours dans

leSénégal. Dans chaque acte qu'il posa, l'Islam était sous-jacent.

Mais la tradition note que Kankan Moussa fut le souverain le plus célèbre et le plus dévot qui fit beaucoup pour la propagation de l'Islam.

L'empire du Mali se désagrégea à partir du XVe siècle avec l'émergence du

l'Empire songhaï78.

Le rapprochement des actions des empereurs cités, particulièrement ceux du Mali, Kankan Moussa et Soundiata Keïta, aura grandement favorisé la diffusion et l'approfondissement des pratiques du culte de l’Empire mandingue. Maintenant que nous appréhendons l'étendue des empires et leur ascendance sur les populations, il n'est pas interdit, à la lumière des faits historiques communément admis relatifs à l'introduction de l'Islam en terre africaine et à son mode de diffusion, d'avancer que le Sénégal aurait reçu en partie ses premiers propagateurs de l'initiative de ces deux souverains mandingues.

Ce pourrait être une voie de pénétration de l’Islam au Sénégal par le truchement des échanges internes entre la Gambie et ce pays. Cette hypothèse pourrait trouver sa justification dans le pèlerinage à la Mecque en 1324 que fit le roi Kankan Moussa. En effet

l’histoire mentionne que ce souverain en serait revenu entouré d’une palette de scientifiques79,

74 Comprenait: le Sénégal avec le Tekrour (or), la Gambie, la Mauritanie, le Mali, et la Guinée.

75 Le Tékrour et le Dioloff se situaient respectivement dans les Régions administratives de Saint-Louis et de Louga

76 Englobait le Sénégal dans ses limites actuelles

77 Aujourd'hui une République, la Gambie était une ancienne colonie de la Couronne britannique

78 S'étendait d'est en ouest, de l'embouchure du Sénégal au Tchad (Ouaddaï) et au Nigeria.

dont il mit les compétences à contribution pour restructurer son empire et organiser la formation de ses sujets dans les sciences islamiques.

Un autre aspect pourrait étayer cette possibilité car dans la majeure partie

des régions de l'Est et du Sud du Sénégal80 sont parlés les dialectes Mandingue81et Soninké82

Si les apports cultuels de l'Afrique centrale par l'Ethiopie, l'Egypte et la Nubie, actuel Soudan, restent déterminants en raison des migrations internes notées ci-dessus, il apparaît plus plausible de retenir que l'Islamisation du Sénégal s'est faite par le Maghreb via la Mauritanie.

On le voit, l'expansion de l'Islam en Afrique s'est faite en trois étapes et dans deux directions: d'abord à partir de la Nubie et de l'Egypte au Nord, et ensuite par le Nord-est du continent à partir du Maghreb et, indirectement de la péninsule ibérique:

Aux origines, les expéditions du Prophètes circonscrites dans le Golfe persique qui devaient se poursuivre par les chevauchées des Califes orthodoxes et des grandes dynasties. Celles-ci, se déployant tous azimuts, sur les axes Nord-Sud et Est-Ouest, ont conduit l'Islam aux confins de l'Afrique.

La diffusion du culte au plan continental s'est opérée par les pionniers de toutes races dans les conditions exposées précédemment. Initiée par les arabes, poursuivie par et les autochtones imprégnés de la culture arabe et les administrations coloniales européennes

successives ont achevé le processus83.

En définitive, par le détour du négoce, la contrainte par le sabre, la persuasion par l'initiation progressive des néophytes et la patience héroïque des pionniers acquis à l'Islam face à la pression et/ou persécution des colonisateurs, l'Islam a fait, envers et contre tout, une grandiose percée loin de son berceau.

Aujourd'hui, nous pouvons noter que l'action continue des milliers de prosélytes soutenus par une foi ardente a porté ses fruits. En effets au prix de mille sacrifices, elle a permis qu'une fraction significative des populations africaines, dont la presque totalité du Sénégal, se réclament de la doctrine du Prophète Muhammad*.

Mais ne pourrait-on pas ajouter que le colon, dont le seul souci était de rentabiliser son économie, a tenté de séparer le peuple de ses répondants traditionnels que

80 Est de Tamba Counda, centre de la Casamance.

81 Dénommé Malinké en Pulaar et Ouolof

82 Désigné sous l'appellation; Soninké en Pulaar et ouolof, et Maraka en Bambara

83 L'Ordre colonial, dans sa tentative de mise sous ordre les religieux, recourait systématiquement à l'exil de ceux qui étaient les plus visibles. Le martyr que souffrit le Chérif Cheikh Hamallah, est des plus significatifs. Il s'éteignit loin de la terre africaine et repose dans le cimetière de Montluçon, dans le Département de l'Allier (France). Ainsi chaque religieux exilé ou assigné à résidence, propageait, selon ses possibilités, l'Islam et ses nouveaux adeptes ou sympathisants assuraient le relais.

représentaient les chefs coutumiers et les marabouts. Le colon a mâté les repères et détruit le climat de confiance, de sécurité et de réconfort social qui prévalait, en usant de tous les moyens de dissuasion humainement inacceptables.

Les marabouts ont donné la réplique en recourant à l'arme passive symbolisant la non violence: le Livre, le chapelet et le travail, sans jamais céder à la résignation. Ce repli inspiré par une certaine sagesse et la préoccupation de sauver la religion dont ils étaient comptables, a contribué à les armer moralement et à les inciter à approfondir

leurs sciences84. De fait, le colon a contribué inconsciemment au rehaussement du niveau des

marabouts et au raffermissement de leur conviction85.

Les tracasseries administratives et militaires: les exils, les placements en résidences surveillées, les enfermements et les expéditions punitives ou considérées comme telles, sont certes moralement humiliantes et physiquement éprouvantes mais n'ont eu que des

effets bénéfiques sur ceux qui en étaient les victimes86. Ils ont tous légué à la postérité, chacun

selon son inspiration, une inestimable richesse spirituelle.

Ceux qui en ont le plus souffert ont écrit les plus belles pages de l'histoire islamique du Sénégal. Ils n'auraient peut-être jamais été ce qu'ils furent s'ils n'avaient tant enduré.

Aujourd'hui le temporel courtise fortement et ouvertement le spirituel qui a une ascendance certaine sur le peuple par le biais du culte. Cela se vérifie journellement au

Sénégal jusqu'aux plus hautes sphères de l'État87. Il n'est pas un jour où un politique, du chef

au dernier adhérent au parti, ne rende une visite dite de "courtoisie" à un chef spirituel88 d'une

des confréries.

Voilà donc l'Islam bien introduit au Sénégal. Progressivement, il s'est développé un processus d'appropriation de la prérogative de le propager par l'éducation et l'enseignement. Il en est résulté, à terme, l'émergence de personnalités dont l'autorité spirituelle est indiscutable qui ont su galvaniser par le prêche leurs compatriotes. Au fil des

84 La multiplication des écoles coraniques, en Pulaar duDé (sing.duDal)). Ces foyers ardents régis par des marabouts formés sur le tas qui ont parfaitement maîtrisé le Livre. Leur formation a été complétée plus tard par des pérégrinations intellectuelle et spirituelle. La Plus célèbre des École fut Pir-Sagnacors (35 Km nord-est de Tivaouane, Région de Thiès)

85 Voir "l'ordre colonial et les chefs religieux", infra

86 Tous les chefs religieux fondateurs de confréries (Mouridiyya et Layêniyya) ou propagateurs de tarîqa (Qadiriyya et Tijâniyya) ont été victimes, d'une manière ou d'une autre, de tentatives de déstabilisation de la part de l'administration coloniale

87 Il n'étonne plus personne de voir le premier magistrat de la République fouler le symbole de son autorité aux pieds d'un khalife général sous le seul prétexte que c'est son guide. Ce mélange de genres (privé et officiel) heurte la conscience du citoyen.

88 Généralement au Khalife lui-même pour des motivations diverses d'où l'évocation des intérêts personnels du visiteur ne sauraient être exclus

ans leur audience a pris de l'ampleur et autour d'eux le consensus s'est réalisé et l'opinion les a reconnus comme pôles spirituels. Ils furent d'abord maîtres de foyers ardents de grande renommée avant de créer les confréries telles que le Sénégal les vit actuellement.

Le temps est donc révolu où le temporel épiait le spirituel pour en contenir ce qu'il appelait les "dérives" par crainte de déstabilisation de son autorité.

De même le spirituel ne se replie plus sur lui-même pour éluder la profanation de son patrimoine réservé, le rituel lié au Dogme, afin de n'avoir point de compte à rendre ni à sa propre conscience ni à celles de ses disciples. La sauvegarde du Message divin, dont il est dépositaire, à travers les enseignements du Prophète Muhammad*, prévaut sur tout.

Aujourd'hui, il y'a comme une sorte de convergence, une véritable "entente cordiale" entre le religieux et le temporel. Il s'est effectivement établi entre ces deux entités un partenariat réciproquement avantageux. Dans cet "échange de bons procédés" fait à découvert, le temporel s'assure l'électorat et le religieux des concessions de tous ordres.

Toutes les barrières sont levées et les interdits tolérés au profit d'un cousinage de bon aloi. Le temporel est le bienvenu dans toutes les cités religieuses et le spirituel est accueilli, avec les égards dus à son rang, dans toutes les institutions de la République.

Nous détaillerons ces rapports d'un genre nouveau dans les lignes qui vont suivre, aux rubriques appropriées.

4.3. L'Ordre colonial et les marabouts

L'Islam a donc connu un long cheminement. Des premiers balbutiements des préparatifs de l'expédition dans le Hedjaz à la pratique d'un Islam relativement apaisé en Afrique, bien des entraves ont été surmontées. Nous ne les évoquerons pas toutes, nous en citons seulement une, la plus significative, qui eut pour théâtre d'opération le continent africain dans toute son étendue.