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AVANT - PROPOS

2. AVANT PROPOS

3.4. Antagonismes réels et discordes latentes

A cette particularité qui signe l'émergence des confréries, vient se greffer une vieille et tenace revendication de préséance et de précellence non voilée. Cette situation toujours actuelle, agite bien des passions et couve, sait-on jamais, un volcan en sommeil. L'emprise respective de ces quatre confréries sur les segments sociaux de leur cru est réelle et contribue, sans conteste, à la fragmentation de la société sénégalaise.

La masse des disciples est une donne appréciée diversement. Selon l'appartenance confrérique de l'interlocuteur du moment, les supputations les plus pessimistes alternent avec des approximations plus que rassurantes. C'est de bonne guerre que chacun juge favorablement sa fraction et tourne en dérision la représentativité des autres.

Ici donc, davantage que pour les statistiques relatives aux estimations de la population confessionnelle sénégalaise, l’évaluation des effectifs par confrérie, constitue une difficulté qui reste à surmonter. Nous essayerons cependant d'avancer, plus loin et à titre indicatif, quelques données.

Une autre singularité caractérise encore ce puzzle confrérique, qui n'a pas fini de nous livrer des paradigmes des plus inattendus.

La veine exogène, à savoir la Qâdiriyya et la Tijâniyya, est éclatée,

notamment la seconde, entre plusieurs îlots. Il ne s’agit pas de dissidence de fait par rapport au pôle central qu’est le Khalife initiateur propagateur, mais une façon de se démarquer pour mieux affirmer sa différence de lecture des saintes écritures et de l’application du Dogme. Une volonté d’asseoir son autorité et baliser ainsi son propre territoire pourrait aussi inspirer cette rupture.

Chacun de ces khilafat autonomes, baptisé de l’identité de son initiateur, est

dirigé par celui-ci ou son descendant. Ce Khalife ne reconnaît qu’une hiérarchie, celle de la

chaîne spirituelle ou initiatique à laquelle a appartenu ou dont se réclame son maître initiateur en sciences islamiques. Nous reviendrons plus loin sur ce concept de chaîne

spirituelle ou initiatique qui est un schéma de transmission de connaissances basé sur un encadrement spirituel.

La veine endogène, représentée par la Mouridiyya et la Layêniyya,

revendique, elle, son originalité d’être d’essence authentiquement nationale abreuvée sans

intermédiaires aux sources originelles que sont le Coran, Livre sacré et les ahadith

prophétiques.

Cette veine est plus fermée, strictement centralisée avec une hiérarchie verticale rigide, imposant une allégeance unique, non équivoque et inconditionnelle au même pôle central qu’est le Khalife fondateur de la confrérie.

Cette allégeance, vécue avec un zèle singulier et un enthousiasme palpitant, nie sans nuances tout ce qui n’est pas pour et par le fondateur. L’exubérance qui accompagne

le comportement de certains disciples de ces deux tarîqa, sous-tend un culte de la

personnalité39 ostensible qui fait du fondateur le seul pôle ici bas et l’intercesseur unique dans

l’au-delà.

Amadou Hampâthé Ba, grand sage et homme de lettre, le dénonce sans

nuance40. Nous le citons: " (...) Il est vrai que, dans certaines tourouq (pl. de tarîqa voie) on a

vu apparaître un abandon progressif des pratiques de base de l'Islam au bénéfice de la seule appartenance à la tariqa, appartenance considérée comme suffisante pour assurer les bénéfices spirituels que l'on en attend. Mais il s'agit là d'une dégradation apparue avec le temps et liée, le plus souvent à une méconnaissance des enseignements réels des maîtres fondateurs quand ce n'est pas à une certaine ignorance de l'Islam lui-même. Il est hors de doute qu'un tel phénomène existe en Afrique;(...) fin de citation. Nous ne commenterons pas cette observation de ce penseur qui fait la fierté de l'Afrique dans bien des domaines. Le lecteur en appréciera la pertinence.

Notre opinion est que cette perception des confréries et de leurs guides, ainsi soulignée, est réelle. C’est une conception généralement admise et largement partagée par la majorité des adeptes de ces turûq.

Leurs guides sont censés le savoir et peut-être le désapprouvent-ils profondément; mais dans aucune confrérie n'est développée une parade réellement dissuasive pour rappeler les ouailles inconditionnelles à l’ordre canonique.

39 Certes non prôné par les Guides

Si tel est le contexte qui prévaut, alors quelle sens donner à la double

Shahada41 qui affirme, sans ambiguïté, l'unicité de Dieu et le privilège qu'Il a accordé à

Muhammad* d'être Son Envoyé?

Quotidiennement, quel musulman ne fait sienne cette invocation: "Il n’y a

de divinité que Dieu et Muhammad* est Son Messager42."?

Cette injonction formelle et sans appel du Livre, inconsciemment galvaudée par nombre de fidèles, disqualifie de facto toute transcendance autre que celle divine. Elle devrait être suffisante pour chasser des esprits toute équivoque tendant à associer à Dieu une de Ses créatures quelle que soit l’érudition dont Il a gratifié celle-ci de par Sa seule volonté.

A ce propos, une excroissance de la Confrérie mouride, engendrée par un

long compagnonnage lie Cheikh Ibra Fall43 à Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de cette

voie. Cette proximité entre les deux hommes, place les militants du premier, dénommés

familièrement "Baye fall44", au cœur même de la sphère mouride. Ils sont les bras armés, les

soldats intrépides de la confrérie. Ils versent souvent dans un zèle fébrile préjudiciable à la bonne cohabitation parce que potentiellement agaçants pour la majorité des citoyens qui en sont souvent directement victimes.

Le Khalife, souvent mis devant le fait accompli par certains de leurs excès, réprouve avec la dernière énergie leur comportement en les désapprouvant publiquement. Il n'est pas rare qu'il dédommage financièrement ceux qui ont été matériellement lésés. Nous citerons quelques cas patents dans le corps du texte.

Il est aussi noté chez les fidèles de toutes les confréries, davantage chez les Tijân, les Mouride et à un moindre degré chez les Qâdr et les Layène une propension naïve à

la sanctification abusive des fondateurs et des Khalife initiateurs et propagateur de leur

tarîqa. Ce réflexe prévaut à l’échelle nationale; il est toutefois plus prononcé chez les disciples à l’endroit des deux détenteurs de l'autorité originelle que sont Abd al Qâdir al Jilâni et Cheikh Ahmed Tijâni, respectivement fondateurs des dites confréries qui portent leurs prénoms.

41 C'est le premier des trois principes fondamentaux (Islam, imân et ihsân) indissociables. Leur association seule donne le substrat à ce que le sens commun nomme improprement Islam. C'est le double témoignage dont le 1er membre est: " Lâ ilâha ill'Allah et le 2ème membre: "Muhammad* Rasûlu l-Allah". Sans cette profession de foi, les trois principes sont vidés de leur quintessence. Alors il n'y a plus de religion mais un simple dispositif mu mécaniquement. Pour plus de détails, voir plus haut: Avertissement

42 Voir note ci-dessus la transcription en Arabe: (1er et 2ème membres)

43 Le premier et le plus proche disciple de Cheikh Ahmadou Bamba

44 Littéralement "Papa Fall", sobriquet qui renvoie au patriarche, disciple du Cheikh fondateur. Il est utilisé comme mot de ralliement et différentiation entre disciples mourideet Baye Fall.

Nous examinerons ailleurs la palette des adeptes des deux genres, toutes confréries confondues, pour tenter de circonscrire, selon leur niveau intellectuel, leur milieu social, leur âge et leur profil professionnel, les motivations avouables ou non si possible, de leur affiliation confessionnelle.

Nous disons avouables parce que la dévotion, au sens spirituel du concept, ne suscite pas toujours toutes les allégeances professées. D’autres raisons profanes prosaïquement plus opportunistes sont parfois à la base de l’option confrérique de plus d’un adepte. Nous y reviendrons en détail plus loin.