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CHAPITRE II : Les confréries, de l'émergence à la stratification

5. LES CONFRÉRIES, DE L’ÉMERGENCE À LA STRATIFICATION

5.2.1. Essai de définition du concept

Avant d'aborder l'analyse des confréries au Sénégal, Nous nous proposons de tenter une définition du concept en partant de son historique.

De la consultation des lexiques de renommée186, nous avons retenu les

suggestions de définitions suivantes:

- Compagnie de personnes associées pour une œuvre pieuse ou charitable - Corps d'individus unis par un lien quelconque

- Association formée par des laïques en vue d'une œuvre de piété, de charité, de dévotion

Même si le déterminatif quelconque, caractérisant la nature des rapports

entre les entités constitutives du corps, renvoie davantage au profane qu'au sacré, nous

penchons pour la seconde définition qui invoque le concept d'union plus proche de notre

préoccupation puisque, en définitive, nous parlons confession,

Selon cette discrimination que nous retenons, dans le cas présent, entre ces trois propositions de définitions, une confrérie serait donc une abstraction à conformation

variable187, composée d'individus souscrivant à un même postulat ou ayant un dessein

commun et soumis, sans réserve, à une autorité unique, un guide librement choisi, tourné vers

une transcendance188, elle-même abstraite.

Quelle que soit la définition retenue, la structure interne pour toutes les entités constituées, reste identique car elle est indépendante de leur dénomination, leur envergure et leur vocation.

En effet toutes les confréries comprennent une direction incarnée par le Guide, un corps représenté par les adeptes, une législation traduite par des règles qui en définissent la conduite et une emprise géographique qui délimite son aire d'évolution.

Concernant l'Islam -puisque c'est la trame de notre travail-, au plus loin que l'on interroge l'histoire, les confréries ont leurs genèses relativement identiques et le processus

186 Larousse, Littré, etc

187 Ici compagnie, corps ou association

188 Dieu, Seigneur des trois religions révélées à Moïse, à Jésus et à Muhammad*, ou toutes divinités d'autres croyances

le plus usité sous ce rapport est le suivant: un disciple, au terme de ses pérégrinations

intellectuelle et mystique, reçoit de son maître le ijâza, titre attestant la plénitude de son

"savoir". Ainsi confirmé, l'adepte fraîchement couronné se trouve placé devant une alternative contraignante: Soit se reconnaître en son maître, soit en réfuter les enseignements.

- Dans le premier cas il reste "soumis" mais s'éloigne de son maître sur

l'injonction de celui-ci pour élargir le cercle de filiation des adeptes.

- Dans le second terme, il se démarque spirituellement de sa tutelle

initiatique et crée son propre ordre que naturellement le "maître réfuté" et ses disciples restés

fidèles s'emploieront énergiquement à étouffer selon un célèbre proverbe Pulaar189: "toutes les

arcanes du maître ne sont ni toutes accessibles ni toutes livrées au disciple"; autrement dit, au

fond de sa besace le maître se ménage toujours la possibilité de châtier190 le disciple indocile

ou oublieux.

- Une troisième voie existe, elle relève davantage du profane; elle relève

d'un refus de partage opposant deux pôles191. A cet égard évoquons un exemple historique se

rapportant à la succession heurtée du Prophète Muhammad*. Deux hommes, un spirituel et un temporel, s'affrontent par refus de partager un patrimoine. Mu'awiyya un postulant à un sacerdoce déjà légitiment dévolu à ‘Ali un légaliste dépositaire de la charge convoitée. Tous les deux sont disciples d'une même confession et partagent la même obédience; dans ce schéma, les antagonistes, à la tête de deux fractions, cherchent à s'anéantir mutuellement par la mise en œuvre simultanée des deux processus suivants:

- la quête effrénée d'hégémonie, certes une vocation innée commune à

tous les êtres, particulièrement ceux partageant le même espace vital et mus par des intérêts identiques. C'est l'argument de Mu'awiyya contre ‘Ali,

- le développement d'une volonté farouche pour sauvegarder un ordre

établi, un réflexe incontestable que partagent toutes les confréries de l'espace islamique. C'est la posture d'‘Ali vis-à-vis de Mu'awiyya.

Nous sommes donc ici en présence d'une rupture d'une orthodoxie qui a

engendré deux fractions, qui sera fatale à l'unité de la Umma, comme nous le montrons plus

loin dans l'analyse des grandes scissions historiques

189 Kala mo jangin Da, kedda heen ko piiruDa Dum

190 par exemple le retrait, par un procédé mystique, des subtilités enseignées à l'adepte pour gérer des cas critiques face à des situations souvent insolites; ou encore déchaîner des forces occultes qui hanterons le quotidien du disciple ingrat.

191 Le cas de Mu'awiyya, Gouverneur de Syrie, profane et ‘Ali, 4ème Calife orthodoxe. Le premier cherchant des lauriers, le second préoccupé par la protection d'une orthodoxie léguée.

Partant de l'un des trois procédés de fin de compagnonnage sus-indiqué, savoir rupture concertée, renoncement unilatéral ou confrontation ouverte, il est aisé d'extrapoler.

Nous pourrions avancer que l'histoire de l'Islam, après le Prophète Muhammad*, a connu, dans les premiers moments même du débat sur la succession du Messager*, les premiers balbutiements de ses multiples scissions. Au fil des années ces tensions se sont exacerbées et ont engendré les ruptures favorisées grandement par des divergences internes survenus entre les tenants du pouvoir spirituel.

A cet égard, dans la succession des générations, nous dénombrons des

confréries192 à dimensions variables allant de la petite cellule locale à la grande mouvance de

la contrée voire continentale. Les quelques repères historiques marquants à cet égard qui ont opposé des hommes, ont été entre autres les suivants:

- les remous relatifs à la succession du Prophète* avant la désignation

d'Abou Bakr

- les raisons qui ont conduit à l'assassinat du Calife Usman,

- l'altercation mémorable entre le Calife ‘Ali et le Gouverneur de Syrie

Mu'awiyya193, relatée ci-dessus,

- le meurtre d'‘Ali dans la mosquée par un fanatique

- le puzzle chiite après la disparition d‘Ali194

- l'émergence des Écoles juridiques qui scinda la Umma en quatre sous

entités.

- les affrontements fratricides au sein des dynasties omeyyades,

abbassides et des sultanats.

- les multiples intrigues qui ont accompagné l'expansion de l'Islam sur les

rives de la Méditerranée au Maghreb, en Andalousie, en Orient, en Asie, etc.

- les antagonismes tramés pour des raisons hégémoniques ou d'intérêts

commerciaux, tout au long des routes caravanières du Sahara vers l'Afrique, etc.

L'énumération pourrait se poursuivre, qui montrerait qu'à chacune de ces étapes, l'islam s'est constitué de fractions par suite de conflits à connotation spirituelle et/ou

192 Toutes engendrées par des scissions internes qui ont fissuré le grand corps de la Umma. Un savant, par convenances personnelles ou suite à une révélation, authentifie ou réfute l'enseignement reçu et prend ses distances par rapport à son maître

193 Confrontation à l'origine de la naissance du Chiisme qui est la contestation de l'orthodoxie sunnite

194 Trois sectes se réclamant du même référent, se disputent la prééminence: les Zaydites, les Imamites et les Ismaéliens

temporelle pour l'affirmation d'une "vérité". C'est le même mobile utilisé qui est à l'origine de la formation de toutes les confréries de la planète.

Sans nous attarder sur des statistiques, inexistantes par ailleurs, sur la

représentativité de chacune d'elles195, nous abordons, dans les pages à suivre, l’apparition des

confréries au Sénégal.