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CHAPITRE II : Les confréries, de l'émergence à la stratification

5. LES CONFRÉRIES, DE L’ÉMERGENCE À LA STRATIFICATION

5.4.6. Les Khilafat d'El Hajj Malick

Les Khilafat successifs se sont déroulés sans heurts, la descendance du guide s'est étoffée, générant de nouveaux foyers, l'environnement spirituel s'est épanoui en s'enrichissant d'individualités cultivées et toujours plus engagées. La Tarîqa Tijâniyya respire donc un air sans pollutions sociales majeures. Elle baigne dans une ambiance bon enfant où la hiérarchie reste scrupuleusement observée avec la reproduction stricte du schéma ante où le disciple est au service du guide.

Ici l'on pourrait s'étonner que le khalifat de Cheikh Oumar al foutiyou Tall

ne fût pas allé à un des siens, comme le voulait la tradition en matière de succession. Le plus en vue à l'époque, au Sénégal, était incontestablement Thierno Saydou Nourou Tall. Il en avait le potentiel à tous égards, mais sa proximité formalisée avec l'Administration

coloniale272 et son âge - environ 25 ans de moins que Malick-, l'éloignèrent de la charge qui

échut tout naturellement à celui-ci.

Saydou était le plus illustre d'entre tous les muqaddem autour de Malick car il était, déjà un mystique accompli et réputé. Aussi c'est Sans récrimination aucune, qu'il accepta le choix divin porté sur la personne de Malick, qu’il soutint efficacement et sans réserve lui et la famille. C'est ainsi que El Hajj Malick Sy et sa lignée, devinrent désormais, après consensus et officiellement, légataires de la direction de la tarîqa Tijâniyya au Sénégal. L'onction populaire a fait le reste.

Le compagnonnage de cet homme fin diplomate, avenant, très accessible et servi par une très forte personnalité, profita grandement à la famille Sy.

D'abord son statut de petit fils de Cheikh Oumar Tall était un remarquable passe droit au triple plan religieux, traditionnel et administratif, dont Saydou sut capitaliser tous les avantages qui en dérivaient. Les effets d'une telle aura n'ont pas manqué de se faire ressentir sur la démarche sereine de Malick.

272 Dont il était l'ambassadeur itinérant et conseiller sur l'ensemble du Groupe AOF, charge relevant du temporel et donc incompatibles avec celles spirituelles.

Ensuite sa charge de plénipotentiaire de l'Administration coloniale a grandement et de façon très discrète édulcoré les rapports de celle-ci avec son "maître". Sinon qu'est ce qui pourrait bien expliquer que la tutelle coloniale si rigoureuse, dans un de ses rapports, eût à l'endroit de Malick un jugement aussi flatteur, nous citons: " El Hadj Malick Sy prêche un Islam dépourvu de fanatisme et de légende. Il pratique et prêche l’orthodoxie de l’Islam, sans ostentation ou intolérance » ? Fin de citation.

Enfin toutes les sommités Tijân que comptaient les nombreuses provinces du Fouta, vouaient une affection profonde et une considération particulière au petit fils de leur guide suprême dans la Tijâniyya, El Hajj Oumar al Foutiyou Tall. Par l'intermédiaire de Thierno Saydou, sans que ce soit l'expression d'une allégeance, cette haute estime rejaillissait sur El Hajj Malick Sy, le désormais tout nouveau guide de la Tarîqa Tijân en milieu ouolof.

On aura relevé que nous précisons bien et limitons, au Sénégal, son emprise

réelle sur les consciences essentiellement dans les seules zones d'habitat ouolof273. Les

populations des autres zones, réparties entre plusieurs tutelles cultuelles, y compris des Tijân authentiques et adeptes du disciple de Ghazali, n'avaient pas tous prêté allégeance à El Hajj Malick Sy.

Cela pour souligner que certes l'œuvre de Malick dans l'assise de la Tijâniyya au Sénégal est immense, mais que ce n'était pas rendre justice à tous ces autres anonymes et illustres érudits, dont certains avaient accueilli Malick au cours de ses pérégrinations intellectuelle et spirituelle. En effet ceux-là, autant que lui, ont apporté, dans le silence et l'humilité leurs pierres à l'édifice.

A partir de Dagana, le Fouta et ses cinq grandes provinces274, le Boundou, le

Guidimakha, etc, ce sont des milliers d'hommes et de femmes de ces provinces qui n'ont attendu ni l'appel de El Hajj Malik Sy pour s'activer, ni son soutien pour travailler à l'émergence et à la consolidation de la tarîqa Tijâniyya au Sénégal voire en Afrique.

Nos chercheurs se devraient donc de bien relativiser leurs conclusions sur le prosélytisme d'El Hajj Malick, se montrer plus objectifs et surtout se rappeler que l'Islam, au Sénégal, doit une grande partie de sa flamme originelle au Tékrour.

273 Elles recouvraient principalement les cercles de Dagana ouest (entre cette localité et Saint-Louis, la capitale du territoire du Sénégal) Thiès, Louga, Diourbel, Kaolack, Dakar et le semi urbain qui l'entoure.

N'est-ce pas encore que la plupart de nos Grands sages du culte musulman275, s'honorent-ils d'ascendants Pulaar, soninké ou autres? Quelle gêne alors y a t-il à le souligner par écrit ou au cours des multiples prêches dans les grands rassemblements cultuels nationaux? Aurait-on honte, pour eux, de leurs origines, de leurs attaches culturelles réelles, authentiques?

Nous nous gardons bien de verser dans un sectarisme outrageant, mais la vérité historique, tout comme le scientisme des faits vécus, s'accommode mal d'un ethnocentrisme béat servi par un subjectivisme de mauvais goût.

Un vrai intellectuel se doit de s'assumer et d'assumer ses assertions avec comme seule préoccupation de demeurer sur le filin ténu de la seule vérité scientifique.

C'est la seule voie pour magnifier l'œuvre de ceux à qui le Destin avait ouvert de grandes perspectives et qui ont répondu, à leurs corps défendant et pleinement, à l'attente de leurs contemporains. Aujourd'hui leur postérité, la communauté des disciples, se nourrit du froment de leurs sacrifices en psalmodiant leurs noms.

De même il se passe des événements dans les familles religieuses, pour délicats qu'ils soient, il n'est pas très élégant pour un chercheur de les passer sous silence. Il est tout aussi discourtois et indiscret de les étaler au grand jour. Mais l'opinion a le droit de savoir et l'intellectuel le devoir de dire vrai, sans heurter ni flatter. Choisir d'occulter des faits réels pour ménager des susceptibilités, ce n'est pas faire œuvre utile, alors mieux vaut renoncer à entreprendre.

Nous ne revendiquons aucune éthique particulière ni ne prétendons prêcher une quelconque orthodoxie. Nous répondons simplement aux élans de notre conscience qui nous reprocherait de taire ce qu'en silence l'opinion n'apprécie pas dans la nature de certains rapports entre les membres d'une même famille au sein des Turûq.

Les tensions exposées au grand jour tombent inéluctablement dans le domaine public et elles sont alors sujettes à toutes les supputations. C'est à ce titre que nous

275 El Hajj Malick Sy comme Ahmadou Bamba MBacké sont respectivement de mères Fawade Wélé et Diaara Bousso deux dignes femmes d'ethnie pulaar, Il est vrai que le système patrilinéaire l'emporte ici, mais ces deux illustres hommes ne se sont jamais offusqués de leur "pulaarité" partielle. Les chroniqueurs ne l'évoquent pratiquement jamais

évoquerons certaines, dont celles qui érodent depuis plus d'un demi-siècle l'unité familiale des tenants de la Tarîqa tijân à Tivaouane.