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CHAPITRE III : Le syncrétisme socio cultuel

6. LE SYNCRÉTISME SOCIO CULTUEL

6.2.5. La glorification du "Maître"

Il arrive exceptionnellement que les khalife s'impliquent personnellement

dans les prêches à l'occasion des commémorations confrériques majeures416. Lorsqu'ils le

font, alors les panégyristes417 du Prophète* sont en verve. Ils se lancent, avec une maîtrise

admirable, dans une prosodie418 captivante, plus chantée que déclamée et reprise en chœur, en

langue arabe, par une assistance enthousiaste.

Les prônes sont déclinés par les porte parole419 des khalife et ont pour

vocation, au sens large du terme, d'éveiller les adeptes sur leur religion. Mais ici, comme chez

les biographes, le zèle l'emporte souvent sur l'objectivité. Les orateurs420 sont plus prompts à

rappeler, en s'y appesantissant, les itinéraires de leurs guides. Ce faisant, ils se complaisent à

évoquer essentiellement quelques uns de leurs actes saillants perçus comme miracles ou citer certains propos jugés prémonitoires d'évènements vécus peu de temps après leur énonciation. Dans chacun des cas considérés, l'unique dessein non voilé est de rehausser le prestige de leurs khalife.

416 Annuellement, à l'occasion des Gamou, Maggal et Ziarra

417 Dont le plus célèbre fut le poète arabe Mohammad Boussayri qui fit l'apologie du Prophète en vers. Ce sont ces rimes qui sont reprises quelques jours avant le Mawloud à Tivaouane. Cette phase préliminaire est connue sous la désignation de "Al Bourda" signifiant les vers, selon Djibril Nguirane enseignant à la retraite

418 Parfois à la confrérie Tijâni, c'est parfois le khalife lui-même qui entonne la litanie reprise par la foule en délire

419 Souvent dans toutes les confréries, cette charge est dévolue aux cadets, neveux ou fils des khalife

A cet égard, même la délicate retenue dont font montre les khalife dans leurs

sermons, trahit ce penchant qui signe un discours subtilement flatteur421, qui dérange toujours

l'auditoire comprenant, entre autres ne pratiquant pas la langue, la représentation du Corps

diplomatique422 accrédité au Sénégal.

Le constat est donc patent, quelles que soient les conjonctures qui justifient

ces rassemblements, les louanges du Prophète* ne sont jamais les seules invoquées423.

Pourtant la trajectoire, à la fois lumineuse et majestueuse, de cet homme d'exception, est si riche, sous tous les rapports, en rebondissements féconds et hautement pédagogiques.

En effet, qui ne se rappelle sa première rencontre troublante avec l'ange Gabriel, les multiples sévices qu'il endura sur le chemin de l'accomplissement de sa mission

divine, les exils successifs424 qui lui furent imposés, le prosélytisme qu'il conduisit avec

méthode et pugnacité, les renoncements aux fastes du monde sensible librement acceptés, le style inédit d'une administration finement élaborée et habilement mise en œuvre, etc.

Il y a là, à n'en point douter, une kyrielle de thèmes très importants pour concocter des programmes pédagogiques d'édification des consciences; ils sont légion les adeptes, peut-être contre leur gré, qui connaissent malheureusement moins le Prophète* que leurs Guides dont ils ont mémorisé les biographies.

N'y a-t-il pas là réellement une rectification majeure et une réorientation urgente à entreprendre? Ce double questionnement interpelle tout naturellement les hiérarchies des confréries, les khalife au premier chef, mais aussi et surtout les disciples eux-mêmes coupables de paresse intellectuelle regrettable.

L'initiative d'engager collégialement les mutations qui s'imposent appartient

exclusivement aux guides religieux qui devront se réapproprier le droit de prêcher, le

déléguer, si nécessaire, à des érudits es qualité, refondre l'enseignement du culte et en

organiser le procès.

421 Il existe pour chaque tarîqa, des experts préposés à ces prestations, dont ils font un moyen de vivre. Ils sont régulièrement requis, à cette fin, à chaque grande manifestation religieuse publique ou privée.

422 Les membres du Corps diplomatique accrédités au Sénégal de confession musulmane sont conviés à tous les événements majeurs organisés par les confréries

423 Même pas pendant la commémoration de sa venue au monde ni la nuit, Laylatu l qadr, au cours de laquelle il reçut la Révélation, le Coran

424 D'abord à Taïf, petite bourgade non loin de la Mecque, pour soustraire ses disciples de la pression de ses adversaires, puis à Médine pour poursuivre son sacerdoce après l'Hégire

Les disciples, dont l'existence et l'union justifient l'avènement du khalife, tiennent un rôle éminent; ils ont le devoir d'agir et de se montrer davantage curieux et laborieux.

- Curieux pour saisir les motivations profondes qui ont sous-tendu la

dévotion des fondateurs des tarîqa et la perpétuation de celles-ci depuis plus de cent ans par

les khalife successifs.

- Laborieux pour s'abreuver, certes sous la conduite de ces derniers425, à la

source de la vraie foi vécue individuellement426 en toute connaissance de cause, celle-là même

inspirée par le Prophète*.

Il nous paraît en définitive souhaitable de transcender cette vision narcissique du culte qui fait du guide religieux un démiurge duquel tout émane et vers lequel tout converge. La persistance des disciples dans ce comportement est une hétérodoxie qu'il appartient aux guides religieux de corriger sans état d'âme. L'absence de toute réaction des autorités habilitées à prendre une telle décision équivaudrait à l'encouragement d'une ferveur qui, à terme déboucherait, chez les adeptes, sur le dessaisissement inconscient du Messager* d'une prérogative qui lui est exclusive et que jamais nul ne l'y égalera ni ne l'en ravira: celle d'être, de tous les temps, l'unique guide suprême des croyants.

Les fondateurs et continuateurs-propagateurs des turûq seraient les premiers à s'en désoler et à en frémir s'il leur avait été donné de soupçonner cette déviation chez leurs descendants, laquelle se mue en hérésie inconsciente chez leurs disciples.

Nous avons la certitude que ces lignes paraîtront très osées pour certains et dangereusement utopiques pour les partisans du statu quo. Nous restons cependant persuadés que tous les guides religieux sans exclusive, sont dans d'excellentes dispositions d'esprit pour relever le niveau cultuel de leurs disciples dans la connaissance de leur Prophète*.

Ce sont là, à notre humble avis, les conditions idoines d'un échange plus

fructueux entre guides religieux et adeptes parce que ces derniers sont mieux instruits pour

apprécier et plus qualifiés pour poursuivre le prosélytisme aux côtés des premiers.

425 Par la formation et l'information sur les ahadith (pl. de hadith) et tous autres sujets pertinents de la pratique du culte

426 A cet égard le Prophète*, lui-même, avait invité instamment son oncle Abu Talib, dans les derniers instants de celui-ci, à prononcer la double Shahada: "je témoigne il n'y a de divinité qu'Allah et je témoigne que Muhammad Rasûlu l-Allah est Son Envoyé. C'était la seule condition pour que celui-ci fût considéré comme musulman et agrée par son Seigneur. Par fierté il ne le fit pas, mourut insoumis et le Prophète* ne put rien pour lui auprès de son Maître.

Mais la peur de faire bouger les us, de créer les modalités d'une rupture, sans rien rompre puisque la hiérarchie demeure, pétrifie hélas plus d'un.

6.3. La politique de revivification confrérique

La vivification appelle un effort soutenu de dynamisation d'une entreprise avec comme dessein le maintien en activité pérenne de celle-ci.

Il s'agit dans le cas des confréries au Sénégal, de la mise en œuvre d'un ensemble d'actions rationnellement coordonnées et suivies assidûment pour le maintien, dans la durée, de l'hégémonie d'une famille donnée sur une voie spirituelle, tarîqa.

Ce travail qui s'est toujours fait sans aucune discrétion, s'appuie sur une conjonction de dynamismes orientés et strictement circonscrits à un espace familial donné. Ici il s'agit de promouvoir l'émergence et le déploiement d'un appel islamique au profit d'une lignée. L'adhésion à cette cause se fait par cercles concentriques à double effet. D'abord centripète dont l'épicentre est une famille et ensuite centrifuge qui mobilise à l'extérieur tous ceux qui ont la même lecture du processus engagé. Celui-ci visant essentiellement à faire fructifier l'idée que "seule une famille est dépositaire exclusive du droit de gestion d'un culte au nom de toute une communauté."

L'édification des dynasties religieuses par la voie confrérique, fait donc autant d'émules que de sympathisants. La voie héréditaire a été de tout temps exclusivement privilégiée, qui écarte tacitement de grands érudits, lesquels d'ailleurs l'acceptent passivement au nom de la sujétion que leur impose leur statut de disciples de pères en fils. Toute possibilité d'accéder à la charge de chefs de confrérie leur est explicitement ôtée du fait de leur non appartenance à la veine familiale des élus.

Si cette voie d'accès à une charge défend un principe, elle n'est pas de nature à faire progresser la gnose islamique que la soumission à une vision monolithique d'une lignée, ampute de son vrai potentiel émancipateur: les oulamas. Les familles dites dépositaires se replient sur elles-mêmes et, étroitement solidaires, parlent, exceptionnellement sans discordance, d'une seule voix pour parer à toute tentative de réforme du système qui les a toujours favorisé. Jusqu'ici aucune incursion dans le système n'a été relevée.

Nous analysons succinctement, dans les pages qui suivent, les différents pivots de cette pratique plusieurs fois centenaire. Elle a jusqu'ici résisté à toute innovation

tendant à ouvrir à d'autres l'accès à la charge de khalife. Plus d'un pense en effet que la

nomination à ce titre devrait s'opérer, comme à l'origine avec les Compagnons du Prophète*, sur la base de critères précis qui privilégient la compétence, la morale, l'intelligence, la