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AVANT - PROPOS

2. AVANT PROPOS

3.5. Pertinence des dénominations

À ce stade de notre étude, la définition de certains concepts évoqués

jusqu’ici s’impose, notamment ceux de Fondateur et de Khalife et les épithètes qui sont liés

au second concept. Que recouvre en réalité ce substantif d’origine arabe ?

Nous entendons par fondateur celui qui, le premier, a pensé, structuré et

organisé l’animation d’une voie spirituelle nouvelle en en fixant le mode opératoire et en en

élaborant la philosophie de vie qui doivent prévaloir dans la pratique de sa tarîqa45

Khalife renvoie tout simplement à un titre de notoriété qui désigne celui à qui est conférée, la charge de guider une communauté, ici celle islamique dite ’Umma. L'accès à cette dignité requiert des qualités d’érudition évidente et une transcendance morale certaine, qui placent, à tous points de vue, son tenant au dessus de tous ses congénères.

Quant au Khalife initiateur et propagateur46 et/ou continuateur47, c’est

plutôt un adepte érudit, de très haut rang et au plus haut niveau d’une tarîqa déjà là, dont il a reçu mission expresse, par une autorité qualifiée, d’en propager les préceptes.

Le Khalife légataire, un statut que partagent tous les actuels khalife de toutes les confréries ou des foyers autonomes significatifs. Celui-ci tient sa charge de son extraction familiale par la voie patrilinéaire et qui l’assume à vie, sauf incapacité totale. Celle-ci est même tue parfois pour en préserver le secret et prévenir l’émoi excessif des adeptes.

45 C'est les cas de Seydina Limamou Lâhi et de Cheikh Ahmadou Bamba, respectivement fondateurs de la

layêniyya et de la Mouridiyya

46 Cette disposition renvoie à Cheikh Mame Mouhamed Bou Kounta, fondateur de Ndankh et Ndiassane (ou

Cheikh Mouhamed Fâdil en Mauritanie) et El Hajj Oumar Foutiyou Tall, respectivement propagateur de la

Qadiriyya et de la Tijâniyya

47 Une mission dont étaient chargés par exemple El Hajj Malick Sy de Tivaouane (disciple de Cheikh Oumar Tall par son Oncle Alpha Mayoro Wélé Mouqadam de celui-ci), El Hajj Abdoulaye Niasse de Kaolack, El Hajj Amadou Dème de Sokone, etc. et, respectivement, leurs khalife successifs.

Le Khalife général, découlant de la définition qui précède, est le khalife légataire de la famille maraboutique aux commandes, autour duquel évoluent volontairement

ou par tradition tous les Khalife légataires des familles maraboutiques de même tarîqa48 qui

lui ont prêté serment d’allégeance.

Les khalife légataires autonomes, plus nombreux dans la branche Tijâniyya49, sont exclus d'allégeance vis-à-vis de celui qui est communément appelé Khalife général de leur Tarîqa d'appartenance

Nous notons cependant une exception relative dans la Confrérie Mouride.

Mais cette réserve ne s'applique que seulement si nous considérons que chaque chef de carré

de la lignée de Cheikh Ahmadou Bamba, est un Khalife légataire de sa famille biologique.

Ceux-là ont tous prêté allégeance -c'est une obligation- au Khalife central, seul aux

commandes de ladite confrérie, appelé Khalife général des mourides.

Une autre observation s'impose, chez les qadr. Au Sénégal, Le khalife actuel de la famille Kounta de Ndiassane, n'est pas seul aux commandes de cette confrérie. En effet d'autres branches très actives par ailleurs, sans rapport organique avec cette famille, y

coexistent pacifiquement avec elle. Nous citons les disciples sénégalais de Cheikhna Cheikh

Sa'd Bûh de Nimzatt en Mauritanie, ceux de Chérif Sidy Ahmadou Aïdara fondateur de la Qadiriyya de Sibicouroto, localité chef lieu de sous préfecture dans la Région de Sédhiou, en Casamance, ou encore ceux de Cheikh Moussa Camara de Ganguel Sîk Musa, etc.

Dans cette configuration, le statut des guides de la Confrérie Qadr, des deux

branches Kountiyyu de Ndiassane et Ndankh, ne seraient que des khalife légataires de leur

famille respective. Elles se réclament toutes les deux de la lignée de Cheikh Bounama Kounta son ancêtre et Khalife continuateur et propagateur au Sénégal de cette Tarîqa,

Nous n'évoquerons ici les deux branches principales de la d'origine maure, la Bekkaya et la Fadelia que pour dire que leur khalifat résident en Mauritanie et ne sont que représentées au Sénégal par des disciples de haut niveau.

Chez les layènes par contre le système est plutôt monobloc, un seul Khalife légataire existe. La décentralisation, même si elle n'est pas à écarter en raison des khalife légataires qui se sont succédé, reste moins tranchée que chez les mourides

48 C'est, au sein de la Tijâniyya par exemple, le cas des familles Cissé de Pire, et Tall de Dakar voire de certains Imams locaux d'ethnie ouolof des régions de l'ouest et du centre du Sénégal.

49 Ils sont localisés dans les régions nord, est et sud du Sénégal dont les plus significatifs les familles El Hajj Niasse de Kaolack, El Hajj Mouhamadou Bâ de Madina Gounasse-Kolda- et quelques autres localités de l’intérieur du pays, notamment dans le Fouta: (El Hajj Amadou Niang à Boyinâdji-Matam-, Alpha Ibrahima Wane à Kanel-Matam Abdourahmane Sall de Banadji, etc.), le Sénégal oriental et la Casamance.

Nous pourrions déduire de ce constat qu’il n’y a jamais eu au Sénégal un seul Khalife parvenu à la charge par voie élective.

Les fondateurs, les propagateurs et/ou continuateurs50 ou continuateurs des

confréries, tous hommes d’une ferveur religieuse sans conteste, ont fait l’unanimité autour de leur personne par la constante dignité et l’égal courage dont ils ont fait montre face aux pressions de l'Ordre colonial. Ils se sont imposés à leurs coreligionnaires par leur charisme et la profondeur de leur culture dans les sciences islamiques.

Ils ont transféré leur sacerdoce à leurs descendants auxquels ils ont aplani la voie dans les cœurs des contemporains de ces derniers. C’est tout simple et le principe héréditaire a fait le reste. "J’ai trouvé mon père faisant…, alors je fais " est tout le secret de la perpétuation de la gestion du pouvoir spirituel par certaines familles au Sénégal. Nous y reviendrons.

Cette précision posée, qui ne fera certainement pas l’unanimité chez les intellectuels religieusement engagés, nous ferons, pour des commodités de l’exposé qui va suivre, une concession. Sans nous dédire ni renier notre opinion sur ce sujet, nous rejoindrons le plus grand nombre dans sa perception de la terminologie familière qui a la faveur de la pratique même dans la sphère officielle. Cela facilitera l’approche de notre travail par les partisans de la perception monolithique de la réalité des confréries au Sénégal.

Nous nommerons donc Khalife généraux les guides des quatre confréries

officielles. La désignation Khalife sans épithète, sera réservée à ceux des foyers autonomes

avec spécification des noms de famille de leur tenants ou des lieux de leur implantation. Nous clôturons ici cette présentation qui n'a d'autre fin que de familiariser le lecteur aux concepts qui seront utilisés tout au long de ce travail.

Le concept-clé articulé dans les débats officiel et profane, est exclusivement Khalife général. Ce personnage central n'est pas seul. En effet, aux niveaux que nous venons de définir, il est entouré d'autres autorités religieuses, inféodées ou indépendantes, avec lesquelles il traite directement ou indirectement des questions du culte. Nous avons donc, sans prétention aucune, retenu cette articulation de notre introduction pour une plus grande visibilité du travail que nous nous sommes assigné.

50 Nous écrivons indifféremment fondateurs, propagateurs et/ou continuateurs ou encore fondateurs, propagateurs et/ou initiateurs. Les deux concepts (continuateur et initiateur) n'appellent aucune fonction particulière. Le Guide qui prend la suite d'une charge (continuateur) assume, en même temps, une fonction pédagogique (initiateur) vis-à-vis de ses nouveaux disciples par l'initiation aux préceptes de la Tarîqa.

Mais l'émotion est humaine et la retenue une qualité.Aussi nous savons que même dans cette modulation volontaire de langage de notre part, il s’en trouvera toujours, quelque part, quelqu’un pour s’essouffler en récriminations pernicieuses exprimées en interjections indécentes. D'avance nous l'acceptons le comprenons et pardonnons cette intolérance à leurs auteurs

Lorsque la passion se substitue à la raison, alors tout ce qui ne glorifie pas le "démiurge", altère son aura. La nature humaine est ainsi faite. Notre objet n’est ni de célébrer les louanges, encore moins de flétrir le mérite de qui que soit en quoi que ce soit. Nous avons choisi de transcender cette forme de controverse pour nous placer sur la plage de l'esprit et non sur la pente des querelles partisanes.

Après ce survol sommaire de l’espace islamique sénégalais, il est aisé de se faire une idée générale du vécu des adeptes de ces entités religieuses. Pour être morphologiquement semblables (un chef et des disciples) les confréries comportent au plan protocolaire une structuration interne obéissant à des règles propres à chacune d’elles. Nous renvoyons l’analyse de cette spécificité au chapitre traitant de l’organigramme des confréries.