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CHAPITRE III : Le syncrétisme socio cultuel

6. LE SYNCRÉTISME SOCIO CULTUEL

6.1.8. Le Khalifat des confréries

Le premier constat qui s'impose donc est que la direction de l'Islam au

Sénégal n'a pas dévié de la pratique usitée par les Cheikh fondateurs des turûq historiques

rappelées ci-dessus. Aussi, depuis la structuration des confréries391 et des foyers autonomes,

ce sont quatre familles qui en assurent la régie au sommet par la voie généalogique.

À cet égard, la perception communément admise au Sénégal de la dignité de Khalife, est que celle-ci est exercée à vie et à titre strictement personnel. Ce n'est pas, nous l'avons vu, une innovation qui est particulière au Sénégal.

La prestation du serment d’allégeance et de fidélité au Khalife est l'acte

premier accompli par les membres de la Umma confrérique392, dès qu'est installé le titulaire

de la charge ainsi ouverte. Le protocole est à la fois très solennel et relativement simplifié393.

390 Les hommes qui assumeront successivement ces charges dans les différents foyers autonomes et Khilâfat

majeurs, ne seront nommés que pour les identifier et situer leurs rangs respectifs dans les ordres des successions. Il ne sera fait aucune mention de la conduite de leurs magistères, tout au plus quelques allusions succinctes à leurs faits et/ou actes saillants.

391 La Qadiriyya par les Kounta depuis 1883 Tijâniyya, après cheikh Umar Tall, par les Sy depuis 1902, la

Layêniyya par les Thiaw depuis1884, par les Mbacké depuis 1895. Il en est de même pour les Foyers autonomes

où la gestion est exclusivement assurée à l'échelle familiale.

392 Les héritiers du khalife défunt intègrent cet élan général et prêtent, comme les autres, allégeance au successeur à leur ascendant et se replient dans le faisceau des khilafat de famille.

393 Se déroule au sein de la confrérie concernée en présence des dignitaires de celles-ci, de quelques invités spirituels et temporels du nouveau khalife. Une cérémonie à fort accents de spiritualité pour le repos de l'âme du défunt et le succès dans la charge qui échoit à son khalife. La profession de foi du premier dignitaire de la confrérie est le clou de cette cérémonie

Il consiste en un changement de statut presque automatique pour le nouvel investi, suivi de la prise de fonction sans heurts puisque l'ordre de succession est connu d'avance.

Alors se profile un nouvel ordre qui signe les rapports actualisés du nouveau khalife avec son environnement. L'acte significatif qu'attendent avec impatience l'opinion et

les disciples en particulier, est le mouvement des hommes394 qui vont désormais prendre en

main la destinée de la confrérie sous l'égide unique du khalife. Une fois cette mesure prise, les collaborateurs du disparu cèdent, de bonne grâce, les rênes aux nouveaux nommés et prêtent allégeance avant de se retirer. C'est une pratique éprouvée de longue date, qui s'effectue avec l'élégance et le pragmatisme, deux qualités premières, qui sont l'apanage des grands systèmes religieux.

Cette forme de dévolution du Khalifat est une pratique communément

admise au Sénégal. On le voit donc l'accession au rang de khalife obéit, au Sénégal, à la règle généalogique, ce que explicitement le Prophète* n'avait pas privilégié. Nous sommes donc bien loin du consensus qui avait porté Abu Bakr, le premier compagnon à la direction de la

Umma395, au lendemain de l'éclipse du Messager*.

Globalement, selon cette acception du terme, l’on ne peut donc être

logiquement le khalife d’une communauté - entité sociologique définie et transcendant les

individus- mais successeur d'un homme antérieurement placéà la tête de celle-ci.

Cependant il faut le reconnaître que la cohésion de toute entité sociale

homogène, ici la communauté, repose sur la continuité de la charge de khalife laquelle doit

s’appuyer sur la succession linéaire des hommes partageant le même idéal religieux. Il n'est

pas nécessaire qu'ils soient issus de la même lignée396.

Nous disons donc que les tenants de la charge de guidance sont les guides de leur communauté et khalife du dernier tenant de cette fonction.

Au Sénégal, le parallélisme n'est pas parfait. En effet chaque Guide de

confrérie accède, selon un rituel immuable, à la dignité rendue vacante par la mort ou

394 Car chaque disciple, modeste ou bien introduit dans la hiérarchie du temporel, souhaiterait avoir un "tuteur"

qui lui permettrait d'avoir "un pied" dans le sérail pour d'éventuelles interventions auprès du Khalife ou de son entourage.

395 le procédé avait découlé simplement d’un libre choix par les éléments représentatifs de la Umma, selon des critères en rapport avec son rang de 1er compagnon, donc de proximité, et d'imprégnation islamique. Cette désignation a été tacitement entérinée par le reste des coreligionnaires

396 Le prophète* en a donné une illustration historique, suivi en cela par tous ses compagnons orthodoxes jusqu'au dernier, 'Ali.

l’incapacité avérée du prédécesseur. La charge ainsi libérée, échoit dans les mêmes conditions

au successeur connu d'avance397 et que les disciples de la confrérie agréent sans condition.

Suivant l'option prophétique, nous avons vu que le schéma de la dévolution du califat orthodoxe ne privilégiait pas l’origine familiale. La réplique sénégalaise est tout

autre, qui pose l'origine généalogique comme critère d'accession au khalifat. Ce mode de

dévolution a certes l'avantage d'être un moyen de sauvegarde de l’idéal religieux et de préservation contre les déchirements épisodiques qui menacent les confréries.

Comme nous l’avons mentionné précédemment398, il n’y aurait donc pas au

Sénégal de Khalife généraux de confréries mais, successivement, des khalife légataires des

charges des fondateurs de turûq (pl. de tarîqa). Ils sont tous chefs ou guides religieux.

Aujourd’hui, nous en convenons, cette réalité est plus difficile à faire admettre.

Cela est d’autant plus vrai que dans les quatre confréries officiellement reconnues, comme au sein des khilafat autonomes cités plus haut, cette charge est assumée à

vie par le fondateur, propagateur et/ou continuateur de la tarîqa. Dans la configuration

sénégalaise, cette charge a été, jusqu’ici,héréditaire dans tous les foyers de l'espace religieux.

L’aîné succède au père et les frères aux frères jusqu’à extinction de la première génération ; le cycle reprend avec le premier petit-fils, descendant de l’aîné du fondateur, propagateur et/ou continuateur. L’on devient Khalife seulement par la branche

patrilinéaire. La lecture des tables généalogiques des khilafat confrériques donne une vision

plus nette de ce processus.

On note dans chaque lignée confrérique, comme pour les premières

descendances des fondateurs, propagateurs et/ou des initiateurs, le processus de succession

respecte l'ordre d'âge. Actuellement, comme dit précédemment, dans presque toutes les confréries, c'est l'ère des petits fils. Mais observons, au passage, que le mode opératoire

jusqu'ici usité n'a pas encore rencontré de cas de jumeaux399 prétendants au même titre.

Ce serait un bien grand dilemme si le cas se produisait!

397 Il ne semble pas que le fondateur du mouridisme ait désigné son successeur, mais la sagesse de son jeune frère, Ndaamal Daarou, qui postulait à la charge, a prévenu tous déchirements. Son désistement a favorisé le consensus autour de sëriñ Mouhamadou Moustapha, l'aîné de cheikh Ahmadou Bamba. Le cas, ici, rejoint donc la pratique plus que millénaire du khalifat généalogique.

398 Voir le texte sur la pertinence des dénominations, page 35

399 Dans ces cas, selon une règle communément admise, la tradition donc l'opinion prétend que de deux jumeaux, le dernier né est supposé être le plus âgé. La légende explique cet anachronisme par le fait que le premier venu au monde n'aurait obéi qu'à l'ordre du second: "d'aller voir si la vie sur terre était douce." Peut-être est-ce parce que les convenances africaines respectent-elles scrupuleusement le droit d'aînesse?

Avançons pour illustrer que deux ou plusieurs cas de figures peuvent se

présenter puisque la polygamie400 ouverte prévaut généralement au Sénégal, particulièrement

dans les ménages des chefs religieux.

Quelle option suggérer devant les deux hypothèses suivantes:

1/ des jumeaux (utérins401 ou consanguins402)

2/ d'autres issus de pères (utérins ou consanguins)

Qui pourrait nier que ce sont là des cas complexes susceptibles d'advenir et qui appellent, par anticipation, réflexion? Une façon sage de prévenir des déchirements dans les lignées, comme il a failli y en avoir à la succession du Fondateur du Mouridisme, entre le

frère403 de Cheikh Ahmadou Bamba et le fils aîné404 de celui-ci.

La lecture du Tableau 4-7 : Les Khilâfat successifs des confréries en annexe

du tome II, synoptique des khilafat confrériques, donne une vision plus nette du mécanisme

de succession privilégié, qui n'a pas encore connu de dérogation.

Cette chaîne n’est interrompue que pour des raisons majeures : décès ou incapacité physique ou mentale avérée du détenteur. C’est une charge qui ne sort pas de ce cercle familial fermé ; l’érudition, quel qu’en soit le degré ne saurait être avancée par un tiers pour briguer la charge de khalife.

La tradition, s’inspirant placidement de la Shari'a qui autorise la polygamie, est tout naturellement porteuses de grands secrets. À cet égard, la vie intérieure des familles maraboutiques, notamment celles objet de notre étude, n'est pas des plus pacifistes, comme tendent à le croire les étrangers. L'opinion nationale est suffisamment édifiée sur cette question et nous nous gardons de tout commentaire touchant aux raisons profondes à l'origine de ces tensions intra familiales. Nous préciserons seulement que des intrigues de cours ne manquent pas et conduisent parfois à des conflits regrettables qui ne favorisent pas la cohésion confrérique. Justement ces querelles entre frères ou disciples ont ici et là engendré l'émergence de bien de foyers confrériques parallèles que nous avons qualifié d'autonomes.

Toutefois nous exposerons succinctement, dans les rubriques appropriées, certains aspects de ces rapports délicats et visiblement tendus. Ils émergent au grand jour

400 Le contrat de mariage permet deux options: monogamie ou polygamie à... 1, 2, 3 ou 4. Dans le second cas, il est stipulé le nombre d'épouses légales autorisées au mari après consentement de l'épousée devant l'officier d'État civil. Ces dispositions du Code de la famille ne lient nullement les chefs religieux puisque la répudiation est encore pratiquée dans les familles religieuses.

401 De même père et mère

402 De même père et de mères différentes

403 Mame Cheikh Ibra Faty Mbacké de Darou Mouhty

malgré le halo dont les familles concernées les entourent. Leurs manifestations sont souvent liées aux événements qui mobilisent l'attention de l'opinion nationale et étrangère, telles les successions, ou les célébrations de certaines fêtes canoniques ou les commémorations. Dans

les pages à venir, nous mentionnerons la crispation la plus remarquée au sein de la Tarîqa

Tijâniyya au grand dam des disciples de celle-ci. Ce sera, en définitive, le seul cas que nous exposerons.

Au niveau général, ces joutes feutrées par disciples interposés, s'insinuent dans tous les actes de dévotion dans l'espace cultuel sénégalais. Elles peuvent, au sein d'une même confrérie, surgir entre des héritiers consanguins et/ou utérins pour des motifs internes divers.

Cette opposition glisse tout naturellement dans les rangs des adeptes qui,

forcément, ont prêté indifféremment allégeance aux différents descendants des Fondateurs.

Ils ne tolèrent rien qui pourrait ternir l'image de leur Guides dont ils œuvrent continuellement

à rehausser l'audience; alors tous les artifices et propos sont mis habilement à contribution

pour confondre l'adversaire.

À cet égard, toutes les occasions annuelles de prêches sont saisies pour des insinuations acerbes lesquelles débouchent rarement sur des confrontations ouvertes. Les guides y veillent personnellement parce qu'ils les redoutent pour éluder l'altération de leur aura.

Les prêches sont donc la tribune appropriée pour passer les messages divers

visant à ternir le profil de l'autre. Le lustre est pour le guide avec force rappels d'anecdotes

6.2. Les prêches et les confréries

Les prêches des imams sont une tradition voulue et instituée de longue date, du temps du Prophète*. Ils sont réputés être une forme de Djihâd de temps de paix pour éveiller les prosélytes sur les préceptes de l’Islam. Ces séances d’initiation-confirmation pour les nouveaux et anciens adeptes, se faisaient publiquement, à toutes les occasions des grands rassemblements à vocation cultuelle.