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Le rôle de l’origine dans l’application des mesures non tarifaires

Dans le document L'origine des marchandises (Page 115-120)

142. Comme le notent à juste titre le Professeur C.J. BERR et H. TRÉMEAU, la détermination de l’origine des marchandises est devenue aujourd’hui « une opération dont l’intérêt dépasse en effet celui qui s’attache à la simple application du tarif douanier »324. Ils ajoutent qu’«attribuer à une marchandise telle ou telle origine géographique, c’est en effet, non seulement décider du taux de droit de douane qui lui est imposé, mais également désigner le régime des mesures non tarifaires qui lui seront appliquées »325. Or il faut tenir compte du fait que l’application d’une bonne partie des mesures non tarifaires peut conduire à des situations litigieuses326.

324 BERR C.J., TRÉMEAU H., Le Droit douanier communautaire et national,op. cit., n° 181.

325 Idem.

326 Par exemple, le Rapport du Groupe spécial adopté le 4 oct. 1994 (DS 44/R),

Etats-Unis – mesures affectant l’importation, la vente et l’utilisation de tabac sur le marché intérieur, voir G.A.T.T./O.M.C. Recueil des contentieux du 1er janvier 1948 au 31

143. A titre d’exemple on propose d’examiner le Rapport du Groupe spécial du G.A.T.T. adopté le 10 mars 1981 (L/5099–28S/97),

Communauté européenne importation de viande de bœuf en provenance (originaire) du Canada327, où le Canada a demandé si les Règlements (C.E.E.) n° 2972/79328 et 2957/79329 étaient conformes aux dispositions de l’article Ier, §1, du G.A.T.T. de 1947, qui prévoit le traitement de la nation la plus favorisée pour tout produit similaire sans distinction d’origine. Il est opportun de préciser que le Groupe spécial a établi que l’importation de la viande de boeuf marquée « choice » ou « prime » dont il s’agissait à l’article 1er, §1, point d), du Règlement (C.E.E.) n° 2972/79330 était

décembre 1999, sous la direction de CANAL-FORGUES E., FLORY Th., op. cit., Aff. n° 75, pp. 490-499 ; le Rapport de l’Organe d’appel et le Rapport du Groupe spécial (29 janv. 1996) tel que modifié par le Rapport de l’Organe d’appel (22 avr. 1996) adoptés le 20 mai 1996 (WT/DS2/R et WT/DS2/AB/R), Etats-Unis – normes concernant l’essence nouvelle et ancienne formule, Ibid., Aff. n° 77, pp. 521-560 ; le Rapport de l’Organe d’appel et le Rapport du Groupe spécial (11 juil. 1996) WT/DS8/AB/R, WT/DS10/R et WT/DS11/R tel que modifié par le Rapport de l’Organe d’appel (4 oct. 1996) adoptés le 1er nov. 1996 WT/DS8/AB/R, WT/DS10/R et WT/DS11/AB/R. L’Arbitrage au titre de l’article 21, §3 c) du 14 fév. 1997, WT/DS8/15, WT/DS10/15 et WT/DS11/13, Japon – taxes sur les boissons alcooliques, Ibid., Aff. n° 78, pp. 561-587 ; le Rapport du Groupe spécial (31 mars 1998) adopté le 22 avril 1998 (WT/DS44/R 98-0886), Japon – mesures affectant les pellicules et papiers photographiques destinés aux consommateurs, Ibid., Aff. n° 87, pp. 836-864 ; le Rapport de l’Organe d’appel et Rapport du Groupe spécial (17 sept. 1998) WT/DS75/R et WT/DS84/R tel que modifié par le Rapport de l’Organe d’appel (18 janv. 1999) adoptés le 17 fév. 1999 (WT/DS75/AB/R et WT/DS84/AB/R), Corée – taxes sur les boissons alcooliques, Ibid., Aff. n° 94, pp. 1038-1053.

327 Voir G.A.T.T./O.M.C. Recueil des contentieux du 1er janvier 1948 au 31 décembre 1999, sous la direction de CANAL-FORGUES E., FLORY Th., op. cit., Aff. n° 31, pp. 128-132.

328 Règlement (C.E.E.) n° 2972/79 de la Commission du 21 déc. 1979, établissant les modalités d’application des régimes d’importation prévus par les Règlements (C.E.E.) n° 2957/79 et n° 2958/79 dans le secteur de la viande bovine, J.O.C.E. n° L 336 du 29 déc.1979, p. 0037

329 Règlement (C.E.E.) n° 2957/79 du Conseil du 20 déc. 1979, portant ouverture d’un contingent tarifaire communautaire de viandes bovines de haute qualité, fraîches, réfrigérées ou congelées, des sous-positions 02.01 A II a) et 02.01 A II b) du tarif douanier commun, J.O.C.E. n° L 336 du 29 déc. 1979, p. 0005.

330 Article 1er, §1, point d), du Règlement (C.E.E.) n° 2972/79 prévoit que « le contingent tarifaire de viandes bovines […] est reparti comme suit pour l’année 1980 : a)… b)…c)… d ) 10 000 tonnes, en poids du produit, de viandes fraîches, réfrigérées ou congelées, des sous-positions 02.01 à II a) et 02.01 à II b) du tarif douanier commun, répondant à la définition suivante : carcasses ou toutes découpes provenant de bovins de moins de trente mois élevés pendant au moins cent jours avec une nourriture équilibrée, à haute concentration énergétique contenant au moins 70 % de grains, d’un poids total minimal de 20 livres par jour. La viande marquée choice ou prime selon les normes du

soumise à la présentation d’un certificat d’authenticité émanant d’un organisme agréé qui figure sur la liste de l’Annexe II de ce même règlement.

144. Le Groupe spécial a constaté que le Food Safety and Quality Service (F.S.Q.S.) du Département de l’agriculture des Etats-Unis (U.S.D.A.) était le seul organisme qui figure sur la liste de l’Annexe II du Règlement (C.E.E.) n° 2972/79 et qui était habilité à délivrer lesdits certificats pour la viande en question originaire des Etats-Unis. De plus, une licence d’importation était exigée à l’importation de la viande sur le territoire douanier communautaire. Par ailleurs, le Groupe spécial a noté que la viande que le Canada se proposait d’exporter vers la C.E. dans le cadre de ce contingent répondait exactement aux spécifications prescrites par l’article 1er, §1, point d), du Règlement (C.E.E.) n° 2972/79, sauf que le F.S.Q.S. ne pouvait pas délivrer les certificats nécessaires, car la viande était originaire du Canada et non pas des Etats-Unis. Ensuite, le Groupe spécial a constaté que les produits correspondant à la désignation de l’article 1er, §1, point d), du Règlement (C.E.E.) n° 2972/79 étaient des produits similaires aux fins de l’article Ier du G.A.T.T. de 1947.

145. Concernant ce cas, le Groupe spécial a conclu que l’article 1er, §1, point d), du Règlement (C.E.E.) n° 2972/79 et son Annexe II avaient pour effet d’empêcher l’accès sur le marché européen des produits similaires d’origine canadienne et que de ce fait ces normes apparaissaient comme incompatibles avec le traitement de la nation la plus favorisée énoncé à l’article Ier du G.A.T.T. de 1947. En d’autres termes, après avoir constaté que la viande de boeuf canadienne répondait aux conditions de la définition communautaire de la viande de boeuf de grande qualité mais qu’elle n’était pas reconnue en tant que telle par les autorités douanières communautaires, le Groupe spécial a constaté la violation par la C.E. de l’article Ier du G.A.T.T. de 1947. On observe alors que l’origine des marchandises peut complètement changer les données de l’opération d’importation, ce qui peut conduire dans certains cas même à l’impossibilité d’importer, malgré le fait qu’il s’agit de produits similaires.

Département de l’agriculture de Etats Unis (U.S.D.A.) entre automatiquement dans la définition ci-dessus ».

146. Il convient d’analyser alors de quelle façon les mesures non tarifaires emploient la notion d’origine. Ainsi, l’application des contingentements répartis par pays, des mesures anti-dumping, des mesures antisubventions, etc., serait-elle possible sans connaître avec certitude le pays d’origine des marchandises ? Certes, l’examen des mesures non tarifaires mériterait une analyse scientifique à part. Or le cadre restreint de cette étude ne permet pas de procéder à un examen si minutieux. On propose alors de ne se concentrer que sur la recherche du lien entre l’origine des marchandises et l’application de certaines mesures non tarifaires.

147. Les mesures non tarifaires, souvent appelées « barrières non tarifaires » font partie de la politique commerciale331 des Etats. Celles-ci représentent de nos jours les principaux obstacles pour les échanges commerciaux internationaux. Aujourd’hui, c’est dans ce domaine que trouvent principalement refuge les mesures de protection et de défense commerciale. La particularité des barrières non tarifaires réside dans le fait que la plupart d’entre elles ne manifestent pas ouvertement leur caractère protectionniste ou défensif par rapport à l’importation des produits étrangers. C’est seulement à raison de leurs effets que ces barrières peuvent être qualifiées d’obstacles aux échanges commerciaux internationaux. De plus, la prolifération des mesures non tarifaires montre bien l’intérêt des Etats par rapport à leur application. C’est ainsi que « lorsque le G.A.T.T. en commença le recensement dans les années 1970, il arrêta une liste de quelque 855 obstacles de cette nature pour rapidement dépasser largement le millier. Dans d’autres enceintes on a pu en dénombrer quelque... 20.000 ! »332.

148. Concernant la définition des mesures non tarifaires, on observe une approche quasiment similaire dans les écrits de divers auteurs, même s’ils viennent d’écoles juridiques bien différentes. Par exemple, selon

331 Cf. supra, n° 99 et ss.

M. V.G. DRAGANOV333 les barrières non tarifaires peuvent être définies comme un « complexe de mesures possédant un caractère protectionniste ou défensif qui empêchent l’introduction des marchandises étrangères sur le marché intérieur »334. D’après MM. D. CARREAU et P. JUILLARD, sous une barrière non tarifaire on peut entendre « toute mesure ou pratique, quelle qu’en soit l’origine (publique ou privée), dont l’effet (si ce n’est le but) est de freiner l’accès des produits d’origine étrangère sur un marché national donné que ce soit au stade de l’importation ou de la commercialisation »335.

149. Au niveau international, la question de l’application des mesures non tarifaires reste assez controversée336. D’un côté, l’O.M.C. mène une politique de réduction, voire d’interdiction de principe de telles mesures. De l’autre côté, tous les pays et notamment les Etats développés emploient à une large échelle les mesures non tarifaires afin de réglementer leur activité économique extérieure. Il n’est pas étonnant alors que « les places dans le championnat de l’application des mesures non tarifaires soient partagées constamment entre les Etats-Unis, le Japon et les Etats membres de l’U.E. »337. Enfin, il est important de préciser que l’origine des marchandises ne constitue pas par elle-même un instrument du commerce. Elle permet, purement et simplement, l’application de certaines mesures non tarifaires qui peuvent prendre une forme de protection (Section 1) ou de défense commerciale (Section 2).

333 Il s’agit de l’ex-Directeur général du Service des douanes de la Fédération russe entre les années 1998-1999.

334 DRAGANOV V.G. Osnovi tamojennogo dela, op. cit., p. 381.

335 CARREAU D., JUILLARD P., Droit international économique, op. cit., p. 167.

336 Il est permis toutefois de s’interroger pour quelle raison les mesures tarifaires sont de moins en moins appliquées par rapport aux mesures non tarifaires ? L’explication tiendrait au fait que les mesures tarifaires se distinguent par leur caractère simple et transparent, ce qui n’est pas toujours le cas pour les mesures non tarifaires. Par exemple, les pays membres de l’O.M.C. ne peuvent pas augmenter les taux des droits de douane sauf dans des cas exceptionnels (il peut s’agir de l’application des droits antidumping, des droits compensateurs). En d’autres termes, la barrière tarifaire devient de plus en plus « prévisible », ce qui la rend moins efficace pour protéger le marché intérieur. En revanche, les mesures non tarifaires connaissent le succès qui est dû principalement à la complexité et souvent à la non transparence de leur caractère.

Section 1.

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