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Les affaires « hormones » et « saumon non cuit »

Dans le document L'origine des marchandises (Page 59-65)

Les notions relevant des techniques douanières

II. Les affaires « hormones » et « saumon non cuit »

62. Au début des années 1980 la C.E. a adopté une série de directives154 dont l’objectif était la prohibition de la viande traitée aux hormones155. En l’absence de preuves scientifiques qui justifient l’effet

152 Voir le Rapport de l’Organe d’appel et le Rapport du Groupe spécial (18 août 1997) - Etats-Unis (WT/DS26/R/USA) ; le Rapport du Groupe spécial (18 août 1997) - Canada (WT/IDS48/R/Canada) tels que modifiés par les Rapports de l’Organe d’appel (16 janv. 1998) adoptés le 13 fév. 1998 (WT/DS26/AB/R; WT/DS48/AB/R) ; l’Arbitrage au titre de l’article 21.3 point c) du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends rendu le 29 mai 1998 (WT/DS26/15; WT/DS48/13) ; l’Arbitrage au titre de l’article 22.6 du Mémorandum d’accord sur les règles et les procédures régissant le règlement des différends rendu le 12 juil. 1999 (WT/DS48/ARB; WT/DS26/ARB).

153 Voir le Rapport de l’Organe d’appel et le Rapport du Groupe spécial (12 juin 1998) (WT/DS18/R) tel que modifié par le Rapport de l’Organe d’appel (20 oct. 1998) (WT/DS18/AB/R) adopté le 6 nov. 1998 ; l’Arbitrage au titre de l’article 21.3 point c) du Mémorandum d’accord sur les règles et les procédures régissant le règlement des différends rendu le 23 fév. 1999 (WT/DS18/9).

154 Voir la Directive (C.E.E.) n° 81/602 du Conseil, du 31 juil. 1981 concernant l’interdiction de certaines substances à effet hormonal et des substances à effet thyréostatique, J.O.C.E. n° L 222 du 7 août 1981, p. 32 ; la Directive (C.E.E.) n° 88/146 du Conseil du 7 mars 1988, interdisant l’utilisation de certaines substances à effet hormonal dans les spéculations animales, J.O.C.E. n° L 070 du 16 mars 1988, p. 16 ; la Directive (C.E.E.) n° 88/299 du Conseil du 17 mai 1988, relative aux échanges des animaux traités à certaines substances à effet hormonal et de leurs viandes, visés à l’article 7 de la Directive (C.E.E.) n° 88/146, J.O.C.E. n° L 128 du 21 mai 1988, p. 36. Ces directives ont comme objet d’interdire la commercialisation sur le marché de la C.E. de la viande ou des produits carnés qui proviennent d’animaux auxquels on a administré les six hormones suivantes : l’oestradiol-17β, la progestérone, la testostérone, l’acétate de trenbolone, la zéranol et l’acétate de mélengestrol.

155 Les prohibitions à l’importation sur le territoire de la C.E. de la viande traitée aux hormones ont généré de nombreux cas de fraude, dont l’objectif était de contourner les dispositions légales en vigueur. Par exemple, suite à un contrôle douanier de sept importations de jeunes bovins en provenance de Yougoslavie, les autorités douanières ont constaté qu’ils avaient été commandés à une société américaine pour le compte d’une société italienne dont le prévenu (entreprise française) détenait 20% des parts sociales (sachant que les Etats-Unis autorisent l’administration des hormones à l’élevage des animaux, les autorités douanières communautaires se montraient plus vigilantes par rapport à la viande d’origine américaine). Après avoir été expédiées en Yougoslavie, où elles ont fait l’objet d’un reconditionnement et d’un nouvel étiquetage, les marchandises ont été vendues à une société ayant son siège sur l’île de Man. Par la suite ces marchandises ont été revendues à une société de droit français. Celle-ci a recouru à la fausse déclaration de l’origine afin d’éluder les mesures de prohibition communautaires à l’importation des viandes bovines (Décision (C.E.E.) n° 89/15 de la Commission, J.O.C.E. n° L008 du 11 janv. 1989, p. 0011 – 0012) originaires des Etats-Unis. Le cas présenté

ci-dangereux de ces hormones pour la santé, les Etats-Unis ont pris des mesures de rétorsion par rapport à certaines marchandises originaires des pays membres de la C.E. En avril 1996 la C.E. a décidé de contester les mesures américaines devant l’O.R.D. de l’O.M.C. Par conséquent, les Etats-Unis ont renoncé à l’application des mesures de rétorsion en juillet 1996. En revanche, la C.E. a préféré maintenir l’interdiction d’importation de la viande traitée aux hormones, ce qui continuait à affecter les producteurs américains. Après avoir été saisi par la partie américaine, le 13 février 1998, l’O.R.D. a adopté le Rapport de l’organe d’appel qui montrait que les mesures prises par la C.E. concernant les prohibitions sur le marché de la viande traitée aux hormones n’étaient pas conformes à l’Accord sur les M.S.P.

63. Les parties au différend ne se sont pas entendues sur le délai dont pouvait disposer la C.E. pour mettre ses mesures sanitaires en conformité avec l’Accord sur les M.S.P. En fonction de l’article 21.3 point c) du Mémorandum d’accord156, un arbitre a été désigné par le Directeur général de l’O.M.C. pour trancher sur la question. Il a fixé ce délai à quinze mois à partir du 13 février 1998. A son expiration, le 13 mai 1999, la C.E. a reconnu ne pas avoir modifié ses mesures concernant l’importation de viande traitée aux hormones. Par conséquent, en vertu de l’article 22.2 du Mémorandum d’accord, les Etats-Unis et le Canada157 ont demandé à l’O.R.D. de les autoriser à suspendre, à l’égard de la C.E., certaines concessions tarifaires158 qui ont été concédées dans le cadre du G.A.T.T. Ainsi, les Etats-Unis et le Canada ont estimé que les « mesures

dessus montre, une fois de plus, l’intérêt qui s’attache à l’origine des marchandises dans le commerce international. Ainsi, la viande des jeunes bovins originaires des Etats-Unis dont l’importation dans la C.E. a été prohibée a dû se « naturaliser » yougoslave pour pouvoir être importée sur le territoire communautaire. Cette opération a eu comme objectif de contourner les prohibitions communautaires à l’importation. Voir Cass. Crim., 3 mai 2001, Aff. n° 00-81691 et n° 94-82951.

156 Il s’agit du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends appliqué par l’O.R.D. de l’O.M.C.

157 Le Canada, étant un important exportateur de viande traitée aux hormones, a demandé à son tour, le 28 juin 1996, l’ouverture des consultations avec la C.E. sur le même sujet que les Etats-Unis.

communautaires leur causaient un préjudice annuel de respectivement 202 millions de dollars américains et 75 millions de dollars canadiens » 159. Ils ont demandé que la suspension de leurs concessions tarifaires puisse porter, chaque année, sur un montant équivalent. La C.E. a contesté ces chiffres qui ont été réduits à respectivement « 116,8 millions de dollars américains et 11,3 millions de dollars canadiens »160. Par la suite, le 26 juillet 1999, en s’appuyant sur l’article 22.7 du Mémorandum d’accord, l’O.R.D. a pris la décision qui a permis aux Etats-Unis et au Canada de suspendre, à l’égard de la C.E., leurs concessions tarifaires à la hauteur du préjudice subi.

64. Au lendemain de l’adoption par l’O.R.D. du rapport sur l’affaire « hormones », la plupart des commentateurs ont soutenu que la C.E. avait perdu ce contentieux. L’O.R.D. a estimé que l’argumentation apportée par la C.E. manquait de preuves scientifiques suffisantes concernant le danger que pouvaient présenter les hormones utilisées pour l’élevage des animaux. On admet cependant que la C.E. aurait dû construire sa ligne de défense sur une base juridique plus adéquate. En effet, au lieu de se « laisser enfermer »161 dans l’accord technique sur les M.S.P., elle aurait dû invoquer l’article III du G.A.T.T. de 1947 selon lequel les Membres de l’O.M.C. restent souverains quant à l’application des standards nationaux à condition de traiter de façon identique les marchandises importées et les marchandises autochtones similaires. En d’autres termes, chaque Etat membre de l’O.M.C. a le droit de fixer son niveau national de protection sanitaire qui peut s’avérer plus élevé que celui fixé au niveau international.

65. Concernant la seconde affaire, celle du « saumon non cuit », en 1996 l’Australie a pris la décision d’appliquer les prohibitions à l’importation du saumon frais, réfrigéré ou congelé, c’est-à-dire du saumon non cuit, en se fondant sur les normes sanitaires nationales. L’objectif de

159 IYNEDJIAN M., op. cit., p. 24.

160

Ibid., p. 25.

161 Voir PESCATORE P., intervention au colloque de Bordeaux de la S.F.D.I.,

Droit international et droit communautaire - Perspectives actuelles, Ed. Pedone, Paris, 2000, p. 433.

cette mesure consistait à empêcher le développement sur son territoire des maladies qui auraient pu être transmises aux poissons indigènes. Or le Canada n’a pas apprécié la mesure prise par l’Australie et a demandé, le 5 octobre 1995, l’ouverture des consultations avec ce pays. La partie canadienne contestait vivement les mesures sanitaires australiennes au regard du G.A.T.T. de 1947 et de l’Accord sur les M.S.P. Toutefois, les consultations entre les parties n’ont pas permis de régler ce différend et l’O.R.D. a été saisi. Dans son rapport du 5 mai 1998 il a estimé que les mesures australiennes violaient l’Accord sur les M.S.P. Par conséquent, en fonction de l’article 21.3 point c) du Mémorandum d’accord, le Directeur général de l’O.M.C. a désigné un arbitre pour fixer un délai raisonnable qui permettrait à l’Australie de mettre ses mesures sanitaires en conformité avec l’Accord sur les M.S.P. Le délai a été fixé à huit mois à partir du 6 novembre 1998. A son expiration, le 6 juillet 1999, la partie canadienne a estimé que l’Australie n’a pas tenu compte des décisions et recommandations de l’O.R.D. En conséquence, en vertu de l’article 22.2 du Mémorandum d’accord, le Canada a requis de l’O.R.D. l’autorisation de suspendre à l’égard de l’Australie « certaines concessions tarifaires à concurrence d’un montant annuel de 45 millions de dollars canadiens » 162. Or malgré les mesures de défense procédurale prises par l’Australie, elle n’a pas pu convaincre l’O.R.D. Le fait d’avoir adopté, le 19 juillet 1999, de nouvelles mesures sanitaires concernant les importations de saumon non cuit n’a pas eu l’effet attendu. Enfin, le 16 mai 2000, le Canada et l’Australie ont conclu un accord concernant la mise en œuvre des décisions et recommandations de l’O.R.D. qui ont eu comme résultat la modification des mesures sanitaires australiennes par rapport à l’importation sur son territoire du saumon frais, réfrigéré ou congelé.

66. Les affaires présentées ci-dessus montrent que l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires n’emploie qu’indirectement la notion d’origine des marchandises. L’application des prohibitions fondées sur des mesures sanitaires a eu pour but et pour effet d’empêcher l’importation de certaines marchandises. En appliquant les prohibitions il serait naïf de croire

que les Etats qui ont pris ces décisions - qui consistent à interdire l’accès de certaines marchandises sur leur territoire - n’ont pas pu prévoir les conséquences de ces mesures. A vrai dire, avant d’imposer les mesures prohibitives, ces Etats ont pu même réaliser un pronostic, non officiel bien entendu, concernant la réduction du volume des importations et cela par rapport au critère d’origine des marchandises tout en commençant par les pays qui sont les plus gros exportateurs des marchandises en question. Autrement dit, les Etats qui ont pris la décision d’appliquer les prohibitions ont pu prévoir, avec une quasi certitude, les pays dont les intérêts commerciaux seraient atteints.

67. L’hypothèse qui consiste à démontrer l’existence d’une liaison indirecte entre la notion d’origine des marchandises d’un côté et l’application des prohibitions fondée sur des mesures sanitaires et phytosanitaires de l’autre côté, peut trouver un support supplémentaire. En effet, il s’agit de l’application des mesures de rétorsion prises par les Etats exportateurs suite à l’introduction des prohibitions en question. On a mentionné plus haut que les pays exportateurs, c’est-à-dire les Etats-Unis et le Canada dans l’affaire des « hormones » et le Canada dans l’affaire du « saumon non cuit » ont pris la décision de réduire la liste des concessions tarifaires concernant les pays qui ont imposé ces prohibitions : dans le premier cas il s’agissait des Etats membres de la C.E et dans le second cas de l’Australie. Les mesures de rétorsion prises sous la forme de réduction de la liste des concessions tarifaires se fondent entièrement sur la notion d’origine des marchandises. Ces réductions, comme on l’a vu dans les affaires examinées ci-dessus, ont eu pour but de réduire le volume des marchandises importées originaires des pays qui ont imposé les mesures sanitaires. Toutefois, dans certaines situations exceptionnelles, par exemple l’épidémie de la vache folle ou celle de la grippe aviaire163, l’application des mesures sanitaires est

163 La grippe aviaire (ou la grippe du poulet ou l’Influenza aviaire) est une infection due à un virus de la famille des Orthomyxoviridae qui comprend plusieurs genres (ou types) dont l’Influenzavirus-A. Celui-ci est divisé en sous-types parmi lesquels les sous-types H5 et H7. Cette infection peut toucher presque toutes les espèces d’oiseaux, sauvages ou domestiques. Elle peut être fortement contagieuse surtout chez les poulets et les dindes, et être susceptible d’entraîner une mortalité extrêmement élevée de ces espèces. Le virus Influenza aviaire peut éventuellement infecter d’autres espèces animales comme le porc et/ou d’autres mammifères. Source : la Direction générale de la santé SD5-C, Bureau des maladies infectieuses et de la politique vaccinale de la France.

justifiée. Dans ce cas, un pays « non contaminé » peut prendre des mesures de prohibition tout en spécifiant le (ou les) pays d’où l’importation est prohibée. Ces mesures retiendront comme critère le pays d’origine des marchandises mais également le pays de provenance164.

§ 2. L’origine et la libre pratique

68. La libre pratique est une notion strictement communautaire. Elle fait l’objet des articles 79 à 83 du Code des douanes communautaire165 (C.D.C.) et des articles 290 à 308 des dispositions d’application de ce code166 (D.A.C.). L’article 79, al. 1, du C.D.C. définit la mise en libre

164 Suite à l’apparition des premiers cas de grippe aviaire, la plupart des pays y ont réagi en introduisant des prohibitions fondées sur des mesures sanitaires exceptionnelles prises en vue de protéger la santé publique. Les Etats qui ont introduit ces prohibitions d’ordre exceptionnel aient utilisé la notion d’origine des marchandises mais également celle de provenance. Par exemple, l’importation des poulets américains sur le territoire communautaire se verra refusée dans le cas où ces animaux auront séjourné pendant quelques jours au Vietnam (pays contaminé à l’époque) avant d’être abattus et cela pendant l’épidémie de la grippe aviaire.

165 Règlement (C.E.E.) n° 2913/92 du Conseil du 12 oct. 1992 établissant le Code des douanes communautaire, J.O.C.E. n° L 302 du 19 nov. 1992, p. 0001-0050. Il est à noter qu’une réforme profonde de l’actuel C.D.C. est en cours de préparation. C’est ainsi que le 30 novembre 2005, la Commission européenne a adopté sa proposition de « Code des douanes modernisé » (COM(2005) 608 final). Le même jour la Commission a adopté une proposition de décision du Parlement européen et du Conseil « relative à un environnement sans support papier pour la douane et le commerce » (Com(2005) 609 final). Ces propositions ont comme objectif de promouvoir le concept de « douane électronique » afin d’accroître la compétitivité des entreprises européennes et de contribuer ainsi à la croissance économique en U.E. Selon les auteurs de la reforme, la proposition du Code des douanes modernisé ne constitue pas une simple refonte mais un remaniement profond du C.D.C. actuellement appliqué. Les changements proposés peuvent en principe être repartis en deux grandes catégories : il s’agit de mettre en place un système douanier électronique interopérable à l’échelle communautaire afin de simplifier et rationaliser les formalités douanières, tout en renforçant le caractère communautaire du droit douanier ; il s’agit également de mettre l’accent sur une meilleure protection des acteurs qui participent aux échanges commerciaux internationaux. Voir sur ce sujet LUX Michael, LARRIEU Pierre-Jacques, La réforme du Code des douanes communautaire, tentative réussie de concilier progrès technique et simplification du droit ?, R.A.E., n° 4, 2005, pp. 553-574.

166 Règlement (C.E.E.) n° 2454/93 de la Commission du 2 juil. 1993 fixant certaines dispositions d’application du Règlement (C.E.E.) n° 2913/92 du Conseil établissant le Code des douanes communautaire, J.O.C.E. n° L 253 du 11 oct. 1993, p. 0001-0766.

pratique167 comme une opération qui « confère le statut douanier de marchandise communautaire168 à une marchandise non communautaire169 ». Autrement dit, la mise en libre pratique d’une marchandise non communautaire a comme conséquence l’octroi du statut de marchandise communautaire. Il est à noter que l’al. 2 du même article précise que la mise en libre pratique « comporte l’application des mesures de politique commerciale, l’accomplissement des autres formalités prévues pour l’importation d’une marchandise ainsi que l’application des droits légalement dus »170.

I. Les marchandises d’origine communautaire et les marchandises

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