La gestion des BR est affectée, sans cesse, par des bouleversements du métabolisme. Ces bouleversements peuvent se traduire par des variations de flux au sein de l’exploitation (par exemple une variation de la quantité de pailles produites d’une année sur l’autre), mais aussi des variations de flux et tensions avec les partenaires commerciaux (la perte d’un fournisseur de fumier pour un agriculteur). Les bouleversements du métabolisme peuvent
61 Georgescu-Roegen considère les ressources naturelles comme un facteur premier des processus
de production, dont il faut tenir compte du rythme de renouvellement. Il est donc important dans les analyses du réseau métabolique en tant que réalité faite de flux et de fonds, de voir comment les agriculteurs prennent en considération les ressources naturelles.
Chapitre.X. Essai d’économies de la grandeur au service d’une écologisation terrestre de la gestion des biomasses résiduaires
également concerner l’entrée de nouveaux fonds, inattendus, dans le processus. Le Tableau 19 résume les principaux types de bouleversements.
Ces situations problématiques et les bouleversements du métabolisme associées donnent à voir des situations où le vivant n'est pas pris en compte, dans ses rythmes et fonctionnements propres et dans ses capacités d’agir. Je les illustre au travers d’exemples de situations où les représentations du métabolisme sont sujettes à contestation et la façon dont cela amène les agriculteurs à reconsidérer ce qu’est un bon métabolisme
Types de bouleversements Exemples de situations
problématiques
Des flux soumis à des variations qui ne sont pas toujours prévisibles
Des variations de flux au sein de l’exploitation : exemple d’une mauvaise prise en compte de la vie du sol.
Michael(Agri24) est confronté à une baisse
de rendements et à la nécessité
d’augmenter sa fertilisation chimique, en raison d’une mauvaise prise en compte du fonctionnement de son sol.
Des variations de flux échangés : exemple d’une mauvaise prise en compte de la capacité d’agir de ses partenaires commerciaux.
Patrice(Agri22) est confronté à la perte d’un
fournisseur de fumier, et rencontre des difficultés à en retrouver, ce qui révèle qu’il n’a pas suffisamment pris soin de son réseau, et ce qui met son
exploitation en difficulté.
L’entrée de nouveaux fonds, inattendus, dans le métabolisme
L’entrée de nouveaux êtres non-humains : exemple de la salmonellose.
Jeanne(Agri5) voit son élevage contaminé
par la salmonelle. La contamination se traduit par de multiples contraintes techniques et réglementaires, qui
mettent à l’épreuve le fonctionnement de l’exploitation.
L’entrée de nouveaux êtres humains : exemple des tensions avec les voisins néo-ruraux.
Sophie(Agri27) est confrontée à l’arrivée de
voisins néo-ruraux, qui s’opposent aux pratiques d’épandage de fumiers.
Tableau 19 - Présentation des principaux types de situations problématiques auxquelles sont confrontés les agriculteurs dans les bouleversements du métabolisme des BR
Des flux soumis à des variations pas toujours prévisibles
2.1.
Dans l’exploitation agricole les flux de BR connaissent des variations constantes, aussi bien quantitatives que qualitatives. Les processus vivants recèlent une certaine indétermination qui fait qu’ils ne peuvent jamais être complètement connus et maitrisés. Les agriculteurs ne sont donc jamais à l’abri d’un débordement.
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Des variations de flux au sein de l’exploitation : exemple de la non prise en 2.1.1.
compte de la vie du sol
Les flux internes à l’exploitation agricole sont soumis à des variations : les productions de paille et de fumiers sont affectées par des variations saisonnières, des évènements climatiques. Ces variations peuvent révéler la difficulté à prendre en charge les rythmes et le fonctionnement de certains fonds, mais aussi la faible résilience des systèmes de productions agricoles concernés face à des aléas non maitrisés comme des incidents climatiques (les sécheresses en particulier).
Par exemple, Michael(Agri24) est un aviculteur et céréalier. Il remarque que certaines de ses
parcelles de blé présentent une baisse des rendements depuis plusieurs années, ce qui le contraint à augmenter régulièrement sa fertilisation : « Pendant des années, j'étais à vingt
quintaux, alors que les voisins étaient à quarante-cinq quintaux ». Sur conseil de son
technicien, il fait faire des analyses de sols. Celles-ci révèlent un sol pauvre en matières organiques et une forte pollution en potasse. Ses voisins, mais aussi le négoce où il se fournit lui conseillent de faire appel à un cabinet d’agronome, ce qu’il fait, en suivant « un
stage chez un agronome, à Soyans ». Il me raconte que ce stage lui a permis de prendre
conscience qu’il n’a pas fait suffisamment attention au sol jusqu’alors : « J'ai fait des
conneries ». A posteriori, il reconnait que le sol représente un véritable fond dont il a négligé
le fonctionnement propre : « l’accumulation de la potasse […] le taux de matière organique
aussi », autant de facteurs dont il n’avait pas mesuré l’importance. Cette non prise en
compte du fonctionnement de son sol représente depuis un véritable enjeu de long terme pour l’exploitation agricole : selon l’agronome qui le conseille, le rétablissement prendra nécessairement « plusieurs années » et demandera des investissements répétés, notamment en amendements.
Des variations de flux échangés : exemple d’une mauvaise prise en compte de la 2.1.2.
capacité d’agir de ses partenaires commerciaux
Les variations concernent aussi des flux de BR entre l’exploitation et certains de ses partenaires. La qualité et la quantité des BR échangées (par exemple des fumiers, de déchets verts ou industriels) peuvent varier, ou être mise en doute par un agriculteur. Les agriculteurs peuvent être dépassés par la décision d’un de leurs partenaires de ne plus les fournir, de changer d’approvisionnement, ou d’arrêter la production. Toutes ces variations révèlent les multiples capacités d’agir des partenaires, que les agriculteurs peinent à prévoir et à prendre en compte.
Patrice(Agri22) est un céréalier, dépendant d’éleveurs pour se fournir en fumier. Il m’explique
que l’année dernière, il a perdu son fournisseur de fumier, celui-ci ayant trouvé des terres, et s’est retrouvé en position de conserver son propre fumier, plutôt que de l’exporter. Patrice(Agri22) n’avait pas anticipé cette éventualité et s’est retrouvé dépassé par la capacité
d’agir de son partenaire. L’arrêt de ce flux de fumier a mis l’exploitation en difficulté et a stoppé la conversion en bio qu’il avait entreprise. Alors qu’il avait prévu de convertir complètement son exploitation à l’agriculture biologique, il ne peut plus, en l’état, que convertir la moitié de sa surface, gardant le reste en conventionnel. La recherche de fumiers, indispensable à la poursuite de ses projets, s’avère plus difficile que prévu : « On voudrait
tout passer en bio. Mais pour ça il faudrait qu'on trouve de la matière […] on en cherche mais on n’en trouve pas ! ». Dans cette démarche de recherche de matière organique, il se rend
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compte qu’il n’a pas un réseau assez large autour de lui et qu’il a en face de lui des concurrents, qui disposent d’une plus grande capacité que lui à trouver des fumiers : « Lui,
[un voisin], il trouve facilement du fumier lui, il est élu à la chambre, alors dès qu'il y a un élevage qui s'ouvre, c'est le premier à être là. » Ceux qui sont actifs, et ont la capacité de
réagir, ce sont les autres agriculteurs : ceux qui ont « du réseau ». Patrice(Agri22), lui, se
considère comme passif en comparaison : « Nous, on est rien. On regarde ».