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Les fonds décrits comme instruments au service d’un processus de production 1.2.1.

(mondes industriel et marchand)

Dans les références aux mondes industriel et marchand, les fonds sont définis par leur valeur instrumentale dans le processus de production.

Dans le monde industriel, les outils et machines (tracteurs, bennes, tractopelle, etc.) forment des équipements stables et prévisibles, qui concourent à la maîtrise des flux. Ils sont caractérisés comme des facteurs durables, sur lesquels s’appuie l’activité agricole, permettant la réalisation effective du processus métabolique. Les humains et non-humains sont indistinctement qualifiés par leur fonction dans la production : le technicien de la chambre d’agriculture est ainsi décrit en fonction du service ou du conseil qu’il apporte, les animaux d’élevage ne sont perçus que sous l’angle de leur capacité à produire. Le sol est lui aussi décrit comme un agent actif de la transformation de la BR, notamment en « minéralisant l’azote ». Si les êtres vivants et milieux représentent bien des fonds en tant que tels, ils sont rendus visible grâce à une médiation technique. Par exemple, la fertilité du sol est décrite grâce à des analyses de sols et modélisée grâce à des logiciels de gestions de parcelles (Géofolia, MesParcelles).

Dans le monde marchand, le rôle des fonds est similaire, mais mis au service de la compétitivité. Les agriculteurs s’appuient sur leurs partenaires commerciaux, multiples et en concurrence (notamment les multiples négoces qui commercialisent des engrais dans la vallée de la Drôme). Dans ce monde, les agriculteurs voient le marché comme un fond stable et durable sur lequel ils peuvent s’appuyer, même si les acheteurs et vendeurs peuvent être multiples et interchangeables. Dans d’autres cas, les contrats commerciaux jouent un rôle important dans la stabilisation des échanges (notamment les contrats avec des fournisseurs de déchets verts, qui lorsqu’ils existent, permettent aux agriculteurs d’assurer la stabilité de leur système de production).

Le patrimoine, les institutions, les marques et les croyances : des fonds dont la 1.2.2.

valeur n’est pas uniquement instrumentale

Dans d’autres situations, les fonds sont décrits comme jouant un rôle différent : ils ne sont ni des outils ni des instruments, ni au service exclusif d’un processus de production, mais reflètent d’autres formes d’attachements que celles couramment décrits dans les mondes industriels et marchands.

On compte parmi ces fonds des entités propres au monde civique, telles les collectivités, les administrations et leurs réglementations, les associations et leurs chartes (charte Nature &Progrès, Demeter). Ces entités sont stables et durables et sont à l’origine de multiples services : si elles fournissent des services (conseils techniques, subventions à l’investissement dans une plateforme de compostage, aides d’urgence suite à un épisode de grêle ou à une contamination à la salmonellose, etc.), elles représentent aussi des contraintes (règlementaires, parfois mal vécues), mais sont aussi l’occasion d’interactions sociales (locales dans le cadre d’une collectivité territoriale, ou sectorielle dans le cadre

Chapitre.X. Essai d’économies de la grandeur au service d’une écologisation terrestre de la gestion des biomasses résiduaires

d’une association de producteurs). Par leurs multiples effets, ces entités contribuent à stabiliser un intérêt collectif. Leur action sur la gestion des BR est souvent indirecte, et implique un réseau de médiations important, qui participe activement à la perpétuation des pratiques. Dans certains cas, les agriculteurs établissent un lien direct comme par exemple Kévin(Agri11) qui reconnait que sans la réglementation imposant le compostage des effluents

non-bio avant leur épandage sur des parcelles en agriculture biologique, il ne composterait pas.

Si l’opinion est intrinsèquement mouvante et changeante et est donc un flux, elle s’appuie régulièrement sur des fonds, entités stables et durables. Les marques et les labels sont autant de médiums sur lesquels s’appuie la réputation. Les marques contribuent à appuyer et à faire reconnaitre la capacité d’action d’un produit (l’effet d’un activateur du sol, ou d’un produit fertilisant par exemples). Si les marques évoluent régulièrement, elles présentent une certaine stabilité dans le temps, indispensable pour qu’elles soient largement reconnues. Les marques rendent un service aux agriculteurs, en leur permettant de se repérer dans la diversité des engrais commerciaux. Nombre d’entre elles sont reconnues et identifiées par les agriculteurs, et forment en partie le monde dans lequel ils évoluent. Elle leur permet de se comparer les uns aux autres. « J’achète toujours le CSF [...] Ceux qui l'utilisent, je vous le

garanti, ils en sont contents. » (François(Agri12)).

Dans le cadre du monde domestique, c’est le patrimoine, les traditions, la famille qui forment des fonds, stables et durables. Ce patrimoine a une valeur qui dépasse son simple rôle utilitaire dans le processus de production. Les fumiers associés au sol, ou au cheptel de l’exploitation, participent à l’entretien du patrimoine et donnent de la valeur à l’exploitation en la rendant transmissible de génération en génération. Les « anciens », l’héritage familial, forment en eux-même des fonds sur lesquels s’appuient les agriculteurs : ils sont des ressources, transmettent des connaissances rares et respectées et ont une valeur en soi. Le territoire, ou comme l’exprime Jean(Agri18), « le terroir exceptionnel du Diois » représentent

aussi des fonds à la forte valeur patrimoniale.

Dans chacun de ces cas, les fonds obéissent à des temporalités bien plus longues que celles rencontrées dans les mondes industriel et marchand : le temps du patrimoine, le temps des relations domestiques, est celui du temps long, et toute entité extérieure, nouvelle, qui ne s’inscrit pas dans cette continuité y trouve difficilement sa place et est jugée négativement. C’est notamment ce que je perçois dans le discours d’un agriculteur, qui refuse d’accorder sa confiance à des fournisseurs qu’il ne connait pas, qui sont extérieurs au territoire et avec lesquels il n’entretient pas des relations de longue durée : « Je ne fais pas

jouer la concurrence, car je n'ai pas confiance dans les autre.. Bio3g.. [un représentant d’un négoce qui vend des produits fertilisants à domicile] je ne le connaissais pas, il est venu, il ne faisait que parler, je n'ai pas eu confiance. Alors que la Coop, on les connait bien. »

(Etienne(Agri28)).

Dans le monde inspiré, les agriculteurs s’appuient sur des ressources intérieures, stables et durables : leur sensibilité, leur capacité d’observation, leurs croyances. Elles leur permettent d’interagir avec des forces ou les Esprits de la Nature. Léo(Agri30), par exemple, indique que

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suivant les multiples interactions entre les cultures, la terre et les forces de la lune. Les croyances se traduisent par une prolifération d’agents dotés d’une capacité d’agir comme par exemple lorsqu’il mentionne l’effet massif des « cornes de bouse » ou encore qu’il indique « travailler avec la Lune » :

« Si tu as tous les ans un champignon, dans un bouquin de biodynamie, ils diront que c'est dû à un excès de vie. Je vais chercher à limiter l'apport en azote. » Aux valeurs industrielles,

qui sont dévalorisées, Léo(Agri30) oppose une observation et une sensibilité aux phénomènes

naturels, qui permet de saisir l’instant présent : « L'industrie chimique a fait perdre le bon

sens paysan. Il est bien connu qu'en Lune descendante, il y a moins de sève. Moi, avant tout, je regarde, et [de ça] dépend de ce que je fais. Je sais que mieux vaut faire [quand on peut] que d'attendre le moment idéal. Quand je dis à mon parrain que je travaille avec la Lune, il rigole mais n'empêche, il va chercher les champignons quand la Lune est pleine ! »

(Léo(Agri30))

Les êtres vivants sont dotés d’un fonctionnement et de rythmes qui leur sont 1.2.3.

propres et qui sont reconnus au travers de multiples valeurs

Les représentations du métabolisme des agriculteurs donnent à voir les diverses manières dont les agriculteurs tiennent compte des êtres vivants, comme des entités dotées d’un fonctionnement et de leurs rythmes propres61.

Prenons l’exemple de la vie du sol. Elle peut être approchée grâce à des analyses physico- chimiques ou biologiques, par exemple sous l’angle du taux de matières organiques ou de la concentration en vers de terre par mètre carré pouvant être gérés et améliorés au travers de choix techniques (dans le monde industriel). Elle peut aussi être vue au prisme des traditions, et perçue comme un patrimoine lié à l’exploitation, transmis et maintenu sur le temps long (dans le monde domestique). Elle peut aussi être jugée à l’aune de la justice et sera alors décrite comme un bien commun dépassant les intérêts individuels des agriculteurs, et protégé par des règles et des lois (dans le monde civique). Enfin, elle peut être approchée par le ressenti et l’inspiration, et perçue comme dépendante de forces naturelles ou surnaturelles, reliée aux énergies de la Terre ou de la Lune (dans le monde inspiré).

Ainsi, ce n’est pas au travers d’une valeur unique écologique, mais bien au travers d’une multiplicité de valeurs que les agriculteurs nourrissent des attachements envers le reste du vivant.

Des situations problématiques : des bouleversements du métabolisme qui