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Résultats et discussion

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 86-90)

Le rôle des conditions de travail dans les absences pour maladie Cédric Afsa ∗ et Pauline Givord **

5. Résultats et discussion

Parmi les ouvriers (hommes) qui travaillent avec des horaires irréguliers, 6,2 % s’étaient arrêtés pour maladie au moins toute la semaine de référence de l’enquête (tableau 1). Cette proportion n’est que de 3,6 % pour les moins de trente ans, mais atteint 8,4 % pour les 50-59 ans. Si, maintenant, on compare ce pourcentage de 6,2 % à celui calculé sur les salariés en horaires réguliers, on trouve une différence de 0,7 points.

Apparemment, le fait de travailler en horaires irréguliers accroît la probabilité de prendre un congé maladie.

Mais cette différence, qui correspond à l’estimateur « naïf » (voir section 4), n’est pas significative, car son écart-type est de 0,45 (tableau 1). De toute manière, on l’a souligné, cet estimateur est source de biais.

Tableau 1

INFLUENCE DES HORAIRES IRRÉGULIERS SUR LA PROBABILITÉ DE SARRÊTER POUR MALADIE Probabilité d’être en

arrêt maladie

Effet de travailler en horaires irréguliers sur la probabilité d’être arrêté pour maladie

Taille de

Estimateur « naïf » Estimateur par appariement Ensemble 6,21 Source : enquête Emploi en continu, 1er trimestre 2002 au 4e trimestre 2004.

Champ : ouvriers hommes du secteur privé, âgés de 18 à 59 ans.

Note : les écarts-type sont indiqués entre parenthèses. Dans le cas des estimateurs par appariement avec le score de propension, les écarts–type sont calculés par bootstrap (50 itérations).

Pour corriger ces biais, au moins en partie, nous avons repris les estimations en utilisant l’estimateur par appariement. L’annexe 2 donne les résultats du logit estimé pour calculer le score de propension. On notera tout particulièrement la corrélation très significative entre le niveau du salaire et le fait de travailler en horaires irréguliers. Les courbes de distribution du score représentées pour les travailleurs en horaires réguliers d’une part et pour les travailleurs en horaires irréguliers d’autre part, montrent tout à la fois que les deux catégories se distinguent assez bien (les modes des deux distributions sont éloignés) et que leur support commun est étendu (on peut (presque) toujours trouver, pour chaque travailleur en horaires irréguliers, un travailleur en horaires réguliers qui lui ressemble7).

Avec l’estimateur par appariement, la différence dans la probabilité de s’arrêter pour maladie s’élève maintenant à 1,4 points, avec un écart-type de 0,56. La différence est cette fois significative (avec un seuil inférieur à 1 %).

La même estimation, effectuée sur des salariés d’âges différents, apporte des éléments intéressants. D’abord, elle confirme la nécessité de traiter les biais potentiels dus à l’hétérogénéité observée des populations. La différence entre l’estimateur « naïf » et l’estimateur par appariement est particulièrement visible pour les salariés plus âgés. Ensuite, elle montre que l’impact des horaires irréguliers sur l’absence pour maladie n’est pas nécessairement positif, conformément aux enseignements théoriques : il est même négatif (-1,03 points) pour les plus jeunes, bien que la différence ne soit pas significative. Enfin, la différence dans le comportement d’absence entre travailleurs en horaires réguliers et travailleurs en horaires irréguliers se creuse avec l’âge. Au-delà de 40 ans, il est à peu près le double de l’écart constaté sur l’ensemble de la population. On retrouve d’ailleurs un résultat établi par Case et Deaton (2005), selon lequel la détérioration de l’état de santé serait plus rapide chez les travailleurs exerçant des métiers pénibles que chez les autres (δ′(p) augmenterait avec l’âge), à condition toutefois d’assimiler l’effet d’âge et l’effet de génération. Ceci montre l’intérêt à étudier l’évolution de l’état de santé d’un individu, en passant par un véritable modèle dynamique sur cycle de vie.

Ces résultats, pour instructifs qu’ils soient, ont une portée limitée, car tant le cadre théorique choisi que la méthode d’estimation et les données retenues ne nous ont pas permis de traiter plusieurs problèmes.

D’abord, l’estimateur par appariement corrige les biais uniquement dus à l’hétérogénéité observée. Or, il manque dans nos données au moins deux variables essentielles. La première est le taux de remplacement du salaire en cas d’arrêt maladie, qui est un élément important dans les comportements d’absence, comme l’ont montré plusieurs travaux (voir supra section 1). Nos résultats s’appuient en particulier sur l’hypothèse que le fait de travailler en horaires irréguliers n’est pas lié à un taux de couverture des remboursements différent ex ante. Cette hypothèse semble toutefois assez réaliste8.

La deuxième variable omise est l’état de santé de l’individu. C’est d’autant plus dommageable que cette omission empêche de prendre en compte – ou tout au moins tenter de le faire – un effet, appelé « effet du travailleur sain » (healthy work effect) et souvent mis en évidence dans la littérature épidémiologique, selon lequel les personnes occupant des emplois les plus pénibles se sélectionnent ou sont sélectionnées sur leur état de santé (voir, par exemple, Bourget-Devouassoux et Volkoff (1991) pour le travail posté de nuit).

Une autre difficulté que nous n’avons pu éviter ici est la prise en compte des transitions individuelles qui sont étroitement corrélées à l’état de santé et aux absences pour maladie. Certains salariés exposés à des conditions de travail pénibles peuvent être réaffectés à d’autres emplois si leur état de santé l’exige. D’autres risquent de voir leur contrat de travail rompu si leurs absences pour maladie deviennent de plus en plus fréquentes. C’est ce qu’a mis en évidence Hesselius (2003) dans le cas de la Suède.

Ce dernier point est, pour ce qui nous concerne, assez gênant. En effet, nos estimations ont été effectuées sur ceux qui étaient toujours actifs et occupés lors de la deuxième interrogation. Or, 11 % des salariés qui ont déclaré, lors de la première interrogation, avoir pris un congé pour maladie n’étaient plus en emploi lors de la deuxième interrogation (un trimestre plus tard) et ont donc été exclus de notre analyse ; le pourcentage correspondant, pour ceux n’ayant pas déclaré de congé maladie en première interrogation, est de 3,4 %. Il y a donc manifestement un lien entre l’absence pour maladie et la fin du contrat liant le salarié à son employeur. Ceci met l’accent sur une des insuffisances de notre cadre théorique, qui est d’avoir ignoré la demande de travail. Il s’agit là probablement, conjointement à l’écriture d’un véritable modèle dynamique, de la priorité à donner aux développements ultérieurs de ce travail. Nous risquons toutefois d’être confrontés à l’absence de données réellement adaptées à nos interrogations.

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8 D’après les premiers résultats de l’enquête spécifique sur les assurances complémentaires santé proposées par les entreprises, ces dernières, quand elles proposent une assurance santé à leur salariés, effectuent plutôt une distinction cadre/non cadre (Couffinhal et alii 2004).

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Annexe 1

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 86-90)