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L’effet ambigu de la mobilité sur la probabilité d’être en emploi en 2003

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 143-146)

Guillemette de Larquier et Delphine Remillon *

2. L’effet ambigu de la mobilité sur la probabilité d’être en emploi en 2003

En premier lieu nous testons l’impact des trajectoires sur la probabilité d’être en emploi en 2003. On sait que les sorties du marché du travail ne se traduisent pas uniquement par du chômage, mais également par des transitions vers l’inactivité. Les statistiques descriptives présentées dans le tableau 3 le confirment et montrent que les passages par l’inactivité sont croissants avec l’âge. Il nous a donc semblé préférable, dans un premier temps, d’étudier la probabilité d’être en emploi en 2003, avec comme effet négatif la probabilité de non-emploi. Ce choix est conforté par le fait que, dans l’enquête Histoire de vie, la répartition entre inactivité et chômage est réalisée à partir des déclarations des individus, sans reclassement a posteriori par

3 Les mêmes calculs par qualification ne modifient pas cette conclusion.

l’enquêteur, ce qui introduit un flou non contrôlé dans la définition des deux catégories. Néanmoins, dans un second temps, nous avons également testé la probabilité d’être en emploi par rapport à celle d’être au chômage, et la probabilité d’être en emploi par rapport à celle d’être inactif, afin de mieux distinguer dans nos variables explicatives celles qui ont plutôt un effet sur le risque d’inactivité de celles qui ont plutôt un effet sur le risque de chômage.

Tableau 3 Occupation par âge

Occupation Âge

Emploi Chômage Inactivité (hors retraités)

Non-emploi (chômage + inactivité)

Taux de chômage

40-44 ans 81,6 1% 8,06 % 10,33 % 18,39 % 8,99 %

45-49 ans 81,68 % 6,73 % 11,59 % 18,32 % 7,61 %

50-54 ans 79,80 % 4,20 % 16,00 % 20,20 % 4,99 %

55-59 ans 65,96 % 6,55 % 27,49 % 34,04 % 9,04 %

60-65 ans 40,85 % 8,39 % 50,76 % 59,15 % 17,03 %

Ensemble 76,34 % 6,50 % 17,16 % 23,66 % 7,85 %

Source : données enquête Histoire de vie, avec pondération de redressement.

Par l’étude de l’impact des trajectoires sur la probabilité d’être en emploi en 2003 on cherche à répondre aux questions suivantes : le non-emploi favorise-t-il le non-emploi ? Les personnes les plus mobiles sur le marché du travail sont-elles plutôt protégées du chômage ? Ou au contraire la mobilité introduit-elle une précarisation des carrières ?

Nous présentons les résultats de trois régressions logistiques. Le modèle testé synthétise les différentes dimensions de la trajectoire professionnelle : durée totale passée au chômage, durée totale dans l’inactivité, mobilités au sein de l’emploi, changements de statuts (passages salariat / non-salariat), de secteur (passages public / privé) et changements de qualification (promotions, déclassements, changements neutres4). Nous avons introduit une petite modification sur les compteurs décrivant le chômage et l’inactivité. En effet, ces compteurs additionnent les années de passage par l’inactivité ou le chômage jusqu’en 2003. Si l’on prend par exemple le cas des personnes au chômage en 2003 elles ont donc toutes +1 à ce compteur pour 2003 par rapport aux personnes qui sont en emploi ou en inactivité cette année-là. Si l’on ne faisait rien cela conduirait à expliquer le chômage en 2003 par un compteur qui tient compte du fait que la personne est au chômage en 2003. Pour contrôler ce biais d’endogénéité nous retirons une unité au compteur « durée totale de chômage » pour les chômeurs de 2003, et une unité au compteur « durée totale d’inactivité » pour les inactifs de 2003.

4 Variable de synthèse que nous avons construite à partir de la variable qualification détaillée pour chaque année de la trajectoire professionnelle, qui comprend sept modalités : 1. Manœuvres ou OS, 2. Ouvriers qualifiés, 3. techniciens non cadres, 4. Agents de maîtrise, VRP, personnel de catégorie B de la Fonction publique, 5. Ingénieurs ou cadres, personnel de catégorie A de la Fonction publique, 6. Employé de bureau, de commerce, personnel de service, ou de catégorie C ou D de la Fonction publique, 7. Autres cas. Nous avons distingué les promotions, les déclassements, et les changements

« neutres » : ces derniers regroupent les passages des catégories 1 ou 2 à la catégorie des employés et inversement, ainsi

Tableau 4

RÉGRESSIONS LOGISTIQUES : IMPACT DE LA TRAJECTOIRE SUR LA PROBABILITÉ DÊTRE EN EMPLOI

(1)

(nombre de changements professionnels – statuts, professions et qualifications – au sein de l’emploi)

(nombre d’années déclarées en inactivité hors retraite -1 pour les inactifs en 2003)

Plusieurs passages entre salariat et non-salariat 1,520 ns 1,817*

Changement de secteur :

Avoir toujours été dans le secteur privé (réf.) (réf.) (réf.) Être passé du secteur public au secteur privé ns ns ns Être passé du secteur privé au secteur public 3,091*** 2,428** 3,353***

Plusieurs passages entre secteurs privé et public 1,896** 4,543** ns Changement de qualification :

Source : données enquête Histoire de vie.

Effectifs pondérés. Après contrôle de l’âge (en tranches d’âge), du genre, du niveau d’études atteint ou en cours, de la qualification professionnelle, de la vie ou non en union, du nombre d’enfants et du caractère ou non d’immigré. Individu de référence = un homme entre 40 et 44 ans, non immigré, ayant atteint un niveau d’études « enseignement technique ou professionnel court », employé, ayant eu deux enfants et vivant en union.

Modèles avec constante. Ne figurent que les odd-ratios significatifs à un seuil inférieur à 10 % : *** : significatif à 0,1 % ; ** : significatif à 1 % ; * : significatif à 5 % ; ns : non significatif.

Quand le odd-ratio est supérieur à 1, l’effet est positif par rapport à la référence, quand il est inférieur à 1, l’effet est négatif par rapport à la référence.

Première observation, le non-emploi favorise le non-emploi. En effet, avoir eu de longs passages par le chômage ou l’inactivité diminue de façon significative la probabilité d’être en emploi en 2003 (cf. colonne 1). Ce résultat s’explique par un double effet (cf. colonnes 2 et 3). Premièrement, l’effet le plus important mais assez évident, une dépendance temporelle du chômage au chômage et de l’inactivité à l’inactivité : toutes choses égales par ailleurs, on a plus de risques d’être au chômage en 2003 si l’on a connu de nombreuses années de chômage par le passé ; de même la probabilité d’être inactif en 2003 augmente avec le nombre d’années passées en inactivité. Le deuxième effet est un effet croisé : le chômage passé favorise l’inactivité présente ; l’inactivité passée favorise le chômage présent.

On retrouve là un résultat bien connu : sortir de l’emploi (que ce soit vers le chômage ou l’inactivité) pèse sur l’employabilité. Ce sont en effet autant d’années d’expérience professionnelle en moins, et si les périodes de non-emploi sont relativement longues, certaines compétences peuvent devenir obsolètes. C’est surtout un signal négatif aux yeux des employeurs, qui l’interprètent comme une moindre motivation ou de plus mauvaises performances que les autres candidats. Les demandeurs d’emploi rencontrés lors de nos entretiens en sont bien conscients et cherchent à cacher les « trous » dans leurs CV. Enfin les effets croisés (du chômage sur l’inactivité et inversement) témoignent également du flou des frontières entre inactivité et chômage : on peut penser par exemple qu’une partie des personnes qui se déclarent inactives en 2003 sont en fait des chômeurs découragés ayant connu de longues périodes de chômage et qui ont renoncé à chercher un emploi.

Le deuxième groupe de variables du modèle concerne la mobilité dans l’emploi, que celle-ci soit interne ou externe à l’emploi5. Toutes choses égales par ailleurs, l’effet de la mobilité au sein de l’emploi est négatif, ce qui signifie que « trop bouger » fragilise la carrière et expose au chômage. La mobilité mesurée ici reflète sans doute davantage la précarité de certains emplois que la mobilité valorisante et choisie. On le vérifiera d’ailleurs dans la troisième partie.

En revanche, l’étude détaillée de certaines transitions, qu’elles soient internes ou externes à l’emploi, donne des résultats inverses : dans la première colonne du tableau on observe que quasiment tous les changements (de statut, de secteur, de qualification) ont un effet significatif sur la probabilité d’être en emploi (par rapport au non-emploi) et que leur impact est positif. L’examen des deux colonnes suivantes nous apprend que ces différents changements réduisent surtout la probabilité d’être inactif. Sur le risque de chômage, seules deux modalités restent significatives : le fait de passer du salariat au non-salariat et du privé au public diminuent ce risque. Ainsi, en ce qui concerne le risque de chômage, seuls ces deux changements particuliers sécurisent la trajectoire car ils mènent vers des statuts moins exposés. On peut penser qu’il s’agit de mobilités préventives (donc internes à l’emploi), mais aussi de mobilités qui font suite à la perte d’un emploi (mobilité externe). En effet, on observe dans nos entretiens qu’un certain nombre de chômeurs sont contraints à des reconversions lorsqu’ils constatent que l’emploi « classique » salarié dans le privé ne leur est plus accessible. Certains tentent alors de monter leur affaire, d’autres s’orientent vers les emplois publics, souvent des emplois aidés, désormais seuls emplois accessibles pour ces personnes qui ont vu peu à peu se réduire le champ des possibles avec leur ancienneté dans le chômage. Enfin, les changements de qualification n’ont jamais d’effet significatif sur le chômage.

Pour la probabilité d’être en emploi par rapport à celle d’être inactif, on peut avancer une explication pour interpréter le fait que tous les changements sont positifs : notre population a connu de longues périodes d’inactivité, 4,9 ans en moyenne et plus de 6 ans pour un quart d’entre eux. Or, rester longtemps hors de l’emploi empêche naturellement de connaître des mobilités sur le marché du travail. Les changements professionnels quels qu’ils soient signifieraient donc avant tout que l’on a passé beaucoup de temps dans l’emploi, ce qui diminue la probabilité d’être inactif en 2003 (du fait de la forte dépendance temporelle décrite plus haut).

Il semble donc que la mobilité « interne » au sein de l’emploi ne soit pas récompensée par une plus grande sécurité d’emploi. En revanche, les transitions vers des statuts ou des secteurs moins exposés au risque de chômage protègent ceux qui s’y orientent de façon préventive et constituent une solution « de repli » pour les chômeurs qui craignent le chômage récurrent.

En conclusion, certes la mobilité est favorable à l’emploi, surtout lorsqu’elle mène vers des statuts plus protecteurs, mais trop de mobilité fragilise également les carrières, or les passages par le chômage ou l’inactivité « pèsent » lourd dans la suite de la trajectoire.

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 143-146)