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Déterminants du risque de déclassement et conséquences salariales

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 192-199)

Quelles réalités pour le risque de déclassement en début de carrière ? Philippe Lemistre *

2. Déterminants du risque de déclassement et conséquences salariales

Compte tenu de la norme retenue ici le déclassement apparaît concerner essentiellement les jeunes ayant un niveau d’études supérieur au bac. L’étude de ses déterminants et de son impact salarial sera donc limitée à ces catégories qui représentent 23 904 jeunes. De plus les jeunes cadres n’étant jamais déclassés ces catégories toujours en adéquation n’apparaissent pas dans les tableaux, même si elles sont prises en compte.

Les déterminants du déclassement trois ans après la sortie du système éducatif sont de trois ordres : les parcours scolaires, l’origine géographique et la profession des parents, auxquels s’ajoute le genre (tableau 3).

Les femmes supportent un risque de déclassement plus important que les hommes. Comme cela a été constaté plus haut, et fort logiquement, le déclassement apparaît lié au niveau d’études. Les écarts entre formations distinctes n’apparaissent néanmoins pas toujours significatifs (3e cycle LSH et gestion, 2nd cycle MST, DEUG et DEUST par rapport à bac+2 non-diplômés). En revanche, pour la plupart des régions, des écarts significatifs apparaissent par rapport à l’Île-de-France pour deux raisons au moins : il s’agit du bassin d’emploi le plus important et les formations les plus prestigieuses et de niveau le plus élevé y sont dispensées. De telles conjectures ont néanmoins des limites puisque le risque de déclassement est comparable en Alsace et en IDF et des écarts persistent entre les autres régions. Par exemple, il est nettement plus élevé en Languedoc-Roussillon qu’en Auvergne et plus élevé qu’en Midi-Pyrénées. Dans le premier cas, il peut s’agir d’une plus grande attractivité de la région et dans le second d’une plus importante dotation en emploi qualifié du bassin d’emploi. Midi-Pyrénées, compte tenu de son activité dans l’Aéronautique, concentre en effet le plus grand nombre d’emplois les plus qualifiés après l’IDF (Boumahdi et Lemistre 2006). L’influence du bassin d’emploi est également manifeste en regard du caractère rural de la zone de fin d’études qui augmente considérablement le risque de déclassement.

Certains compensent le handicap d’une origine géographique, vraisemblablement en milieu rural, en changeant de lieu d’études au cours de leur scolarité. Ainsi, le risque de déclassement diminue avec la distance entre la commune d’origine (lieu d’habitation en classe de sixième) et le lieu de formation en 19983. Les inconvénients du lieu d’origine peuvent aussi être compensé à l’insertion, le risque de déclassement diminuant également avec la distance entre lieu de formation en 1998 et le lieu d’exercice du premier emploi.

Un temps d’accès au premier emploi élevé conduit aussi à accepter des emplois déclassés, une situation qui se reporte évidemment souvent en 2001, puisque pour ces jeunes le premier emploi est aussi souvent le seul.

L’élément le plus déterminant du risque de déclassement est manifestement l’origine sociale. L’une des raisons est vraisemblablement l’influence des réseaux personnels dans l’accès aux emplois qualifiés (Lemistre 2005). Le risque de déclassement apparaît le moins élevé lorsque les deux parents sont cadres et logiquement le plus élevé lorsqu’ils sont tous deux ouvriers et dans une moindre mesure employés. Si l’on considère ces situations conjointes du père et de la mère (ajout des coefficients) l’origine sociale apparaît le facteur le plus discriminant.

Comme cela a été évoqué plus haut, de nombreux jeunes se reclassent entre le premier emploi et l’emploi occupé en 2001. Il est intéressant alors d’examiner l’influence des variables précédentes sur le reclassement, notamment pour confirmer un éventuel effet dominant de l’origine sociale sur le maintien dans la situation de déclassement. L’estimation est réalisée pour les seuls jeunes déclassés au premier emploi soit 7 362 individus (tableau 3)4.

Le genre n’apparaît pas favoriser significativement le reclassement pour aucun des deux sexes. En revanche, avoir effectué un stage pendant les études influence peu le déclassement mais favorise le reclassement. Les jeunes se reclassent-ils dans l’entreprise où ils ont effectué leur stage ? Les travaux de Alain Degenne (2004) sur l’influence des réseaux professionnels à partir de cette même enquête ne sont pas en contradiction avec une telle hypothèse.

Le niveau et le type d’études apparaissent particulièrement déterminants pour le reclassement. Par exemple, ceteris paribus, les second et troisième cycles LSH et gestion, les diplômés d’écoles de commerce se reclassent nettement plus difficilement que les autres. Il est important noter que ce constat ne recoupe que partiellement les résultats descriptifs. Par exemple, le déclassement pour les diplômés d’école de commerce passe de 37 à 19 % entre le premier emploi et l’emploi 2001, soit une diminution parmi les plus conséquente. Cette observation descriptive semble en contradiction avec le résultat obtenu, toutes choses égales par ailleurs, les diplômes des écoles de commerce étant parmi les moins favorables au reclassement.

Le décalage s’explique par le fait que si les jeunes diplômés des écoles de commerce se reclassent en grand nombre, ce n’est manifestement pas à leur diplôme qu’ils le doivent mais à d’autres déterminants de l’analyse ceteris paribus. Dans ce cas précis l’origine sociale est sans doute parmi les principaux déterminants. Les diplômés des écoles de commerce ont, en effet, le pourcentage le plus élevé de père et de mère cadre, respectivement 55 % et 33 % contre moins de 46 % et 28 % pour l’ensemble des autres diplômes dont les diplômes d’ingénieur.

L’influence des régions est nettement moins significative, mais les hiérarchies restent stables. En d’autres termes, plus le risque de déclassement est élevé dans la région moins la probabilité de reclassement est élevée. La profession des parents apparaît à nouveau déterminante mais cette fois moins que le diplôme. De plus, l’influence de la profession cadre du père s’avère relativement proche de celle de la profession intermédiaire, alors que l’écart est significatif pour le risque de déclassement.

3 Pour le détail des calculs de distances voir Lemistre et Thibault (2005).

4 Notons que les pseudo R² sont comparable pour les deux modèles soit entre 8 et 15 % selon la méthode de calcul retenue.

Tableau 3

LES DÉTERMINANTS DU DÉCLASSEMENT ET DU RECLASSEMENT

Probabilité en 2001 (probit)

de déclassement de reclassement

Constante -1,440 -31 0,470 6

Femme 0,124 6 -0,036 -1

Stage pendant les études -0,042 -2 0,186 5 Niveau d'études (réf. bac+2 non dipl.)

DEUG, DEUST 0,018 0 -0,024 0

BTS-DUT diplômés tertiaire -0,169 -5 0,016 0

BTS-DUT diplômés industriel 0,230 6 -0,173 -3

2d cycle LSH, gestion 0,262 9 -0,543 -12 2d cycle maths, sciences et techniques 0,052 1 -0,157 -2 3e cycle LSH, gestion -0,006 0 -0,587 -8

école de commerce 0,395 6 -0,593 -6

3e cycle maths, sciences et techniques -0,121 -3 -0,491 -6

écoles ingénieurs -0,365 -6 -0,241 -2 Distance 6ème fin d'études x10² -0,028 -4 0,017 1 Distance fin d'études premier emploi x 10² -0,039 -6 -0,015 -1 Temps d'accès au premier emploi 0,018 11 -0,041 -13 profession du père (réf. cadre) agriculteur 0,275 5 -0,183 -2 artisan. commerçant, chef d’entreprise 0,123 3 -0,136 -2 profession intermédiaire 0,102 3 -0,063 -1

employé 0,199 7 -0,160 -3

ouvrier 0,261 8 -0,176 -3

NSP (ne sais pas), jamais travaillé -0,251 -1 0,109 0 Profession de la mère (ref. cadre) agriculteur 0,047 1 -0,052 0 artisan. commerçant, chef d’entreprise 0,092 2 -0,147 -2

profession intermédiaire 0,030 1 0,035 0

employé 0,106 4 -0,047 -1

ouvrier 0,234 5 -0,042 -1

NSP (ne sais pas), jamais travaillé 0,119 3 -0,182 -3

Effectif 23 904 7 362

En tout état de cause, même si le risque de déclassement diminue considérablement entre le premier emploi et l’emploi occupé trois ans après la sortie du système éducatif 10 % des jeunes sont toujours déclassés.

Quelle influence a cette situation de déclassement sur leur salaire ?

Les estimations ne sont pas reproduites ici, les variables prises en compte en plus du déclassement sont le genre, le niveau d’études en 18 modalités (identiques à celle de la matrice diplômes-emplois), le parcours (mois au chômage, nombre d’emploi, temps d’accès au premier emploi), certaines caractéristiques de l’emploi (province, rural, privé, CDI, CDD, etc.) et la quotité de travail. Les estimations sont réalisées par les moindres carrés ordinaires, estimation pour laquelle le déclassement est considéré comme exogène. Puis la variable déclassement est considérée comme endogène. La prise en compte de l’endogénéité consiste à intégrer à l’estimation de l’impact salarial du déclassement l’effet indirect des variables qui expliquent ce déclassement5.

Lorsque le déclassement est considéré comme une variable exogène la pénalité salariale est de plus de 16 %. Elle est multipliée par deux lorsque l’endogénéité est prise en compte6. Un tel résultat constitue une voie médiane entre l’impact de l’endogénéité sur le déclassement subjectif (multiplication par plus de 3) et normatif (multiplication par plus de 1,2) constaté par Giret et Lemistre (2004) au premier emploi.

Conclusion

Le bien fondé des politiques éducatives qui consiste à augmenter continuellement le niveau d’éducation est actuellement interrogé (Duru-Bellat 2006). Un tel questionnement est évidemment fondé lorsque l’on sait que la demande d’emploi va surtout croître pour les emplois les moins qualifiés (Chardon , Estrade et Toutlemonde 2005).

Toutefois, cette analyse se fonde aussi sur le constat d’un déclassement des jeunes supposé massif. C’est du moins ce qui ressort clairement d’une analyse des déclassements dit subjectifs et normatifs et dans une moindre mesure statistiques. Or, la combinaison de ces différentes normes, associée à une estimation pour un niveau de détail plus important de la nomenclature diplômes-emplois, conduit à diminuer considérablement le taux de déclassement. Ce dernier concerne 10 % des jeunes sortants de la Génération 98 pour l’emploi qu’ils occupent en 2001. Ce taux non négligeable s’avère néanmoins très inférieur à ceux produits habituellement. Il traduit vraisemblablement aussi le changement de norme d’une génération à une autre. Le déclassement selon la norme institutionnelle établie pour des générations anciennes est, en effet, très souvent contredit par les perceptions des jeunes. On retrouve ici l’argument d’une intériorisation par les jeunes du changement de norme (Giret et Lemistre 2004), cause et conséquence d’une éventuelle dévalorisation des titres scolaires (Lemistre 2003).

En tout état de cause, le constat d’un moindre risque de déclassement n’est pas seulement le résultat d’une confrontation des méthodes, il procède également de l’utilisation d’une nomenclature plus détaillée. Il apparaît clairement que l’appréciation du risque de déclassement diffère très nettement en fonction de la spécialité et de la filière de formation. Par exemple, les bac+2 de spécialité santé ou travail social ne sont pas déclassés dans les emplois qualifiés des personnels des services directs aux particuliers, alors que c’est le cas pour l’ensemble des autres diplômes du même niveau.

Le risque de déclassement tel qu’il a été évalué est lié à quatre éléments. Il est tout d’abord plus élevé pour les femmes et distinct en fonction du type de diplôme (niveau spécialité filière). Ensuite, il s’avère très lié aux variables qui caractérisent le lieu d’étude et l’origine géographique du jeune. L’élément le plus déterminant est l’origine sociale. Les enfants de cadres père ou/et mère s’avèrent nettement moins soumis au risque de déclassement que les jeunes d’origine sociale plus modeste, ceci « toutes choses égales par ailleurs », y compris le diplôme. En revanche, le reclassement entre le premier emploi et l’emploi occupé en 2001 est surtout lié au diplôme et dans une moindre mesure à l’origine sociale. En outre, les stages pendant les études apparaissent déterminant pour le reclassement.

Ainsi, les réseaux personnels joueraient un rôle important pour éviter le déclassement, mais lorsque celui-ci est effectif le risque est diminué cette fois par les réseaux professionnels constitués lors des stages.

5 La méthode utilisée est celle de Barnow et alii. Voir Giret et Lemistre (2004) pour une application du même type. La régression auxiliaire de la fonction de gains est évidemment celle du tableau 3.

6 L’endogénéité de la variable est largement avérée, lambda significatif. Par ailleurs, le biais de sélection lié au choix de l’échantillon n’est pas pris en compte ici. Plusieurs estimations ont été réalisées, il s’avère influencé très marginalement le coefficient du déclassement.

Que penser finalement d’un taux de déclassement de 10 % ? Mesurer son incidence salariale permet d’apporter un élément de réponse. Nos résultats mettent en exergue une pénalité salariale moyenne de 30 %, ceteris paribus, en prenant en compte le caractère endogène du déclassement dans l’estimation. En conséquence, nos investigations suggèrent, tout d’abord, que le risque de déclassement doit être examiné en affinant l’analyse tant en ce qui concerne les diplômes que les emplois. Ensuite, si la proportion de jeunes déclassés s’avère finalement de « seulement » 10 % cela ne remet pas en cause l’importance du risque de déclassement, non seulement car une proportion d’un jeune sur 10 demeure non négligeable, mais aussi et surtout parce que la pénalité salariale encourue est très élevée.

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Risque de chômage et reprise d’emploi : le rôle des compétences

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