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Limiter les risques professionnels

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 55-58)

De l'imprévisibilité dans les ruptures professionnelles Sophie Denave *

2. Limiter les risques professionnels

2.1. Neutraliser l’incertitude : se désengager une fois engagé

La façon la plus sécurisée de renoncer à son travail est de démissionner après l’entrée dans le nouveau poste. Pour sept enquêtés, le désengagement s’est superposé à l’entrée dans le métier. Cette procédure ne garantit pas la réussite professionnelle mais écarte toute incertitude sur l’avenir immédiat. Autrement dit, on sait pour quoi on quitte son métier. Il n’y a donc pas de période de flottement. Dans notre population, tous les individus ayant recours à ces usages sont issus de classes populaires ou de la fraction inférieure des classes moyennes. Ce rapport à l’avenir évoque la tendance des enfants d’ouvriers à rechercher la stabilité et la sécurité lors du choix de leurs études supérieures en privilégiant l’assurance du diplôme et les débouchés.

Lionel (père décédé et mère assistante maternelle), assez démuni en capital culturel, économique et social, divorcé avec la charge de ses deux enfants, limite au maximum la prise de risques inhérente à sa reconversion. Il attend donc d’être engagé comme gardien de bibliothèque avant de démissionner de son emploi de dépanneur pour une société de traitement d’eau :

Enquêtrice : « Et du coup quand t’as passé cet entretien, tu bossais toujours dans ton boulot précédent ? Lionel : Ouais.

Enquêtrice : Ouais t’as attendu que ça soit sûr pour ?

Lionel : Ah oui, oui. Moi je fonctionne bien toujours comme ça de toute façon. Faut que ça soit sûr avant que je change quoi que ce soit ».

2.2. Conjurer l’irréversibilité

Huit enquêtés cherchent à limiter la prise de risques en conjurant l’irréversibilité de leur transition professionnelle. Autrement dit, ils visent à se garantir un retour à la situation professionnelle initiale en cas d’échec de la reconversion. D’où le recours aux moyens institutionnels qui leur sont proposés à un moment donné. Le Code du travail offre plusieurs possibilités aux travailleurs et leur autorise un accès progressif à un nouvel emploi et/ou leur assure un éventuel retour à la situation professionnelle antérieure. Notons que quelques distinctions s’opèrent entre le secteur public et le secteur privé.

2.2.1. Le congé individuel de formation

Les salariés du public comme du privé peuvent bénéficier du congé individuel de formation qui prend place dans le système de formation professionnelle continue (FPC) mis en place en France par la loi de juillet 1971, mais vraiment relancé par la loi de 1984. Cette idée de formation est plutôt pensée en termes d’adaptation des personnels aux exigences du changement technique et de la compétitivité internationale (la formation est liée aux évolutions du travail) qu’en termes de satisfaction personnelle2. Cette loi permet aux salariés qui souhaitent se reconvertir de suivre une formation de longue durée3. Dans les années 1980, la grande majorité des congés s’inscrivent dans la famille professionnelle de l’individu (64,1 % des cas) et visent plus rarement une reconversion (20,7 % des cas), tout en précisant qu’un projet sur deux n’aboutira pas (Paul 1992).

Dans notre enquête, trois enquêtés (deux hommes et une femme) ont bénéficié d’un congé individuel de formation (CIF) pour se réorienter professionnellement. Cédric, radiologue pendant treize ans, explique comment le CIF limite les tensions individuelles en diminuant considérablement les prises de risques inhérentes à un désengagement professionnel :

« Ben en fait moi je suis passé par le Fongecif, donc le congé individuel de formation […]. Ils m’ont payé pendant ma formation. Je partais pas de mon boulot, j’avais pas démissionné en faisant mon Fongecif.

J’ai démissionné le jour où j’ai su que j’avais du boulot quoi. Donc de toute façon j’ai jamais eu de, j’ai jamais eu de…

Enquêtrice : Y’avait pas une grande prise de risque ?

Cédric : Non […] Donc je pouvais revenir dans mon ancien boulot si ça avait pas marché donc c’était vraiment risque zéro quoi […]

Enquêtrice : Si y’avait pas eu le Fongecif…

Cédric : Ben c’était plus difficile à faire quoi. Là c’est vrai que je m’assurais vraiment. J’étais vraiment assuré de pas perdre mon boulot, d’avoir une formation, de voir si elle me plaisait. Si elle me plaisait pas, de revenir dans mon ancien boulot. »

Ces acteurs souhaitent maîtriser au maximum l’irréversibilité de leur décision, condition sine qua none au

« saut » professionnel.

2.2.2. La disponibilité

Dans la Fonction publique, il est également possible d’obtenir une disponibilité pour études, pour convenances personnelles ou pour reprendre ou créer une entreprise. Les durées sont variables (trois ans renouvelables une fois pour études et convenances personnelles ; deux ans pour création d'entreprise) et l’administration ou l’entreprise peut accorder pour des motifs familiaux ou professionnels l’autorisation de quitter temporairement son poste de travail en se faisant mettre en disponibilité4. Ce régime est réglementé

2 Voir article L.931-1 du Code du travail (Prat 1997).

3Un fonds spécifique prend en charge la rémunération et les frais de formation : les salariés du secteur public ou privé

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dans le souci d’assurer au salarié un déroulement harmonieux de sa carrière, en tenant compte au mieux de ses aspirations personnelles, et surtout de répondre aux besoins prioritaires du service ou de l’entreprise.

Sylvain, agent d’accueil aux PTT, fils de facteur, bénéficiera de cette mesure à l’entame d’une carrière incertaine de comédien :

Sylvain : « Mais bon de toute façon tu te dis : “je quitte pas mon boulot comme ça”. Enfin moi c’était pas ma nature de quitter mon boulot comme ça, de démissionner du jour au lendemain et de dire : “je me casse, j’en ai ras le bol d’être là !” [...] Moi j’ai pris une dispo en 90. En même temps c’était souple, parce que prendre une dispo ça veut pas dire démissionner donc... c’est dire : “on essaie et si ça marche pas, on reprend notre boulot” puisqu’on est en disponibilité, y’a toujours c’te possibilité de revenir en arrière.

C’est un système assez souple pour aller voir [...] Alors tu seras peut-être pas réintégré dans le même service. Tu prends juste ce risque-là, mais c’est pas un gros risque en fait. C’est même assez excitant.

J’allais voir et si vraiment ça me plaît pas ou si je me casse la gueule là-dedans, je reviens […]

Enquêtrice : T’as renouvelé la dispo ?

Sylvain : Ouais et j’ai démissionné 6 ans après. En fait je me suis dit : “j’ai une dispo pendant 6 ans, je vais la garder”[…]

Enquêtrice : La dispo comme roue de secours ?

Sylvain : Ouais c’était vraiment une sécurité que je pouvais garder donc je la gardais avec dans la tête : je vais tout faire pour pas y retourner et ça, ça pousse au cul aussi positivement. »

2.2.3. Le congé sabbatique

Les salariés peuvent aussi demander un congé sabbatique, d’une durée minimale de six mois et d’une durée maximale de onze mois, pendant laquelle le contrat de travail est suspendu. Pour en bénéficier, il faut posséder six ans d’activité professionnelle dont au moins trois ans d’ancienneté dans l’entreprise. Il peut permettre de suivre une formation ou de préparer une éventuelle reconversion sachant qu’« à l’issue du congé, le salarié retrouve un précédent emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente... »5. Ou encore parmi les congés pour convenance personnelle, un congé pour création d’entreprise qui a pour but d'encourager les salariés à créer leur entreprise. Il faut justifier d’au moins trente-six mois d’ancienneté dans son entreprise. En cas d’échec, ils peuvent retrouver leur emploi précédent6. Le code du travail prévoit un certain nombre de mesures pour celui ou celle qui veut cesser temporairement son travail en acceptant de renoncer à son salaire. C’est le cas de Christelle qui avant de demander un CIF avait déjà profité de deux congés pour tester un nouveau domaine professionnel en tant que costumière :

« La première fois j’ai pris quinze jours de congés euh… pour euh… pour continuer sur septembre à travailler là-dessus. Et puis la deuxième fois j’avais pris un, un congé plus long euh…mais en étant remplacée donc dans mon boulot. Mon directeur était d’accord pour me laisser partir pour cette expérience. Et pis là j’avais pris un an de congé sabbatique pour pouvoir justement voir un petit peu sur le terrain quoi comment ça pouvait se passer. »

Comme les autres mesures, les congés sabbatiques permettent au salarié de tester un nouveau métier, de s’assurer de sa viabilité avec un retour aisé à la profession initiale. Mais ils s’en différencient au niveau financier puisqu’ils ne sont pas rémunérés. Le salarié doit pouvoir subvenir à ses besoins le temps du congé, soit parce qu’il travaille (c’est le cas de Christelle qui touche des cachets de costumière), soit parce qu’il a des économie ou un conjoint qui peut assurer le quotidien.

5 Article L 122-32-17, L. 122-32-18, L. 122-32-19 et suivants de la loi n°84-4 du 3 janvier 1984 du Code du travail.

6 Voir art. L.122-32-12 et suivants. Ce congé (d’une durée d’un an renouvelable une fois) n'est pas rémunéré, mais il existe d’autres systèmes d'aides financières.

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 55-58)