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Le passage de l'instabilité à la stabilité de l'emploi

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 46-49)

Évolution des rapports à l'instabilité professionnelle : une enquête qualitative longitudinale auprès de jeunes

4. Modifications du rapport à l'emploi

4.1. Le passage de l'instabilité à la stabilité de l'emploi

En accord avec la « norme » biographique des parcours de vie, une partie des jeunes de l'enquête vivent de fait l'instabilité et la stabilité comme des phases successives. Elles représentent des étapes du parcours professionnel. Pour autant, leurs discours sont très tranchés, pour l'instabilité puis contre, au long des vagues successives de l'enquête. On aperçoit là des véritables changements, non pas seulement de situation professionnelle et sociale, mais de représentations, de désirs et d'attitudes.

4.1.1. Changements d'attitudes

La première étape, la phase d'insertion professionnelle est vécue sur le registre de l'aventure, que souvent l'on imagine éternelle.

« Comme je suis parti, je n’aurais jamais d’emploi stable. Je serai intérimaire toute ma vie » (Jérémy, vague 2)

Puis Jérémy, qui était cariste en intérim, entre à la SNCF, poussé par sa femme et malgré ses propres réticences et sa « peur » de la stabilité. Mais il continue là de valoriser la mobilité, qu'il situe maintenant à l'intérieur de l'entreprise :

« Là je change complètement de boulot. En gros, je vais reprendre un petit peu comme si j’étais en intérim, mais interne à la SNCF, c’est-à-dire que je deviendrai polyvalent » (Jérémy, vague 3).

Il réussit à combiner la stabilité de l'emploi avec la mobilité du travail. Mais encore trois ans après, il finit par valoriser la stabilité qu'il a acquise :

« [Qu’est-ce que ton travail t’a apporté dans ta vie de façon générale ?] Stabilité essentiellement. Et puis, pas une paix intérieure, mais bon, un souci en moins. Avant, c’était quand même : je suis en mission 15 jours, en mission 3 semaines, je finis là, il faut que je retrouve du boulot. Donc quelque part, c’est des soucis en moins aussi. La stabilité avant tout » (Jérémy, vague 4).

C'est le cas également de François, parti vivre en Norvège deux ans après son bac. La stabilité lui fait peur, et la mobilité par le voyage lui permet d'avoir l'instabilité sans en avoir les stigmates.

« Faire de l’intérim en Norvège, ce n’est pas comme si j’en faisais en France. Si j’en faisais en France, j’ai l’impression que je pourrais faire mieux alors que c’est normal que je passe par là en Norvège. Je n’ai pas à me justifier. Christophe voudrait que j’entre à La Poste. Moi, ça me fait peur cette stabilité, je ne la recherche pas trop » (François, vague 2)

Pour lui tout au long des années, le positif c'est le mouvement, la vitalité, qu'il oppose à la routine, en parlant du travail, mais aussi du couple, de la musique, de la société en général :

« Je m’y sens mieux [dans la société] mais j’ai peur de m’installer dans une certaine routine, ça me fait peur. Peut-être qu’il faut que je fasse encore un grand changement parce que c’est bien mais ça manque de passion. J’ai l’impression que je vais m’installer notablement, ça manque de vitalité. J’ai l’impression que je vais être dans mon petit confort, ça me fait peur » (vague 3).

Encore trois ans après, il valorise toujours la liberté qu'il recherche dans le travail, mais il se fait bien plus ambivalent et la stabilité apparaît plus fortement comme un acquis « de fait ». Son emploi d'enseignant lui donne effectivement cette sécurité, mais la vraie vie est ailleurs, dans les loisirs et dans un futur très vague.

Son discours a bien changé, la stabilité se fait primordiale maintenant :

« J’ai senti par exemple qu’il faut surtout pas que je lâche ce travail, il faut que je le suive parce que c’est quand même… C’est-à-dire qu’avant, j’étais un peu comme les constructions un peu sur pilotis, maintenant, c’est stable. […] C’est important d’avoir une stabilité et les pieds sur terre pour pas péter les plombs. [Le plus important dans le travail ?] C'est le temps libre… La sécurité, le temps libre » (vague 4).

L'instabilité serait dans ce cas très liée à l'adolescence. Elle représenterait aujourd'hui une étape de l'accession au statut d'adulte salarié, comme l'apprentissage (formalisé ou non) a pu l'être à des époques précédentes. En ce sens, le passage accompli à l'âge adulte est caractérisé par la stabilité : stabilité professionnelle bien sûr mais aussi stabilité financière liée à l'installation en couple, les enfants et l'achat d'un foyer… La stabilité est ainsi un gage de sérieux qui vaut reconnaissance par les autres et par les institutions de ce passage à l'âge adulte.

« Pendant qu’on est intérimaire, moi j’ai vécu ça, on n’est rien. On est à part, on est… On n’est pas chômeur, mais on n’est pas travailleur. On est un petit peu en marge. On vit dans la marge et l'on ne sait pas trop où l'on est. C’est marrant. Alors maintenant je travaille à la SNCF, alors dès que je dis que je travaille à la SNCF, c’est bon. À la banque, ils ont des sourires jusque-là » (Jérémy, vague 3).

En outre, l'instabilité est coûteuse et anxiogène. Elle apparaît aussi liée à une période où l'on est plus disponible, plus engagé.

« La moyenne d’âge en pub, c’est 30, 35 ans, c’est un rythme, toute ta vie, tu ne travailles pas jusqu’à 10 ou 11 heures du soir. Passé 35 ou 40, tu n’as plus la même énergie, la même disponibilité » (Agnès vague 4).

4.1.2. Les facteurs de changement : pressions et points d'appui

En premier lieu, on peut comprendre le passage à la stabilité comme un effet des pressions qui pèsent sur les individus. La stabilité est alors la conséquence des contraintes qui s'imposent à l'individu. C'est le cas par exemple pour Jérémy, dont l'épouse a fortement contribué à l'orienter vers la SNCF.

« C’est Vanessa qui m’a poussé. Je ne voulais pas. Je ne savais pas trop si je voulais vraiment m’engager là-dedans. Ça m’a fait un petit peu peur. Et puis bon, Vanessa, elle m’a poussé. Elle m’a dit “Vas-y, de toute façon tu n’as rien à perdre” » (Jérémy, vague 3).

Ainsi pour Agnès les facteurs qui comptent pour ou contre l'instabilité sont contenus dans les contextes plus que dans ses options à elle : l'instabilité est inhérente au métier de la pub, puis la stabilité devient inhérente à l'âge et à la position dans le cycle de vie. Mais cela se traduit aussi par une mise à distance de l'activité, au moment où elle devient commerciale pour une marque de vêtement, et à la diminution de l'engagement professionnel comme cadre de référence.

« C’est assez peu compatible avec une vie de famille, ces métiers-là où tu bosses tard. [Le plus important aujourd’hui pour toi ?] C'est ma vie privée. Je crois que je ne suis pas prête à manger, dormir, rêver de mon boulot jour et nuit » (Agnès, vague 4).

À l'inverse, le célibat apparaît comme une opportunité de tenter des expériences.

« Et je me suis dit : voilà, aujourd’hui… Voilà, j’étais pas en couple, j’avais pas d’enfants, je me suis dit:

voilà, c’est le moment ou jamais, j’aurais pas deux fois cette chance » (Alban, vague 4).

La deuxième façon d'appréhender cette tendance à la stabilité consiste à considérer que passer d'une logique d'instabilité à la mise en place de situations stables suppose un certain nombre de conditions. Il s'agit alors de trouver des ressources pour réussir ce passage, trouver des points d'ancrage sur lesquels peuvent se construire des projets cohérents. Ces points peuvent être multiples (famille, conjoint, découverte d'une vocation, formalisation d'un projet…). Le tout est que ces points fassent suffisamment pression, c'est-à-dire aient suffisamment de sens pour l'individu pour réussir à provoquer une remise en cause du modèle de l'instabilité.

Le fait de pouvoir concilier stabilité de l'emploi et mobilité du travail sont également une façon de gérer les ambivalences. Une fois acquise la sécurité dans l'emploi, on peut alors envisager d'autres formes de prise de risque.

« Et puis où je suis, je me faisais un petit peu chier. Ça fait un an que je suis dans mon bureau, là-bas. Il faut changer. […] Moi, au bout d’un an, c’est bon, j’ai fait le tour, il faut que je vois autre chose. Et puis bon, avant j’étais intérimaire, je changeais souvent. C’est peut-être ça qui me manque. Là, je vais changer, je vais travailler avec d’autres personnes, un autre boulot » (Jérémy, vague 3).

Comme le dit également Nicolas, on peut arriver à coupler stabilité de l'emploi et évolution professionnelle.

« Fonctionnaire justement c’est ce qu’il y a de moins stable et de plus stable en même temps, c’est ça qui est extraordinaire. C’est très stable au niveau du statut et puis en même temps, on peut changer assez facilement » (Nicolas, vague 2).

Les éléments qui interviennent comme contrainte ou ressources sont les mêmes. On le voit par exemple pour la vie de couple : c'est à la fois une pression incitant à la stabilité et une ressource permettant d'assumer l'instabilité lorsque le conjoint, lui, a un emploi stable.

Parmi les éléments extérieurs à la sphère du travail, les relations de couple et la constitution d'une famille apparaissent comme l'élément central du recentrage des individus vers la stabilité. Les choix professionnels sont très souvent fonction des événements survenus dans la vie privée et notamment des histoires de couple.

L'arbitrage dans ce cas tient compte des projets familiaux d'avenir et peut remettre totalement en compte l'orientation professionnelle, qui était engagée jusque-là.

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 46-49)