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Une expérience professionnelle longue pour éviter le risque de chômage de longue durée

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 148-153)

Guillemette de Larquier et Delphine Remillon *

4. Une expérience professionnelle longue pour éviter le risque de chômage de longue durée

Pour notre dernier questionnement concernant l’impact des trajectoires sur les durées de chômage, il a fallu construire une population totalement différente. En effet, l’état à expliquer ne peut plus être celui de 2003 : par définition, les chômeurs en 2003 n’ont pas fini leur période de chômage ; nous ne disposons pas de leurs durées de chômage mais seulement de leurs anciennetés au chômage. Nous sommes confrontées au problème répandu de censure à droite des données. Nous avons alors récupéré dans le volet biographique de l’enquête la première période de chômage connue après l’âge de 40 ans (toujours dans le souci d’avoir des trajectoires antérieures « longues ») à condition qu’elle se soit achevée avant 2003. Le nombre des durées de chômage complètes ainsi sélectionnées se limite à 289 dont 80 s’achèvent au bout d’un an. Par ailleurs, 182 se terminent avec une sortie vers l’emploi et 75 vers la retraite (soit un quart de l’effectif). Pour expliquer l’issue du chômage, la variable significative est de manière absolument prévisible l’âge, et dans

à expliquer est plutôt le risque de chômage de longue durée (pour la population totale des 289 observations, puis pour la sous-population des 182 périodes de chômage avec sortie vers l’emploi). Étant donné le faible nombre d’observations, nous avons fait le choix de réduire les variables de contrôle et de ne pas multiplier les variables explicatives. Notre modèle croise les trois dimensions explicatives (relevant de l’emploi, du chômage et de l’inactivité).

Tableau 6

RÉGRESSIONS LOGISTIQUES : IMPACT DE LA TRAJECTOIRE SUR LA DURÉE DE CHÔMAGE

Durée de chômage

Probabilité moyenne de l’événement 72,32 % 36,26 %

Durée totale dans l’emploi

(nombre d’années déclarées en emploi) 0,818*** 0,718***

Mobilités dans l’emploi

(nombre de changements professionnels – statuts, professions

et qualifications – au sein de l’emploi) ns ns

Récurrence du chômage (nombre de périodes de chômage,

indépendamment de leur durée) 0,549 0,370*

Durée totale d’inactivité

(nombre d’années déclarées en inactivité hors retraite) 0,859* 0,743**

Nombre d’observations 289 182

Pourcentage de paires concordantes 81,2 % 79,2 %

Après contrôle de l’âge, du genre, du niveau d’études atteint ou en cours et de l’année de fin de chômage.

Source : données enquête Histoire de vie.

Modèles avec constante. Ne figurent que les odd-ratios significatifs à un seuil inférieur à 10 % : *** : significatif à 0,1 % ; ** : significatif à 1 % ; * : significatif à 5 % ; ns : non significatif.

On constate en premier lieu que le risque moyen de chômage de longue durée est sans commune mesure dans les deux populations (72,32 %, toutes sorties du chômage confondues, contre « seulement » 36,26 % pour les seules périodes de chômage finissant par un retour vers l’emploi). Le niveau du risque mis à part, toutes choses égales par ailleurs, les effets significatifs des variables de synthèse des trajectoires jouent dans le même sens. La durée totale passée antérieurement dans l’emploi, le nombre de périodes de chômage déjà subies et la durée passée hors du marché du travail diminuent le risque de chômage de longue durée, avec des significativités diverses.

La récurrence du chômage diminue beaucoup le risque de chômage de longue durée. On peut voir là un effet de la précarité dans l’emploi qui induit des passages par le chômage mais sans exclusion, sans installation dans le chômage, parce que l’on en sort justement pour des emplois atypiques (cf. partie 3) qui renverront vers le chômage. Les travailleurs échappent au chômage de longue durée au prix du chômage récurrent.

De manière plus significative, la durée hors du marché du travail augmente la probabilité de sortir du chômage au bout d’un an. Pour la première régression, on aurait pu penser que cela s’explique par des retours rapides vers l’inactivité ; or, l’impact est plus grand et significatif encore pour la seconde régression où toutes les sorties sont vers l’emploi. Doit-on alors considérer que ces individus, qui ont quitté un temps le marché du travail, ont des prétentions en termes d’emploi suffisamment faibles pour sortir rapidement du chômage ? S’ajoute un effet que l’on peut attraper dans une autre régression (expliquer la probabilité d’avoir une durée de chômage supérieure à un an en fonction des variables de synthèse sur le non-emploi) : significatifs à seulement 10 %, la durée passée en formation continue diminue beaucoup le risque alors que la durée au foyer l’accroît à peine. Soit deux explications possibles qui ne s’excluent pas : le passage antérieur par l’inactivité réduit les prétentions des chômeurs (en particulier salariales, cf. partie 3), une certaine inactivité – les périodes de formation – a enrichi leur employabilité aux yeux des entreprises par rapport aux autres chômeurs.

Enfin, l’effet de loin le plus significatif : plus longue est l’expérience professionnelle, plus faible est le risque de chômage de longue durée. Ce résultat est vrai après contrôle de l’âge, variable qui joue en sens inverse

alors qu’elle est positivement corrélée avec l’expérience. Entre deux chômeurs de même âge, celui qui bénéficie d’une expérience professionnelle plus courte a une probabilité plus grande d’avoir une durée de chômage supérieure à un an. Cette dernière variable, par sa significativité à 0,1 %, ternit l’importance des deux effets précédents. Certes la récurrence du chômage et le passage par l’inactivité créent des conditions favorables à une sortie « rapide » du chômage, il n’en demeure pas moins que c’est l’expérience longue dans l’emploi et non pas la mobilité en tant que telle qui explique le plus sûrement comment certains chômeurs évitent le chômage de longue durée.

Conclusion

Deux résultats ressortent de ces premières analyses statistiques sur les trajectoires : le premier résultat est l’effet ambigu des mobilités internes et externes à l’emploi. Il semble que si certaines mobilités particulières, notamment le passage vers le non-salariat et vers le public, sécurisent la trajectoire (mobilité préventive ou reconversion « subie », à la suite d’une période de chômage), c’est au prix d’une qualité d’emploi moindre.

Néanmoins cette interprétation doit rester prudente. Il conviendrait de tester plus précisément les enchaînements de transitions : par exemple dans quelle mesure les changements de statut ou les déclassements font suite à des périodes de chômage.

Deuxième résultat, on constate dans la dernière régression que les chômeurs récurrents, s’ils subissent un risque élevé de chômage, ont une probabilité plus faible de chômage de longue durée. Comme ce test est réalisé sur des durées de chômage commencées après 40 ans et pour des personnes ayant toutes connu au moins une période de chômage, en creux nous avons le résultat suivant : ceux qui connaissent leur première période de chômage après 40 ans, soit tardivement, après une longue période de stabilité dans l’emploi, sont plus particulièrement exposés au chômage de longue durée.

Faut-il interpréter ces résultats en mettant en avant uniquement les comportements et stratégies individuelles ? Peut-on en conclure qu’il y aurait de bonnes stratégies sur le marché du travail ? Des personnes qui font les bons choix ? D’autres qui refusent le changement, au prix d’un chômage plus élevé ? Nos données étant strictement individuelles et décontextualisées (absence d’information sur les secteurs d’activité, les entreprises) nous ne pouvons en fait distinguer dans les trajectoires, ce qui relève d’effets

« offre » ou d’effets « demande de travail ». En particulier nous ne pouvons identifier les mobilités choisies et les mobilités subies. Cependant, à la suite des travaux conventionnalistes (par exemple Bessy et alii 2001) et en nous appuyant sur nos entretiens, nous interprétons les itinéraires professionnels comme le produit de sélections successives s’appuyant sur des évaluations de la qualité du travail et des travailleurs. Ces évaluations et sélections sont produites à la fois par les entreprises, recruteurs, et par les travailleurs eux-mêmes, à la croisée des analyses en termes d’offre et de demande de travail. C’est avec cette grille d’analyse que nous pouvons interpréter notre second résultat. Les entretiens réalisés montrent que les personnes qui connaissent leur première période de chômage passé 40 ans sont très déstabilisées par cette rencontre tardive avec le « marché du travail ». Il leur faut se plier aux modes d’évaluation des recruteurs, agences d’intérim, et organismes d’aide au retour à l’emploi, exercice auquel les chômeurs récurrents sont davantage

« rompus ». Cela demande un apprentissage et une remise en question qui prend généralement du temps.

Par ailleurs, beaucoup sont persuadés, à leur entrée au chômage, qu’ils retrouveront rapidement un emploi.

Il leur faut du temps pour réaliser que ce n’est pas le cas, notamment du fait de leur âge, critère fortement discriminé sur le marché du travail français, et qu’ils devront ajuster leurs évaluations de ce qu’est un bon emploi, un bon salaire. Ce décalage entre l’emploi valorisé et les possibilités réelles se traduit par des durées de chômage plus longues que pour ceux qui ont davantage intériorisé ces contraintes.

Bibliographie

Amossé T. (2003), « Interne ou externe, deux visages de la mobilité professionnelle », Insee Première, n° 921.

Bessy C., Eymard-Duvernay F., de Larquier G. et Marchal E. (2001), Des marchés du travail équitables ? Une approche comparative France Royaume-Uni, Bruxelles, P.I.E-Peter Lang.

Cahuc P. et Kramarz F. (2004), De la précarité à la mobilité vers une sécurité sociale professionnelle,

Gautié J. (2004), « Les marchés internes du travail, l’emploi et les salaires », Revue française d’Économie, vol XVIII, avril, pp. 33-62.

Gautié J. (2003), « Des marchés internes aux marchés transitionnels », in J.-P. Touffut (éd.), Institutions et emploi, Paris, Albin Michel.

Gazier B. (2005), Vers un nouveau modèle social, Paris, Flammarion.

Gazier B. et Schmid G. (2002), The Dynamics of Full Employment, Social Integration Through Transitional Labour Markets, Cheltenham, Edward Elgar Publishing

Supiot A. et alii (1999), Au-delà de l’emploi : transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, Paris, Flammarion.

Annexe

Niveau d’études en cours ou atteint :

1. Aucune étude à dernière année d’études primaires 15,20 28,79 27,22 2. Premier cycle d’enseignement général 11,81 15,73 16,10

3. Deuxième cycle d’enseignement général 12,67 9,63 7,63

4. Enseignement technique ou professionnel court 34,81 21,99 31,61

5. Enseignement technique ou professionnel long 6,62 6,84 5,89

6. Enseignement supérieur 18,89 17,02 11,56

Qualification :

1. Manœuvre ou OS 8,20 19,67 20,43

2. Ouvrier qualifié ou hautement qualifié 21,70 21,24 11,92

3. Technicien ou agent de maîtrise 18,88 11,27 6,65

2. Être passé du salariat au non-salariat 12,48 6,91 10,21 3. Être passé du non-salariat au salariat 3,06 4,15 1,48 4. Plusieurs passages entre salariat et non-salariat 9,31 9,36 3,78 Changement de secteur :

1. Avoir toujours été dans le secteur privé 74,86 81,91 87,89 2. Être passé du secteur public au secteur privé 5,45 5,22 1,75 3. Être passé du secteur privé au secteur public 14,93 9,43 5,55 4. Plusieurs passages entre secteurs privé et public 4,76 3,44 4,81 Changement de qualification :

1. Avoir la même qualification depuis le début de la

trajectoire 38,91 45,82 67,52

2. Avoir connu une (des) promotion(s) 33,16 18,92 8,97

3. Avoir connu un (des) déclassement(s) 2,30 2,03 1,15

4. N’avoir connu que des changements neutres 17,97 24,99 17,40 5. Avoir connu à la fois des promotion(s) et

déclassement(s) 7,62 8,24 4,95

Source : données enquête « Histoire de vie », pourcentages avec pondération de redressement.

Population : individus entre 40 et 65 ans, en emploi, chômeurs ou inactifs (hors retraités), à l’exclusion des personnes ayant toujours été dans le non-salariat et toujours dans le public.

Modélisation dynamique de la participation au marché du travail des

Dans le document Transitions professionnelles et risques (Page 148-153)