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La participation associative et les politiques sociales territorialisées

III.2.1   Genèse  de  l’association

III.2.1.1 Le  réseau  associatif  des  femmes  à  Gennevilliers

Avant de focaliser l’analyse sur le cas de l’association Plein grés, il est important de souligner que celle-ci s’insère dans un réseau associatif permettant la coopération entre différents collectifs de femmes. Nous avons indiqué précédemment que des militantes du MLAC étaient actives sur Gennevilliers pour revendiquer le droit à l’avortement et défendre plus généralement la place des femmes dans la société. Pour ces militantes, la promulgation de la loi de 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse marque un aboutissement de leur combat au niveau national, bientôt suivi par une victoire au niveau local avec l’ouverture d’un service d’orthogénie au sein de l’hôpital du secteur. Il s’en suit un questionnement sur la suite à donner au mouvement et le collectif se scinde en différents groupes investis soit dans le cadre du planning familial, soit dans celui de la revendication politique, soit dans celui du travail social dans les quartiers. Le choix d’agir dans les quartiers, au plus près des habitantes de Gennevilliers, conduit une quinzaine de militantes à monter le projet « d’une Maison de femmes, par les femmes et pour les femmes pour rompre l’isolement et débattre de questions

spécifiques »124. Après plusieurs années de tâtonnement et de fonctionnement informel dans le local collectif d’un logement social, l’association Elles ouvrent la porte est déclarée officiellement auprès des autorités publiques en 1981. La sollicitation du Ministère du droit des femmes créé par le nouveau gouvernement socialiste permet à l’association d’obtenir rapidement un financement afin d’ouvrir une Maison de femmes et d’employer une personne pour assurer une permanence. La municipalité communiste, qui pendant des années n’avait pas répondu favorablement à la demande d’un local, propose la location d’un pavillon classé insalubre et en voie d’être démoli, que les militantes parviennent à remettre en état.

La Maison de femmes s’ouvre en 1982 dans le quartier des Grésillons avec pour objectif de rompre l’isolement des femmes, d’accroître leur autonomie et d’améliorer les relations au sein de la famille. Grâce notamment au bénévolat des membres, diverses activités sont proposées aux femmes, depuis des ateliers d’expression, d’alphabétisation, de relaxation et de pratiques culturelles (cuisine, couture) jusqu’à l’apprentissage des normes administratives, des techniques d’auto-défense et des travaux domestiques traditionnellement dévolus aux hommes (bricolage, électricité, plomberie). Lorsque le quartier des Grésillons entre dans le dispositif de Développement social des quartiers, l’association Elles ouvrent la porte obtient de nouveaux financements qui permettent d’employer à temps plein une coordinatrice et de pérenniser les diverses activités proposées.

La volonté de résoudre les problèmes des femmes du territoire amène les militantes d’Elles ouvrent la porte à participer à la création de nouvelles associations qui prennent en charge des problèmes spécifiques. La Maison de femmes accueille durant quelques mois le collectif de femmes qui formera l’association Plein grés, ce qui permet d’amorcer l’activité de halte-garderie. Les militantes d’Elles ouvrent la porte soutiennent par la suite la demande de financement public permettant l’ouverture d’une première halte-garderie sur le quartier. Ces deux collectifs associatifs, dont plusieurs membres se connaissent depuis les mobilisations féministes des années 1970, collaborent étroitement pour permettre aux femmes de sortir de l’univers domestique. En 1989, lorsqu’une quarantaine de formations ne peuvent être prises en charge par le dispositif public local (mission locale), les militantes d’Elles ouvrent la porte et de Plein gréscréent une association spécialisée dans la formation professionnelle. Celle-ci a permis, entre autres, l’acquisition d’une qualification professionnelle pour de nombreuses

124 Ces informations ont été recueillies par Ginette Francequin, avec laquelle nous collaborions dans le cadre de

femmes passées par ces associations. En 1992, une autre association dénommée L’escale est créée à partir d’observations réalisées à la Maison de femmes et à la halte-garderie. Dans ces deux espaces, les militantes ont recueilli plusieurs témoignages de femmes victimes de violences et se sont mobilisées pour que ce problème soit visible et légitime dans l’espace public. Après un premier accueil à la Maison de femmes, des logements sont obtenus sur la ville afin de permettre un hébergement et un accompagnement des femmes victimes de violence125. À partir de la fin des années 1990, les militantes d’Elles ouvrent la porte soutiennent une association de Femmes relais aux Grésillons qui réalise une médiation entre les institutions sanitaires et sociales et les habitantes issues de l’immigration. Ces dernières accèdent en effet moins souvent aux soins et à l’assistance sociale en raison de la barrière de la langue et d’une méconnaissance du fonctionnement des administrations (Madelin, 2007).

Ce réseau associatif permet donc des collaborations et des formes de solidarité mutuelle entre les femmes mobilisées dans le quartier des Grésillons. Si importante qu’elle soit, l’entraide ne suffit pas à générer ces activités associatives. L’organisation en association s’effectue également grâce à l’aide des institutions publiques. La municipalité accompagne ces initiatives par la mise à disposition de locaux, ce qui témoigne d’un changement de logique à l’égard des associations indépendantes du parti communiste. Ce changement était déjà observable avec l’entrée dans le dispositif de Développement social des quartiers et l’acceptation d’un partenariat avec l’État et les organisations locales pour la résolution des problèmes sociaux. Néanmoins, c’est bien le nouveau cadre institutionnel créé par les politiques publiques qui permet à ces associations d’agir durablement, grâce à une plus grande légitimité en tant qu’acteurs du territoire et à des subventions pour leur fonctionnement.

Si l’on suit en détail la genèse de l’association Plein grés, on observe également l’importance du rôle des politiques territorialisées dans la constitution de l’association et le changement d’attitude des dirigeants communistes à l’égard des groupements indépendants du parti. À l’instar de l’investissement des militantes féministes dans le secteur associatif via la Maison de femmes, nous allons voir aussi que la trajectoire de la fondatrice de l’association Plein grés est marquée par une socialisation politique qui précède son engagement associatif. Socialisée dans des organisations du catholicisme social, cette femme est à l’origine de la formation d’un collectif d’habitants dans le principal complexe de logements sociaux du

125 Là encore, la municipalité met à disposition des logements et les subventions publiques proviennent

quartier des Grésillons. Contrairement aux militantes féministes, elle occulte cependant son appartenance à un mouvement social pour mieux faire émerger une identité d’habitante et pour préserver l’autonomie du groupement. On retrouve ici notre hypothèse sur la mobilisation de la forme associative par des militants politiques, bien que celle-ci soit l’objet d’un traitement spécifique dans les chapitres V et VI.