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La participation associative et les politiques sociales territorialisées

III.1 Transformations  des  communes  ouvrières  en  France

III.1.1 Essor  et  déclin  du  communisme  municipal

À partir du milieu du XIXe siècle, le développement industriel se réalise notamment par l’installation des grandes usines dans la périphérie des grandes villes. À l’image de nombreuses bourgades franciliennes, Gennevilliers demeure donc jusqu’en 1850 une commune rurale à la population stable (autour de 1 000 habitants). Dans les premières décennies du XXe siècle, l’activité économique de cette commune reste encore partagée entre l’agriculture et l’industrie. Grâce à l’épandage des eaux d’égout de Paris qui fertilisent les plaines gennevilloises, une importante culture maraîchère se développe à Gennevilliers et permet le maintien d’une main d’œuvre agricole. Néanmoins, l’installation progressive d’usines, d’ateliers, de hangars et d’entrepôts transforme la commune en une véritable terre d’industrie (Laffitte, 1970). De manière générale, les faubourgs industriels qui émergent au tournant du siècle se constituent en marge des grandes politiques d’urbanisme et sont le lieu d’ajustements privés défavorables aux populations qui s’y installent. La période de l’entre-deux guerres est ainsi marquée par la figure du « mal-loti », ce travailleur modeste qui peuple les nouvelles zones pavillonnaires dépourvues d’équipements collectifs tels que la voirie et l’éclairage public (Fourcaut, 1986, p. 19-26). Les conditions de travail s’avèrent également moins favorables dans les banlieues industrielles où « les salaires sont plus bas qu’à Paris, la discipline plus rude, la taylorisation plus précoce que dans les ateliers parisiens ou lyonnais » (Fourcaut, 2007, p. 8).

La prise en compte de ces difficultés conduit aux premiers succès électoraux des communistes dans les années 1920. L’implantation du parti communiste français (PCF) dans la banlieue industrielle s’affirme au cours des années 1930, grâce également à la coalition nationale du Front populaire. Lors des élections municipales de 1935, le nombre de mairies dirigées par un groupe communiste passe ainsi de 150 à 297 au niveau national et de 9 à 26 dans le département de la Seine qui compte alors 80 communes (Courtois, Lazar, 1995, p. 125). À Gennevilliers, où la population approche alors les 30 000 habitants, le premier maire communiste est également élu en 1935. La « banlieue rouge » se constitue autour de Paris et le communisme municipal pose son empreinte sur les banlieues populaires. L’hégémonie qu’y exerce le PCF des années 1930 au début des années 1980 s’explique par la politisation de la classe ouvrière et l’attrait du socialisme révolutionnaire durant cette période, mais aussi par les effets concrets de la gestion municipale sur les conditions de vie des habitants. Le communisme municipal s’est ainsi traduit par la création de bains-douches, de centres de santé, de centres culturels et d’écoles, ainsi que par la promotion du tourisme social et l’organisation de colonies de vacances. L’amélioration de la voirie et la rénovation du parc immobilier ont également contribué à transformer les faubourgs industriels en de « véritables villes » populaires (Fourcaut, 1986, p. 163-193). Sans idéalisme, on peut considérer avec Masclet que « ces municipalités furent des lieux de promotion sociale et culturelle des classes populaires. Elles ont contribué à la dignité de la classe ouvrière qui s’est ainsi consolidée localement à travers ce travail politique de valorisation du groupe » (2003, p. 20-21).

Si le terme de « banlieue rouge » renvoie à la prise du pouvoir municipal par des élus communistes, il correspond également à une forme de sociabilité locale définie par la proximité entre le travail et l’habitat, entre l’usine et le quartier. François Dubet et Didier Lapeyronie conçoivent ainsi les banlieues rouges comme un « système social articulant fortement trois logiques de l’action : une logique communautaire construite autour d’une culture populaire, une logique de conscience de classe et, enfin, une logique de participation sociale constituée autour des partis, des syndicats et des associations » (1992, p. 49-50). À partir du cas de Bobigny, Annie Fourcaut a souligné la dépendance politique des associations à l’égard du parti communiste et le rôle qu’elles jouaient dans l’encadrement de la sociabilité locale. « Le maire, les élus, les militants communistes sont, grâce à la multiplicité des associations et à la diversité de leurs manifestations, omniprésents dans la vie locale : ils président les fêtes, les bals, les défilés, sont en contact avec tous les secteurs de la population par le biais des associations spécialisées, ils apparaissent comme les ordonnateurs de tous les

divertissements. Leur rôle cesse alors d’être perçu comme exclusivement politique, et l’adhésion aux idées qu’ils propagent devient le corollaire massivement partagé de la participation à la vie de relations de la commune » (1986, p. 159-160). À Gennevilliers, les associations jouent également ce rôle d’« organisations de masse » et de « courroies de transmission » au service de la révolution jusqu’aux années 1960 (Dupuy, 2003, p. 255-257).

Ce système social est déstabilisé à partir des années 1970 en raison notamment du processus de désindustrialisation113. Si l’Île-de-France reste la première région industrielle du pays, elle connait une perte de près d’un million d’emplois dans le secteur secondaire entre 1975 et 2002 (Subra, 2004, p. 21). Les pertes d’emplois industriels se conjuguent aux délocalisations des usines en lointaine périphérie, rompant ainsi le lien de proximité qui existait entre le travail et l’habitat. De nombreux sites industriels sont aujourd’hui occupés par des entreprises de services ou sont totalement rénovés pour laisser place à de nouveaux quartiers où s’installent de manière croissante des membres de la classe moyenne. À Gennevilliers, la fermeture progressive des usines automobiles Chausson durant les années 1990 et leur démolition en 2007 symbolisent cette transformation des villes communistes. Ces usines occupaient en effet une place centrale dans l’espace urbain (Photo 5) et étaient le lieu d’une forte implantation des cellules communistes et de la CGT (Massera, Grason, 2004). Elles sont aujourd’hui remplacées par un projet d’éco-quartier (Photo 6) et par de petits complexes immobiliers (Photo 7).

L’évolution de la population active illustre également la transformation des villes communistes. À Gennevilliers, alors que les ouvriers représentaient près des deux tiers de la population active en 1962, ils n’en représentent plus que le quart en 2009 (Tableau 5). Durant la même période, la catégorie des employés a doublé (de 18,5 % à 37,4 %) et celle des professions intermédiaires a augmenté de 8,4 % à 23 %. La catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures reste minoritaire, mais elle passe de 1,5 % à 8,8 %. Nous verrons dans le cinquième chapitre quelles stratégies politiques les dirigeants communistes ont mis en œuvre pour renouveler les formes de mobilisation locale et conserver leur assise électorale. Il importe ici de prendre en compte les effets du processus de désindustrialisation sur l’organisation socio-politique que constituait le communisme municipal. On peut en effet considérer que « le patrimoine commun du groupe ouvrier, constitué autour du quartier, de l’usine et des organisations politiques s’est désagrégé » (Bacqué, Fol, 1997, p. 17).

Tableau 5 – Répartition de la population active (en %) selon la Profession et catégorie sociale (PCS) à Gennevilliers en 1962, 1982, 1999 et 2009 (INSEE, RP). PCS 1962 1982 1999 2009 Agriculteurs 0,4 - - - Ouvriers 65,3 43,6 32,4 25,2 Employés 18,5 33 36,4 37,4 Artisans, commerçants, chefs d’entreprise 5,8 3,1 3,8 3,7 Professions intermédiaires 8,4 14,5 19,1 23 Cadres et professions intellectuelles supérieures 1,5 4 5,1 8,8

Photo 5 – Vue aérienne des usines Chausson, non datée. Le quartier des Grésillons se trouve en haut à gauche de l’image, entre la Seine et les usines.

Photo 6 – Ancien site principal des usines Chausson et lieu du futur éco-quartier, 2012.