La participation associative et les politiques sociales territorialisées
III.2.2.1 Du projet au développement de l’association
À son commencement, l’activité de la halte-garderie des Grésillons consiste à accueillir temporairement des enfants de moins de trois ans non-inscrits dans un centre d’accueil permanent. Le projet de l’association vise alors un double objectif. D’une part, la
127 Le financement provient du programme de Développement social des quartiers et de la Caisse d’allocations
garderie est pensée en référence à la socialisation et à l’éveil des enfants. D’autre part, elle doit permettre à des mères au foyer de sortir de l’espace domestique. L’association se veut donc un espace d’accueil des enfants, mais aussi un espace de rencontre, d’entraide et de formation pour les femmes du quartier. Comme on l’a vu plus haut, le collectif des femmes de la cité des 3F cherche à valoriser l’« expérience des mères » soit par l’accès à des formations qualifiantes, soit par l’obtention d’un emploi salarié. Pour l’ouverture de la halte-garderie, une des femmes de ce collectif suit donc la formation au métier d’assistante maternelle. Le fonctionnement de ce type d’établissement nécessite néanmoins du personnel plus qualifié pour l’encadrement (Tableau 6), une éducatrice de jeunes enfants est alors mise à disposition par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Pour les femmes de l’association, la présence d’une professionnelle est un gage de qualité dans l’activité. Celle d’une mère du quartier manifeste la volonté des femmes de valoriser les acquis domestiques et de participer pleinement au fonctionnement de la structure. La participation bénévole des parents est également recherchée afin de renforcer l’appropriation de la halte-garderie par les habitants du quartier et de constituer un groupe à base d’entraide128.
La structure est placée sous la responsabilité d’un conseil d’administration essentiellement composé des femmes du collectif des 3F. Ces dernières participent bénévolement aux activités de la halte-garderie de multiples manières. Elles participent aux animations avec les enfants, accueillent les parents, réalisent une part du travail administratif, préparent les repas et nettoient le local. Elles se chargent également des relations avec les différents partenaires publics et avec les autres associations présentes sur le quartier. Le collectif des femmes des 3F est ainsi parvenu à créer et gérer une structure d’accueil de la petite enfance à l’échelle du quartier sans perdre de vue son projet originel de valorisation de l’expérience des mères de famille. La halte-garderie n’est pas pensée comme une substitution au travail des mères, mais comme un outil permettant à celles-ci de s’entraider, de se former et d’accéder à un emploi dans le secteur de la petite enfance. Dans les années qui suivent la création de l’association, la plupart des femmes du collectif des 3F et d’autres habitantes du quartier ayant rejoint l’association accèdent à des formations qualifiantes et obtiennent un emploi salarié, parfois au sein même de l’association. Ainsi, en 1987, une seconde femme du collectif des 3F est salariée en tant qu’assistante maternelle et la présidente quitte le conseil d’administration de l’association pour être employée en tant que coordinatrice.
128 Pour susciter le bénévolat, l’association propose aux parents volontaires des heures de garde gratuites.
Tableau 6 – Métiers de la petite enfance, avec niveau de qualification et fonction.
Métier Niveau de qualification Fonction
Infirmière Puéricultrice Bac +4 Direction, Accueil des enfants
Éducatrice de jeunes enfants Bac +3 Direction, Accueil des enfants
Infirmière Bac +3 Veille sanitaire et hygiénique
Auxiliaire de puériculture CAP Accueil des enfants
Assistante maternelle CAP, BEP ou
Formation non diplômante Accueil des enfants
Agent polyvalent CAP ou BEP Accueil des parents, Cuisine,
Ménage
À la fin des années 1980, un nouveau projet d’accueil des enfants du quartier est proposé aux institutions publiques qui financent déjà la halte-garderie. Il s’agit d’une crèche permettant notamment l’emploi de six assistantes maternelles et l’accueil permanent d’une quinzaine d’enfants129. Bien que cette structure s’adresse davantage à des couples salariés, elle s’inscrit toutefois dans l’objectif de formation et de salarisation des mères de famille. Parmi les six personnes recrutées en tant qu’assistante maternelle, cinq sont issues du collectif de la cité des 3F. Les deux établissements d’accueil sont gérés par la même association dont l’intitulé devient Plein grés130. En raison de la salarisation des premières militantes et de la participation bénévole de nouvelles femmes aux activités de l’association, le conseil d’administration est remanié et le groupe de participants s’élargit par rapport au collectif initial. Le développement de l’association Plein grés se poursuit au cours des années 1990 et 2000 puisque trois nouveaux établissements sont créés dans différents quartiers de Gennevilliers. D’abord au Luth en 1995, dans l’autre quartier concerné par la politique de la ville. Puis, dans le vieux centre-ville en 2003 (Le village) et dans un quartier réaménagé proche d’une zone d’activité en 2007 (Chandon-Brenu).
129 À l’instar de la halte-garderie, la mini-crèche est située à proximité de la cité des 3F dans un pavillon réhabilité et mis à disposition par la municipalité.
Carte 3 – Division de la ville de Gennevilliers par quartiers.
Cette implantation de l’association dans les autres quartiers de la ville correspond pour une part à une demande exprimée par la municipalité, nous reviendrons sur ce point dans la dernière partie du chapitre. Il correspond d’autre part à l’objectif de l’association de promouvoir l’insertion des femmes au travers de l’activité salariée. Au moment de l’enquête, en 2011, Plein grés gère un budget de 1,5 millions d’euro131 et emploie 50 personnes pour 43 équivalents temps plein. L’association participe également au financement des formations qualifiantes des femmes du quartier qui peuvent alors passer de la participation bénévole au stage rémunéré132. Comme le relate la directrice de l’association, ce passage par le bénévolat, puis par la formation permet de recruter des femmes ayant peu ou pas de qualification à la
131 Pour la structure des financements, voir le graphique page 189.
132Plein Grés accueille également des stagiaires venant du lycée professionnel à proximité. Selon les rapports d’activité de l’association, celle-ci accueille chaque année près de 150 stagiaires.
base133. Ce processus permet également de s’assurer que ces personnes adhèrent au projet et aux règles de l’association.
« On travaille beaucoup sur la formation interne. Quand les gens arrivent, ils n’ont pas forcément de diplômes, mais ils vont se former professionnellement en passant des diplômes. Donc ça part du CAP Petite enfance, puis BEP Carrières sanitaires et sociales, et puis l’Auxiliaire de puériculture. (…) On en a une qui a obtenu… Nejma, elle était sur le projet de départ, elle a obtenu son CAP Petite enfance, elle a passé son BEP et elle a passé donc son diplôme d’auxiliaire de puériculture il y a deux ans à peu près. (…) On essaye de travailler comme ça, pour avoir des gens qui vont essayer de s’intégrer, d’être bien en adéquation avec le projet d’origine. On embauche aussi certaines stagiaires, qu’on a eues en stage et qui ont bien adhéré ».
Entretien avec Annick Poulain, Directrice de l’association Plein grés
Après les premières formations au métier d’assistante maternelle, les femmes de l’association se sont donc engagées dans des formations plus longues et sanctionnées par des diplômes. Entre 1990 et 2010, plus de quarante femmes ont obtenu un CAP Petite enfance, vingt ont obtenu un BEP Carrières sanitaires et sociales, douze ont réussi le concours d’entrée en école d’auxiliaire de puériculture et deux ont obtenu le diplôme d’auxiliaire de puériculture. Les trajectoires de deux membres de Plein grés permettent d’analyser plus qualitativement la promotion sociale des femmes au travers de leur participation dans l’association. L’une illustre les relations existantes entre les associations de femmes présentes sur le quartier des Grésillons et le travail de conscientisation réalisé autour de la place des femmes dans la société. L’autre met en lumière les possibilités de carrière au sein de l’association puisque la personne concernée en est aujourd’hui la directrice, après une première participation bénévole. Ces deux trajectoires montrent également que le travail auprès des enfants n’est pas l’unique voie pour l’insertion professionnelle des femmes, plusieurs emplois sont créés en référence au travail administratif.
133 Concernant les postes les plus qualifiés telles les infirmières puéricultrices et les éducatrices de jeunes enfants, l’association recrute des personnes via le Service public de l’emploi.