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La participation associative et les politiques sociales territorialisées

III.2.1   Genèse  de  l’association

III.2.1.3 Nouvelle  mobilisation  et  organisation  en  association

Durant la décennie 1970, ce groupe de femmes maintient un système de garde collective et organise également des ateliers éducatifs pour les enfants. De manière plus générale, l’usage du local collectif permet le développement d’une sociabilité de voisinage au sein de ce complexe de logements sociaux. Outre l’organisation de fêtes et de repas, cette sociabilité permet des échanges sur les problèmes du quartier, sur les relations familiales et sur l’autonomie des femmes. Certains membres de ce groupe participent notamment à des débats organisés par les militantes du MLAC de Gennevilliers. L’action en dehors du périmètre de l’habitat reste néanmoins très limitée. Les assistantes sociales présentes sur le secteur sont contactées si un membre du groupe ou d’autres habitants rencontrent une difficulté. Le groupe maintient en revanche ses distances avec les réseaux du parti communiste dont il se méfie pour conserver son autonomie. L’usage des équipements culturels et sportifs de la ville par les enfants permet cependant à ce groupe d’habitants d’acquérir une meilleure connaissance des services municipaux et de leurs agents.

Lors de la rentrée scolaire de 1981, un problème surgit en raison d’un manque de place dans l’école maternelle du secteur. Quinze familles de la cité des 3F voient leurs demandes rejetées par la direction de l’école, la sélection des enfants se faisant en faveur des couples dont les deux membres ont une activité salariée. De fait, les demandes des mères au foyer ne sont pas jugées prioritaires. Le collectif des femmes de la cité des 3F, rejoint par des militantes féministes d’Elles ouvrent la porte, se mobilise alors pour revendiquer un traitement égalitaire sur cette question. Cette revendication n’aboutit pas, mais elle permet une prise de conscience sur la difficulté des mères au foyer de s’extraire de l’espace domestique. La critique du statut de la mère au foyer nourrit alors la réflexion collective de ces femmes. Elles pointent l’invisibilisation du travail domestique, la non reconnaissance de l’expérience acquise au travers de l’éducation des enfants, ainsi que l’isolement social des mères au foyer. En conséquence, elles projettent de valoriser leurs « acquis domestiques » par des formations, voire par l’accès à un emploi.

« La plupart des femmes, elles n’avaient pas de projet salarial. On savait toutes qu’à un moment on allait se retrouver sans les enfants… et qu’est-ce qu’on ferait ?! Qu’est-ce qu’on ferait ? On n’a plus à aller les chercher à l’école… Le mari, il rentre, il faut que la cuisine soit prête, mais enfin quand même ! Et nous ? Et nous là-dedans ? Comment on allait faire ? Donc il fallait qu’on aille vers d’autres projets, même si c’était pas un projet de retourner au travail, mais en tout cas il fallait qu’on imagine ça. Et moi, dans le cadre de Culture et liberté, j’avais un bouquin. (…)C’était des expériences où justement des femmes de grandes cités s’étaient posé cette question-là en se disant : "Quand même, quand on est malade, on demande à une assistante familiale de pallier à la fatigue de la mère de famille. Elles sont payées pour ça et elles font exactement ce qu’on fait tous les jours !" Donc pourquoi on ne valoriserait pas ce qu’on sait faire ? C’est de là qu’est partie l’histoire de faire des projets qui tiennent compte de nos acquis. C’est pas parce qu’on est à la maison, qu’on n’a pas d’activités extérieures, qu’on ne fait rien du tout ! On rencontre les autres, et si en plus on fait du bénévolat, on fait des tas de choses. C’est quelque chose qui doit être valorisé et qui, dans l’extrême, peut être monnayé ».

Entretien avec Roselyne Titour, Fondatrice et Présidente de Plein Grès

Ce projet de valoriser l’expérience acquise dans l’espace domestique et d’accéder à un emploi devient d’autant plus pressant que l’amicale de locataires de la cité des 3F prend possession du local collectif. Ces femmes perdent donc leur lieu habituel de réunion et une

organisation formelle du groupe apparaît nécessaire. L’inscription du quartier des Grésillons dans le dispositif de la politique de la ville constitue alors une opportunité pour le collectif des femmes des 3F, d’autant que l’extension des structures destinées à la petite enfance est un objectif prioritaire du dispositif. Ces femmes participent alors aux rencontres organisées avec des élus locaux, des représentants de la commission nationale de Développement social des quartiers, des travailleurs sociaux et des professionnels de santé. L’objectif de ces réunions est de parvenir à la formulation d’un projet conciliant à la fois les aspirations des habitants, les attentes des pouvoirs publics et les besoins du quartier. Alors que les travailleurs sociaux et la municipalité s’orientent vers la création d’une nouvelle crèche destinée à accueillir les enfants dont les deux parents occupent un emploi, le collectif des femmes revendique un projet alternatif de halte-garderie destiné aux mères sans activité salariée. Elles reçoivent le soutien des militantes de la Maison de femmes qui ont également cerné le besoin d’un mode de garde des enfants pour que les mères au foyer puissent suivre les ateliers qu’elles proposent. La proposition de halte-garderie est finalement retenue dans le cadre du Développement social des quartiers. Comme pour la Maison de femmes, la municipalité propose la location d’un pavillon et les subventions proviennent des politiques publiques127. Le collectif des femmes crée une association destinée à gérer cette structure qui commence à fonctionner en 1984. Considérée par les autres membres comme la véritable « fondatrice » de ce projet associatif, la femme à l’initiative du collectif d’habitants de la cité des 3F en est élue présidente. Aujourd’hui encore, elle occupe cette fonction. Nous allons voir néanmoins que l’association a connu un développement conséquent grâce aux partenariats avec les institutions publiques. Ce développement permet la réalisation du projet associatif, mais il fragilise également l’autonomie du groupement qui doit composer avec les injonctions des financeurs publics.