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La participation associative et la démocratie

II.2 Trois  grandes  thématiques  de  recherche  sur  les  associations

Comme indiqué dans l’introduction de ce chapitre, les associations ont connu un regain d’intérêt depuis les années 1970 tant au niveau des discours que des pratiques. Dans le champ académique, l’analyse du fait associatif a permis l’apparition ou le renouvellement de plusieurs approches théoriques de l’activité politique. Parmi les nombreuses études sur la question du rôle des associations dans la démocratie, trois grandes thématiques ont été retenues pour élaborer la problématique de recherche : le tiers secteur, le capital social et l’engagement militant. Dans cette partie, nous allons revenir sur les principaux apports de ces études, ainsi que sur les débats qui traversent ces trois thématiques de recherche. Outre la prise en considération de certains résultats de recherche, l’objectif est de faire apparaître des espaces de controverse afin de formuler des hypothèses de recherche en lien avec les débats qui entourent la question de la participation associative.

II.2.1 Les  associations  et  la  formation  d’un  tiers  secteur  

II.2.1.1La  consolidation  d’un  secteur  sans  but  lucratif…  

La question de l’autonomie des associations ne se pose pas uniquement par rapport au politique, elle concerne également les relations entre économie et société. Une des principales conceptions actuelles du fait associatif se construit en référence à un « tiers secteur » qui serait distinct de l’État et de l’économie marchande. Plus précisément, ce tiers secteur de l’économie se distingue du secteur public et du secteur privé lucratif, il regroupe « l’ensemble des initiatives privées non lucratives » dont un grand nombre prennent la forme associative (Nyssens, 2006, p. 619). Le concept de tiers secteur ne possède pas une définition consensuelle au sein du monde académique, mais il renvoie cependant à des faits observables dans un grand nombre de sociétés. D’une part, il repose sur l’existence d’organisations privées mues par une logique autre que la rentabilisation du capital investi. L’activité de ces organisations peut être centrée soit sur la défense d’une cause ou de certaines valeurs, soit sur l’expression d’un intérêt professionnel, soit encore sur la prestation de services ou la production de biens. D’autre part, les organisations du tiers secteur valorisent l’usage de modes d’échange de biens et de services selon une logique réciprocitaire qui diffère à la fois du contrat et de la redistribution. En d’autres termes, le bénévolat et le don constituent des

ressources privilégiées pour ces organisations à but non lucratif, ainsi que des liens noués avec différents acteurs autour de valeurs, d’intérêts et d’objectifs communs.

Dans les années 1990, un programme de recherche lancée par l’université états-unienne Johns Hopkins a permis une comparaison internationale du tiers secteur dans plus de vingt pays, dont l’Argentine et la France85 (Salamon et al.,1999). Conformément à la tradition anglo-saxonne86, le tiers secteur y est défini comme le « secteur sans but lucratif », ce qui implique un strict refus de la distribution des profits aux membres associés (Archambault, 1996). Les coopératives de travail et un certain nombre de mutuelles sont alors exclus du champ de l’étude. En revanche, le secteur sans but lucratif comprend toutes les organisations ayant déclaré officiellement leur existence, étant distinctes des pouvoirs publics et indépendantes de toute entité extérieure, comptant sur un minimum de participation bénévole et dont l’adhésion est volontaire et non obligatoire (Salamon et al.,1999, p. 465-466). Pour les auteurs de cette recherche, le tiers secteur est également un homonyme de la société civile dont l’essor au cours des années 1980-1990 est expliqué à partir de la crise de l’État providence et des limites des réformes économiques néolibérales rattachées au « consensus de Washington » (Williamson, 1990). Les organisations de la société civile – du tiers secteur ou du secteur sans but lucratif – prendraient alors à leur charge les problèmes sociaux et environnementaux délaissés à la fois par l’État et le marché. La société civile symbolise donc une « troisième voie » - la « révolution associative globale » – permettant de tendre vers un équilibre harmonieux au sein d’un triptyque formé avec les services publics et l’économie de marché (Salamon et al., 1999).

Cette approche comparative livre certaines données macrosociales sur ces deux pays que l’on peut intégrer à la problématique. Sans entrer dans le détail, les résultats de ce programme de recherche mettent en lumière l’importance du tiers secteur dans ces deux pays ainsi que le rôle croissant qu’il y joue dans l’économie, le social et l’espace public. Pour mesurer et comparer l’importance de ce secteur dans les différentes sociétés, cette recherche s’appuie sur des indicateurs telle la part d’emplois en équivalent temps plein (ETP) du secteur dans l’emploi total, le poids du tiers secteur dans le produit intérieur brut (PIB), la

85 Les 22 pays sur lesquels portent les principales analysent du programme Johns Hopkins sont : Allemagne,

Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Colombie, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Israël, Japon, Mexique, Pays Bas, Pérou, République Tchèque, Roumanie, Royaume Uni, Slovaquie.

86 L’analyse du tiers secteur en termes de « non profit sector » est courante aux États-Unis, de même que celle en

contribution de l’activité bénévole, la structure des financements ou encore les principaux secteurs d’activité des associations. Pour la France, en 1995, le tiers secteur emploie 960 000 salariés (ETP), soit 4,9 % de l’emploi total. Pour l’Argentine, en 1995 également, on recense 395 000 emplois (ETP), ce qui représente 3,7 % de l’emploi total. Prises dans l’ensemble des 22 cas nationaux, la France et l’Argentine ont une part d’emplois du tiers secteur dans l’emploi total relativement proche87 et se situent non loin de la moyenne générale calculée à 4,8 % (Graphique 1). Dans les deux cas, ces taux sont en augmentation depuis les années 1980.

Graphique 1 – Pourcentage d’emplois en équivalent temps plein (ETP) du tiers secteur dans l’emploi total, par pays, en 1995.

87 D’autant que si l’on ajoute les emplois (ETP) recensés dans les organisations religieuses, le taux de la France

ne passe que de 4,9 à 5 % tandis que celui de l’Argentine passe de 3,7 à 4,4 %. 0,4   0,6   0,9   1,3   1,7   2,2   2,4   2,4   3   3,5   3,7   4,5   4,5   4,8   4,9   4,9   6,2   7,2   7,8   9,2   10,5   11,5   12,6   0   2   4   6   8   10   12   14   Mexique   Roumanie   Slovaquie   Hongrie   République  Tchèque   Brésil   Colombie   Pérou   Finlande   Japon   ArgenMne   Autriche   Espagne   Moyenne  générale   France   Allemagne   Royaume  Uni   Australie   Etats-­‐Unis   Israël   Belgique   Irlande   Pays  Bas  

En référence au poids économique du tiers secteur, celui-ci est estimé à 3,7 % du PIB pour la France et à 4,7 % pour l’Argentine contre une moyenne de 4,6 % pour l’ensemble des pays étudiés (Tableau 4). On constate également entre la France et l’Argentine des taux relativement proches au niveau de l’activité bénévole. Celle-ci concerne 23 % des français et 20 % des argentins88, pour une moyenne de 28 % concernant les 22 cas nationaux (Tableau 4). À partir de ces trois critères (part des emplois, poids dans le PIB, activité bénévole), les auteurs du rapport argentin constatent que l’importance du tiers secteur en Argentine distingue ce pays de ses homologues latino-américains et le rapproche davantage de certains pays d’Europe occidentale comme l’Espagne et la France (Roitter, List, Salamon, p. 376-378).

Tableau 4 – Le tiers secteur en France et en Argentine selon la part d’emploi, le poids dans le PIB et la proportion du bénévolat, en 1995.

France Argentine Moyenne des 22

pays étudiés Part d’emplois (ETP)

dans l’emploi total 4,9 % 3,7 % 4,8 %

Poids du tiers secteur

dans le PIB 3,7 % 4,7 % 4,6 %

Part de la population

ayant une activité bénévole 23 % 20 % 28 %

Structure du financement du tiers secteur Recettes : 35 % Public : 58 % Dons : 7 % Recettes : 73 % Public : 20 % Dons : 7 % Recettes : 49 % Public : 40 % Dons : 11 %

88 Là encore, le tiers secteur argentin apparaît avec plus d’importance lorsque l’on agrège les données provenant

des organisations religieuses. Le travail bénévole est ainsi estimé à 264 000 emplois (ETP) sans la religion et à 390 000 emplois (ETP) avec la religion, soit une augmentation de près de 50 %.

Graphique 2 – Structure du financement du tiers secteur en France en 1995

Graphique 3 – Structure du financement du tiers secteur en Argentine en 1995

Si le volume du tiers secteur apparaît relativement proche en France et en Argentine, la structure du financement est en revanche bien différente. La France se caractérise par un important financement de la puissance publique (Tableau 4, Graphique 2), alors qu’en Argentine les recettes issues des cotisations et des services prestés sont largement majoritaires (Tableau 4, Graphique 3). De manière très générale, cette différence est expliquée par l’histoire des relations entre l’État et les associations. L’État en France s’est arrogé le monopole de l’intérêt général en délégitimant les « corps intermédiaires », puis il a joué un rôle tutélaire auprès d’associations actives dans les secteurs du social, de la santé et de l’éducation (Archambault, 1999). C’est en effet dans ces secteurs au cœur de l’État providence que le financement public est le plus important, il est par ailleurs souvent lié à des délégations de service public. En Argentine, l’État a aussi encadré les activités associatives

dès le XIXe siècle, notamment dans les secteurs sociaux, sanitaires et éducatifs qui restaient

en 1995 les plus subventionnés avec des taux respectifs de 46 %, 27 % et 21 % dans la

structure des financements. Mais l’instabilité politique qui traverse le XXe siècle et les divers

épisodes d’autoritarisme ont profondément altéré les relations entre l’État et les organisations associatives (Roitter, List, Salamon, 1999). Également, la date de l’enquête n’est pas neutre puisqu’elle se situe lors des réformes néolibérales qui opèrent une restriction du rôle de l’État

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et qu’il n’est pas fait mention de données antérieures similaires permettant une lecture diachronique. Nous verrons plus loin dans quelle mesure cette structure des financements est encore pertinente et, le cas échéant, quels effets sont observables au niveau des pratiques associatives en quartiers populaires.