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Pluralité des visions des églises pentecôtistes de la T

Chapitre 5 : Transformation dans la vie des femmes kaingang

5.5 Des répercussions ne se limitant pas à la réserve

Il sera présenté dans cette section les conséquences des transformations décrites précédemment sur la relation et l’exposition des femmes à la sphère publique et ce, non seulement à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur de la réserve.

5.5.1 Perception externe des femmes crentes

Nous avons constaté que les informatrices connaissent maintes transformations affectant plusieurs aspects de leur vie. Ces femmes sont persuadées que ces transformations sont visibles et par conséquent qu’elles sont perçues par l’Autre d’une manière différente d’avant leur conversion. Comme j’ai très peu eu la chance de côtoyer des Kaingang non crentes, je m’attarderai ici à la façon dont les informatrices ont l’impression d’être perçues par les communautés qu’elles côtoient.

La communauté kaingang

Plusieurs femmes ont souligné qu’elles estimaient que la communauté kaingang semblait percevoir qu’elles avaient changées, qu’elles étaient de meilleures personnes et qu’ainsi elles étaient plus respectées. Lorena affirme :

Ça a changé, parce que je vois la manière dont les gens parlent de nous, nous regarde, ils perçoivent qu’on change. On parle aussi de la manière que ça change nos vies (alors ils savent)157.

Cette nouvelle sensation de respect est d’autant plus forte chez les femmes qui buvaient excessivement avant la conversion et qui se sentaient auparavant exclues de plusieurs cercles. Elles s’étonnent alors que dorénavant de nombreux individus qui ne leur adressaient jamais la parole par le passé s’intéressent à présent à leur opinion :

Avant on buvait, on fumait, on allait aux danses, on semait la confusion, aujourd’hui non, il n’y a personne pour passer des commentaires sur nous,

seulement des bons commentaires. Maintenant les gens viennent pour prendre du chimarão chez nous, on n’avait pas ce plaisir, tu sais.158 (Suelen)

Je buvais beaucoup et dans cette communauté ici, personne ne me lançait même un regard, parce qu’ils voyaient déjà que j’étais une soûlonne. Maintenant, je crie de loin « paix du seigneur, sœur! », la tête haute, je n’ai pas honte, après que j’ai accepté Jésus ça a nettoyé. […] Avant quand je voulais converser avec les gens, ils s’enfuyaient de moi, ne voulait pas m’écouter, si j’arrivais dans un endroit, ils se dispersaient, ils savaient que j’étais soûle. L’autre jour j’étais au poste (de santé) et je parlais avec les gens, on riait ensemble et personne ne s’est enfui. Je l’ai raconté à Pedro (son mari) en revenant, ils m’écoutaient, avant personne ne m’écoutait. 159 (Claudete)

Ce respect donne l’impression à ces femmes d’être enfin vues, d’avoir de la valeur et d’être finalement incluses dans la communauté où elles occupaient auparavant une place marginalisée, ce qui génère des sentiments d’inclusion et de bonheur.

À l’extérieur de la réserve

Il existe encore énormément de discrimination faite à l’égard des autochtones au Brésil qui sont souvent intimidés et marginalisés dans les villes (Langdon 2005). La plupart des participantes perçoivent cependant bien plus de respect de la part des Brésiliens à l’extérieur de la réserve depuis qu’elles se sont converties :

Même au travail, dans l’autobus aussi, on voit une différence, même en ville, il y a beaucoup plus de respect. (Laura)

Je vois une différence. Les jeunes ne m’appelaient pas beaucoup parce que j’étais était autochtone (quand elle habitait à l’extérieur de la réserve durant son enfance). Maintenant, la société t’accepte plus, surtout nous qui avons un travail à l’église. Quand tu vas à l’extérieur, ils savent que tu es évangélique, tu es moins discriminée parce que tu es autochtone160. (Marta)

Elles perçoivent bien moins de discrimination entre les « blancs » et les autochtones, mais plutôt une nouvelle distinction entre le peuple crente et les non-crentes. Leite et Birman (2000) proposent également que dans le contexte brésilien, le pentecôtisme possède effectivement un effet égalisateur et antiraciste, car l’Esprit-Saint « ne voit pas les différentes couleurs de peau ». En proclamant l’égalité de tous devant les dons de l’Esprit-Saint, le pentecôtisme crée d’une

158 Ma traduction du portugais. Entrevue réalisée le 18 août 2015. 159 Ma traduction du portugais. Entrevue réalisée le 12 septembre 2015. 160 Ma traduction du portugais. Entrevue réalisée le 15 août 2015.

certaine façon de nouvelles « normes éthiques universelles » propres à son mouvement reposant sur la responsabilité individuelle et l’engagement personnel (Boyer 2005). Cette sensation de respect de la part des communautés que les femmes côtoient contribue à renforcer le sentiment de fierté d’être crente, raffermissant ainsi leur identité pentecôtiste. La diminution de la sensation de marginalisation et de discrimination de la part de la société brésilienne peut également être influencée par l’intensification de la mobilité et des échanges entre les crentes à l’intérieur et à l’extérieur de la réserve.

5.5.2 Mobilité

En faisant partie d’une église pentecôtiste et en participant de manière active aux diverses activités de la communauté, les femmes ont généralement davantage l’opportunité de se déplacer, de circuler à l’intérieur du village et de la réserve ainsi que de voyager dans certaines des villes avoisinantes. Une nouvelle mobilité est donc suscitée à différents niveaux. Tout d’abord, les femmes circulent davantage entre les différentes églises du village, que ce soit pour la collaboration entre des églises, suite à l’invitation du círculo de oração ou simplement parce qu’elles aiment visiter d’autres églises les jours où la leur n’offre pas de culte. Elles se déplacent également plus à travers le village lorsqu’elles vont converser avec différentes femmes, que ce soit dans un objectif d’évangélisation ou simplement afin d’entretenir leurs relations crentes. Ensuite, les femmes ont également davantage d’occasions de se déplacer dans les autres villages de la réserve Xapecó suite à la conversion. En effet, elles sont encouragées à visiter les églises des villages kaingang avoisinants lorsque le círculo de oração est convié à venir chanter, quand la femme du pasteur ou du presbítero est invitée à venir prêcher ou encore lorsque le pasteur reçoit une invitation et qu’il convie toute sa congrégation avec lui. Les femmes possédant des dons de guérison, les missionnaires ainsi que les femmes de pasteur (ou de presbítero) voyagent également assez régulièrement dans les divers villages de la réserve lorsqu’elles sont invitées à venir prêcher ou bénir certains individus. Puisque certains ministères offrent plus d’opportunités de contact avec la société brésilienne que d’autres en fonction des liens que ces églises entretiennent avec leur église-siège régionale à l’extérieur de la réserve. Certaines femmes ont donc l’occasion d’assister à des cultes dans les villes d’Abelardo Luz, Xanxerê, Xapecó et d’ainsi rencontrer des membres de ces églises. Quelques femmes de pasteurs ont même

mentionné avoir accompagné leur mari jusque dans les villes de Florianópolis, Joinville et Curitiba.

Pour un grand nombre de femmes, à moins que des membres de leur famille ne demeurent dans des régions éloignées, c’est à travers le pentecôtisme qu’elles sont amenées à voyager le plus loin. Si elles doivent se déplacer pour aller faire leurs courses ou payer leurs comptes dans le village de Bom Jesus ou parfois jusqu’à la ville de Xanxerê, les opportunités de visites des églises pentecôtistes génèrent une intensification ainsi qu’une diversification de la mobilité des femmes. Pour quelques femmes plus âgées déléguant les différentes tâches à réaliser en ville à leurs enfants, la participation aux congrès ou la visite de cultes à l’extérieur de la réserve sont les uniques occasions où elles sortent de la réserve. L’une des principales conséquences de cette mobilité accrue est évidemment l’expansion du réseau de relations sociales.

5.5.3 Réseau social

La conversion entraîne des répercussions considérables sur le réseau social des femmes kaingang. En prenant part au círculo de oração d’une église, les femmes se rapprochent de nombreuses nouvelles femmes et entretiennent notamment ces nouvelles rencontres grâce aux multiples conversations informelles dont il a été fait mention un peu plus haut. De plus, elles sont mises en contact avec des personnes vivant à l’extérieur de la réserve, quoique principalement des femmes, à travers les visites de cultes de leur église siège ainsi qu’à l’occasion de congrès de femmes161. Ces rencontres permettent aux femmes de fraterniser et

d’apprendre à connaître des crentes de l’extérieur de la réserve et vice-versa. Plus les femmes sortent converser avec des individus divers ou sortent évangéliser, plus elles voient leur réseau social s’élargir : « Quand j’étais missionnaire et que j’allais converser avec les gens, on devenait amis ensuite, on commençait à converser et on restait avec de l’amitié. » Luciana.

Toutefois, bien que la majorité des femmes ait constaté un élargissement important de leur réseau social, quelques-unes notent qu’elles ont dû tirer un trait sur de nombreuses connaissances et ont même coupé les liens avec certains membres de leur famille à cause de leur mode de vie comportant des fêtes fréquentes et de l’alcool.

161 La plupart des congrégations pentecôtistes organisent des congrès de femmes régionaux à l’église mère et parfois

Je vois une différence jusqu’à ma famille (qui habite à l’extérieur de la réserve, à Florianópolis). Je ne les visite pas beaucoup parce qu’ils ne sont pas évangéliques et la fin de semaine ils font des fêtes et tout, et on ne peut pas participer. Je m’ennuie de ma mère, elle vient ici des fois, mais sinon on ne se mélange plus beaucoup162. (Suelen)

La conversion génère donc incontestablement une reconfiguration du réseau social. Les femmes développent de multiples relations pentecôtistes, mais doivent parfois s’éloigner d’anciennes connaissances si leurs activités sont trop poussées vers l’alcool.