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Chapitre 2 : Cadre théorique et conceptuel

2.4 L’étude de la conversion

Définir la conversion reste une tâche assez ardue, car il n’existe pas de consensus dans la littérature quant à l’aspect théorique du concept ou de la méthodologie appropriée à son étude (Mossière 2007). Puisqu’il existe une grande diversité d’approches, d’angles de recherche et donc de définitions du concept, je ne tenterai pas ici de faire un exposé exhaustif de la définition de la conversion dans la littérature, mais simplement de mettre en lumière les éléments importants et en quoi ces derniers sont utiles à une meilleure compréhension de la problématique.

D’un point de vue étymologique le mot conversion vient du latin conversio qui signifie « se tourner de et vers 50» (Austin-Broos 2003a, 2) impliquant une dimension de changement et de

transformation tant dans l’idéologie qu’au niveau des pratiques. Malgré la diversité des approches du concept, la majorité des chercheurs en sciences sociales s’entendent sur la dimension de changement (Mossière 2007, 9). Mossière (2007, 9) fait un recensement important des diverses approches sur la conversion et démontre que certains auteurs considèrent la conversion comme un changement drastique d’idéologie, d’autres abordent le concept davantage comme une transformation progressive des croyances, certains pensent la conversion comme un processus multiple impliquant plusieurs étapes et d’autres chercheurs conceptualisent plutôt la conversion comme un processus dynamique impliquant une négociation constante entre les états antérieurs et postérieurs. Crépeau (2012), Westman (2012), Wiik (2012) proposent une approche de la conversion ne se situant pas à mi-chemin entre la continuité ou la discontinuité des valeurs et des pratiques, mais suggèrent plutôt une troisième voie, celle de la continuité

49Par exemple, plusieurs travaux portant sur les femmes musulmanes soutiennent qu’elles exercent leur agentivité

dans leur choix de porter le voile et de se vêtir de manière modeste témoignant ainsi de la négociation d’une identité morale aux niveaux personnel et sociale (Mossière 2010a, Mahmood 2005). S’intéressant aux femmes prêcheuses dans les mosquées en Syrie, Kalbach (2012, 87) démontre comment les femmes possédant une certaine autorité religieuse dans les mouvements du renouveau islamique ont la capacité potentielle de changer la vie ainsi que la vision de la religion des femmes de leur communauté malgré les contraintes qui leurs sont imposées.

transformative qui prend en considération l’actualisation locale et contextuelle des différentes influences présentes (Bousquet et Crépeau 2012, 8).

Si certaines études positionnent le converti comme étant passif dans le processus de conversion, depuis les années 1970, les études ont davantage tendance à souligner l’agentivité des convertis, considérant donc ces derniers comme des acteurs négociant leur appartenance à un nouveau groupe social (Mossière 2007). Dans les études récentes sur la conversion, les approches mettent également l’accent sur la trajectoire personnelle de l’individu ainsi que sur les transformations subjectives liées à l’acte de conversion (Beaucage et al. 2007, 49), car la conversion religieuse est considérée comme le fruit d’une expérience singulière peu importe le contexte religieux ou social dans lequel elle s’inscrit (Mossière 2007, 7). Certains chercheurs critiquent toutefois ces approches comme étant, selon eux, trop axées sur l’individu puisqu’ils considèrent qu’il faut également considérer les dynamiques historiques, culturelles, politiques, économiques et sociales influençant l’expérience religieuse d’un individu (Austin-Broos 2003, Coleman 2003). La conversion reste toutefois un acte individuel et il est impossible de définir l’expérience et la réception d’une religion de manière homogène (Gélinas 2003).

La conversion est parfois définie comme faisant référence à un événement particulier et parfois comme étant plus diffuse dans le temps (Austin-Broos 2003a). Paul Hiebert (1978), un missionnaire chrétien titulaire d’un doctorat en anthropologie, souligne la complexité de la conversion en insistant sur le fait qu’aucune conversion n’est totale, complète et parfaite, mais que la conversion représente plutôt un but vers lequel aspirer plutôt qu’un « produit fini » compte tenu de la diversité des expériences humaines (Rambo 2003, 214). Coleman (2003, 17) propose le terme continuous conversion exprimant ainsi l’idée d’une conversion active où toutes les activités auxquelles participe le néophyte contribuent à forger son identification à la nouvelle religion et les croyances qui lui sont reliées. Selon Austin-Broos (2003a, 2), la conversion implique une recomposition de l’identité, un apprentissage, puis une réorientation de son système de sens impliquant des transformations toutes interreliées, de manière continue à travers le temps. La reconnaissance sociale du changement de religion et de l’implication dans la vie de l’église joueraient également un rôle fondamental dans le processus de conversion (Mossière 2007, 6, Austin-Broos 2003a). Plusieurs auteurs traitant de la conversion dans les mouvements évangéliques abondent en ce sens, percevant la conversion comme continue et construite à

travers la pratique (Stromberg 1993, Coleman 2003, Rambo 2003). La narration du récit de conversion lors de témoignages ou d’activités prosélytiques agirait comme un rituel essentiel à l’édification de la foi et contribuerait à forger l’expérience personnelle de la conversion en elle- même (Stromberg 1993). Selon Hervieu-Léger (2010, 193), la conversion traduit souvent un désir de remettre en ordre la vie personnelle s’exprimant souvent comme une protestation contre le désordre du monde dans lequel l’individu évolue. Austin-Broos (2003) propose d’ailleurs que la conversion se produirait en réponse à la quête d’un nouvel habitus51 et impliquerait donc le passage d’un habitus à un autre, ce dernier étant « constituted et reconstituted through social pratice et the articulation of new forms of relatedness » (Ibid., 9).

Les approches soutenant une continuité dans la conversion mettent en évidence un certain bricolage et syncrétisme religieux où des influences d’idéologies, d’autres religions ou de cultures se manifestent par l’hybridation ou la combinaison de pratiques et de croyances, que ce soit de manière éphémère ou plus durable dans les cheminements individuels (Meintel 2003). La circulation des croyances est en effet considérée par plusieurs l’une des caractéristiques importantes de l’ère moderne en matière de spiritualité (Hervieu-Léger 2010). Mary (1998) ajoute qu’en raison du contact accru avec une diversité de traditions religieuses, de par le contexte de globalisation actuel, le concept de conversion doit être compris comme un phénomène beaucoup plus complexe qu’un processus continu et linéaire, mais occasionnant continuité, discontinuité, ambivalences, incorporations et incertitudes.

Enfin, puisque les nouvelles croyances adoptées suite à la conversion se réfèrent à une nouvelle perception de l’ordre du monde, de la personne ainsi que des rôles occupés par les individus dans la société, la conversion permet à plusieurs de renégocier les statuts et les identités qu’ils occupent (Mossière 2007, 17). Ce serait selon plusieurs chercheurs l’une des raisons pour laquelle on observerait au niveau mondial davantage de conversions féminines (Bastian 2000b, Davidman et Greil 1993, Martin 1995).

51 Le concept d’habitus de Bourdieu fait référence à la manière dont le corps est « socialement informé » formé par

des normes et des pratiques inconscientes dans un système de sens et de préférences spécifiques au groupe auquel il appartient (Mossière 2011, 59).

2.4.1 La conversion en contexte pentecôtiste

La conversion au christianisme est souvent décrite comme un « change of heart » (Heirich 1977). En effet, les récits de conversion évoquent généralement une rupture franche avec la vie passée souvent exprimée comme une renaissance suite à la conversion (Robbins 2007, Meyer 1999, Veiga 2004). Les crentes des mouvements protestants charismatiques s’accordent généralement pour dire que la conversion implique l’abandon total de soi à Dieu. Dans leurs récits de conversion, les pentecôtistes soutiennent que leur âme et leur esprit ont été renouvelés au moment où ils ont accepté Jésus dans leur vie comme sauveur (Coleman 2003, 16). Cette perception de la conversion implique donc des changements profonds au niveau de l’identité ainsi qu’au niveau de la vision du monde du converti (Mossière 2007). Pour plusieurs auteurs (Pedron-Colombani 2008, Corten 1998a, Mary 2000), cette rupture opérerait également dans la sphère profane en agissant comme une « réforme du quotidien » (Wright et Kapfhammer 2004, 13). La notion de rupture complète dans la conversion au pentecôtisme est toutefois remise en cause dans la littérature (Beaucage et al. 2007, Wright et Kapfhammer 2004). Coleman (2003, 16) souligne une déconnexion entre les récits des pentecôtistes promouvant une rupture totale et instantanée de leurs croyances et les études ethnographiques qui démontrent une socialisation beaucoup plus graduelle et ambiguë des nouveaux adeptes. Reprenant certains propos de Veiga (2004), Ferrari (2012) argumente que la conversion au pentecôtisme des Kaingang de la Terra Indígena Guarita implique un processus de « ruptures-avec-continuité52 » (Ibid., 393) se

produisant à travers la recomposition des valeurs des croyances ancestrales et chrétiennes, l’adoption d’une nouvelle conduite morale, de nouvelles ritualités et de nouveaux comportements. Ceux-ci sont le résultat d’une lente négociation des symboles impliquant la reformulation des messages et la résistance des traditions (Ibid.). Dans ses travaux auprès des Xokleng pentecôtistes, Wiik (2012) souligne également l’agentivité des autochtones dans le processus de conversion au pentecôtisme qui, à travers un processus de médiation culturelle, adoptent un système de sens ponctué de rupture et de continuité avec le passé, modulant avec le temps les enseignements pentecôtistes de manière à satisfaire leurs quêtes spirituelles.

À la lumière de ces définitions et explications nullement exhaustives, je pense qu’il est difficile d’adopter une définition de la conversion de manière universelle puisque l’expérience de la religion et de la rencontre avec un nouveau système religieux est infiniment diverse. Pour ma part, je définirai ici la conversion comme un processus continu dans le temps à l’intérieur duquel le converti exerce des choix conscients où différents agents sociaux influencent toutefois ses décisions. C’est pourquoi je m’intéresserai au social, au quotidien et à la participation des femmes kaingang pentecôtistes puisqu’ils prennent part de manière active au processus de conversion. La rencontre de l’individu avec la nouvelle religion reste un processus extrêmement complexe et riche où se négocient continuité et rupture engendrant syncrétisme, substitution, réorganisation, recomposition et transformation de l’univers personnel et social. Dans ce mémoire, je m’intéresse véritablement au résultat de la rencontre, c’est-à-dire non pas directement le processus de transformation, mais le résultat de ces transformations. Bref, en quoi le nouvel habitus pentecôtiste est pratiqué et incorporé à la vie des femmes kaingang. Dans le chapitre suivant, j’exposerai la méthodologie par l’intermédiaire de laquelle j’ai abordé cette problématique.