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Pluralité des visions des églises pentecôtistes de la T

Chapitre 5 : Transformation dans la vie des femmes kaingang

6.2 Développement de compétences

6.2.3 Parler en public

Dans le même ordre d’idée, les femmes de la réserve ont rarement l’occasion d’avoir une voix et de parler devant un public (à l’exception des professeures de l’école, de deux jeunes femmes ayant réalisé des études postsecondaires ainsi que quelques aînées parfois conviées lors de congrès kaingang en raison leurs savoirs ancestraux). Suite à leur conversion, tous sont fortement encouragés à aller témoigner à l’avant. Lorsqu’elles deviennent obreiras, elles ont même l’opportunité de prier de même que louanger le Seigneur à haute voix devant l’assemblée. Après plusieurs années au service de Dieu et l’acquisition de certains « talents » certaines obreiras, généralement des missionnaires et des femmes de pasteur ou de presbítero, peuvent devenir maîtresses de cérémonie pour certains cultes et peuvent également prêcher. Ces talents auxquels on fait référence sont en fait des techniques d’orateurs caractéristiques des narrations pentecôtistes. Les femmes apprennent donc à s’exprimer fortement en utilisant une voix habituellement plus grave, en plus de glorifier constamment le Seigneur au travers de leur discours et de surtout réaliser des crescendos tant au niveau de la force que de l’exaltation de leur voix durant leurs interventions devant l’assemblée185. Ces techniques contribuent à

185 Lors d’un congrès organisé dans le cadre du projet Saberes Indígenas na Escola, une initiative du MEC

(Minísterio da Educação) en collaboration avec l’UFSC, plusieurs aînés avaient été conviés afin de discuter de différentes traditions et mythes kaingang. Il était assez intéressant de constater que parmi les 5 femmes présentes, 3 d’entre elles étaient crentes. Lorsque ces dernières s’exprimaient devant la foule, plusieurs n’ont pas manqué de remarquer qu’elles paraissaient prêcher, car elles utilisaient le même ton de voix et les mêmes intonations en plus de glorifier le Seigneur tout au long de leur exposé.

alimenter le climat d’effervescence du culte considéré comme une manifestation de l’Esprit- Saint (Mossière, 2004). Les opportunités données aux femmes afin de s’exprimer devant la communauté leur permettent donc d’apprendre à gérer un public de même que les émotions de ce public en plus de les aider à surmonter leur timidité et ainsi prendre confiance en elles.

6.2.4 Savoirs de Dieu

Comme il est commun pour les femmes d’arrêter les études assez tôt, plusieurs se sentent ignorantes par rapport aux générations antérieures et aux hommes de la communauté. Certaines ont mentionné s’être fait insulter et traiter d’ignorantes à plusieurs reprises par d’autres membres de la communauté kaingang et parfois même par des membres de leur propre famille. Suite à la conversion, elles connaissent « la parole de Dieu » et ne se sentent désormais plus ignorantes. L’Esprit-Saint parle en effet à tous de manière égale sans tenir compte du niveau d’éducation ou tout autre rang qui pourrait être occupé par les fidèles, car tous peuvent accomplir son œuvre (Flora 1975, 415). Ainsi, les gens leur prêtent dorénavant attention et viennent même se renseigner auprès d’elles. Leur opinion est à présent considérée comme importante, car elles possèdent ces connaissances octroyées par Dieu. Elles peuvent en effet développer un certain rôle d’enseignante auprès de la communauté crente, mais également pour les potentiels convertis. Iris, qui donnait autrefois les cours de catéchèse, précise :

J’enseignais aussi la Parole de Dieu avant d’être crente, mais pas comme je le fais aujourd’hui. Je ne savais pas expliquer. Je ne connaissais pas. J’avais déjà le savoir catholique, du mondain, mais maintenant Dieu m’a donné le savoir spirituel186.

De par son expérience du pouvoir de l’Esprit-Saint, de la présence de Dieu, Iris comprend maintenant la Parole de Dieu et peut ainsi beaucoup mieux l’enseigner en se basant sur sa propre expérience spirituelle. Ainsi, l’acquisition de ces nouveaux savoirs met fin à un certain sentiment d’ignorance et d’inutilité, les femmes se sentant par conséquent beaucoup plus utiles, respectées et valorisées.

6.2.5 Dons

Ensuite, les femmes peuvent acquérir différents dons de source divine dont l’usage est voué au bénéfice de la communauté. En effet, selon le postulat idéologique pentecôtiste, les dons ainsi que les bienfaits de Dieu se doivent d’être partagés et transmis au reste de la communauté (Mossière 2004). Spécifions que seules les personnes baptisées dans les eaux peuvent acquérir des dons de l’Esprit-Saint. Les femmes prient et demandent à Dieu de leur permettre de mieux le servir avec ces dons. Lorsqu’elles sont prêtes et si c’est la volonté de Dieu, elles obtiendront un ou plusieurs dons. Notons cependant que le nombre d’adeptes possédant des dons est minime par rapport au nombre total d’adeptes de la réserve. Chaque église compte généralement de trois à sept individus, incluant les pasteurs, qui sont réputés posséder des dons divins.

Les dons de l’Esprit-Saint peuvent être de différentes natures. Les femmes de la réserve dotées de dons divins possédaient parfois le don de glossolalie, parfois celui de prophétie aussi appelé don de révélation187 et souvent le don de guérison. Le savoir et la connaissance divine sont

également considérés comme un don divin par certaines églises. Parmi les femmes avec qui j’ai réalisé des entrevues, deux d’entre elles possédaient un don de guérison. Trois autres femmes détenaient des dons de guérison en plus de dons de glossolalie et de révélation. Il est cependant important de souligner que bien plus de femmes que d’hommes possédaient des dons de guérison dans la réserve. McGuire (McGuire 2008b) relève également la surreprésentation des femmes comme thérapeutes dans les religiosités axées sur la guérison. La sociologue fait un lien avec le rôle naturel de mère et avance que les femmes sont naturellement plus empathiques comme si elles étaient naturellement programmées à vouloir s’occuper des autres et à faire preuve de compassion.

Selon les informatrices, le simple fait que le Seigneur leur accorde un don est gratifiant, car cela signifie qu’il détient un plan pour elles. C’est la preuve que Dieu a confiance en elles, qu’il reconnait leur dévouement à sa cause et qu’elles sont donc des femmes vertueuses. De plus, Tangenberg (2007) avance que l’action même de donner la guérison est une grande source de

187 Ce don consiste à percevoir les maladies ou les problèmes des gens. Les pasteurs s’en servent parfois pour

puissance d’agir, car les femmes se sentent privilégiées que Dieu les ait choisies, elles sentent qu’elles ont le pouvoir de changer les choses, ce qui renforce leur estime d’elles-mêmes. En exerçant leurs nouvelles habiletés de source divine, elles acquièrent également un certain statut et respect social dans la réserve.

En plus des dons classiques, lorsque les individus disposent d’habiletés particulières contribuant au bien de la communauté, il est dit que c’est un don de Dieu. À titre d’exemple, j’ai mentionné ci-dessus qu’une des femmes crentes du village fabriquait des pantoufles à partir de semelles de vieilles sandales brisées et fournissait ainsi de nombreuses personnes du village en pantoufles. Plusieurs femmes crentes répétaient qu’elle avait reçu un don de Dieu afin de permettre aux gens de la réserve de se tenir les pieds au chaud durant les froides soirées d’hiver. De plus, Beatriz, la missionnaire de l’église Rei da Gloria qui est en quelque sorte la guérisseuse du village, insiste sur le fait qu’elle possède « un don de guérison et un don de Dieu pour faire des remèdes. ». Lorsque les gens viennent la consulter pour différents types de problèmes, cette dernière prie en préparant ses remèdes et bénit également les individus lorsqu’ils viennent chercher ces remèdes ou alors au moment où ils les ingèrent.

La participation aux nombreuses activités pentecôtistes permet donc le développement d’alternatives dans la sphère publique, car les femmes gagnent de l’assurance et des habiletés qui peuvent les aider à mieux travailler (Flora 1975). Le fait de recevoir des dons reconnus par la communauté engendre une certaine reconnaissance d’elles-mêmes comme étant des individus capables d’interagir avec Dieu (Rabelo et al. 2009). De plus, la pratique des dons les place dans des réseaux importants de relations dans la communauté pentecôtiste. Ces nouvelles capacités leur donnent le pouvoir de faire concrètement une différence autour d’elles en plus d’engendrer un énorme respect de la communauté à leur égard. L’acquisition de même que l’emploi de ces nouvelles compétences génèrent un sentiment d’empowerment important qui les incite souvent à s’impliquer davantage dans les cultes de même que dans la vie de la communauté. Grâce à ces dons, ces femmes deviennent même parfois des références au-delà des limites du pentecôtisme par exemple en servant de guides, de conseillères ou de guérisseuses à l’extérieur de la communauté pentecôtiste (Chesnut 2003, Mariz et al. 1998b).