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3.2.1 Une pluralité de visions du pentecôtisme

3.3 La place du chercheur dans la communauté

Auprès des membres de la communauté kaingang, je me suis présentée comme une étudiante canadienne en anthropologie. Mon statut d’étudiante canadienne m’a aidé sur plusieurs points. Tout d’abord, j’étais associée à un pays peu connu et je suscitais donc la curiosité. Au départ, leur gêne surpassait cette curiosité si bien qu’elle se limitait à des regards curieux. Au fil du temps, les gens surmontaient leur timidité et m’invitaient à des repas ou à venir me « poser », soit à rester et dormir chez eux. Grâce à mon statut de Canadienne, je me dégageais également des tensions postcoloniales latentes qui pouvaient exister avec la population brésilienne. De plus, les quelques chercheurs canadiens qui avaient travaillé avec les Kaingang étaient mon directeur de recherche, Robert Crépeau, et quelques-unes de ses

61 Plusieurs jeunes femmes célibataires pentecôtistes (ce qui était assez rare après 19 ans) se plaignaient de trouver

très difficile de rencontrer des hommes. L’église Assembleia de Deus avait comme solution d’organiser des danses sans alcool pour les jeunes lors de congrès de jeunes afin que les membres des différentes églises de leur congrégation se rencontrent. Ces danses regroupaient les différentes églises Assembleia de Deus des autres villages de la réserve et même des églises des villes avoisinantes à l’extérieur de la réserve.

étudiantes. Ceux qui se souvenaient d’eux en gardaient un très bon souvenir62. Ce contexte me

fournit une bonne porte d’entrée pour démarrer les discussions, les « anthropologues canadiens » avaient donc bonne réputation.

3.3.1 Jusqu’où la participation pour apprivoiser le terrain

Il va sans dire que le fait d’étudier de près un groupe religieux oblige le chercheur à faire face à ses propres croyances, à découvrir ses limites personnelles et même dans certains cas redéfinir ces croyances. Ayant été élevée dans une famille catholique, j’ai eu l’impression dès le début de mon terrain qu’un insigne de potentielle convertie flottait au-dessus de ma tête. Étant donné le caractère très prosélyte du mouvement pentecôtiste, le fait de ne pas être crente a constitué un avantage particulièrement dans les premières semaines de mon terrain, car les pasteurs se sont montrés en général extrêmement ouverts à mon étude en espérant probablement « gagner mon âme ». De plus, j’ai pu utiliser à mon avantage cette situation pour poser beaucoup de questions sans qu’elles ne suscitent la méfiance. Toutefois, après un certain temps, j’ai réalisé que ce prosélytisme était plus problématique que je ne le pensais au départ, car les femmes avec qui je discutais avaient tendance à garder une façade de « pentecôtiste parfaite »63 que j’avais

de la difficulté à percer. Il était clair que ma conversion était un enjeu important de ma recherche et que ma position de recherche allait influencer énormément les données. En étude de la religion, il n’existe de positionnement idéal. Si le chercheur est adepte de la religion qu’il étudie, celui-ci sera biaisé par ses croyances et s’il ne l’est pas, on lui reprochera de ne rien comprendre (Hervieu-Léger 1987). Évidemment, dans tous les cas, un certain biais est inévitable.

Le problème de la modification de comportement face à un observateur extérieur est un problème assez commun en sciences sociales. En fonction des spécificités de son étude, le chercheur est donc amené à choisir sa « stratégie d’enquête » selon le degré d’implication souhaité pour apprivoiser le terrain. Ne me sentant pas prête à aller à l’encontre de mes convictions, la conversion comme choix de vie personnel n’était pas envisageable. Ensuite, il aurait été possible d’opter pour une « conversion déguisée » ou de « jouer le jeu » (Favret-Saada

62 Ce dernier se faisait entre autre appeler littéralement « Canada » lors de ses séjours, si bien que je me faisais

appeler à mon tour au départ aluna do Canadá (l’élève de Canada) pour qu’au final, ils s’adressent à moi en tant que menina do Canadá (jeune fille du Canada) ou moça do Canadá (jeune femme du Canada).

1990, Olivier de Sardan 1995, 2000) où j’aurais pu prétendre me convertir et me comporter comme une véritable pentecôtiste jusqu’à la fin de mon terrain. Seulement, cette « conversion déguisée » aurait engendré plusieurs problèmes et aurait complètement réorienté ma recherche. Conditions d’enquête et positionnement

Il est tout d’abord important de comprendre que parmi les douze ministères présents dans le village Sede, neuf des ministères imposaient à travers leurs doctrines un certain code vestimentaire aux femmes impliquant des jupes dépassant les genoux et des chandails couvrant les épaules64. Dans les deux derniers ministères, Assembleia de Deus :Cristo é a Solução et

Unido-se pela Fé, ce code n’était pas obligatoire65. Il faut réaliser qu’une « conversion

déguisée » aurait impliqué le choix d’une église et par conséquent les doctrines et le code vestimentaire associé à cette église. Je redoutais le fait qu’en choisissant une église plus conservatrice, je serais facilement identifiée et associée à cette église, puis que les femmes des églises plus libérales se sentiraient moins à l’aise de partager ce qu’elles pensaient et la manière dont elles vivaient réellement. En choisissant une église plus libérale, je serais encore considérée comme non-crente par plusieurs pentecôtistes conservatrices, ce qui n’était pas plus bénéfique à ma recherche. De plus, en choisissant de me convertir dans une église, je devrais passer beaucoup plus de temps dans les cultes de cette église ainsi qu’avec les adeptes de cette congrégation, ce qui aurait grandement biaisé les résultats si je ne modifiais pas ma question de recherche.

J’ai ainsi décidé d’adopter une position intermédiaire où, sans prétendre être convertie, je participais aux cultes et aux activités des femmes kaingang pentecôtistes en laissant ma subjectivité guider le degré de ma participation selon ma réceptivité aux activités rituelles. J’ai ainsi adopté une position similaire à Mossière (2004, 2007) qu’elle qualifie d’« auditrice- spectatrice libre » versus une position plutôt passive ou complète. Il est important de relever que

64 Les églises les plus conservatrices imposaient en plus aux femmes de ne pas se raser, ne pas se couper les

cheveux, ne pas porter de maquillage ou de bijoux. Certaines allaient même jusqu’à défendre les télévisions, les radios et de jouer à des « jeux d’hommes » comme jouer au soccer. Les hommes étaient contraints de ne pas porter de shorts et à ne pas dénuder leur torse. Les prescriptions variaient en fonction des églises. Dans l’église la plus libérale, il n’existait aucune de ces prescriptions.

65 Bien que plusieurs femmes portassent des jupes lorsqu’elles venaient à l’église, c’était souvent par habitude, si

le caractère fortement émotionnel des cultes pentecôtistes rend particulièrement ardue l’indifférence du chercheur. En effet, comme plusieurs chercheurs ayant travaillé auprès de pentecôtistes le soulignent (Corten 1995, Mossière 2007, Burelle 2010), les discours enflammés et émotifs combinés aux effusions de joie, de larmes et de cris m’ont fait verser des larmes à plusieurs reprises. Cela m’a contraint à constamment devoir négocier la frontière fragile entre observation et expérience phénoménologique du terrain.

En outre, j’ai également choisi de continuer à porter des pantalons durant les cultes, excepté au cours d’occasions spéciales telles que les fêtes ou les congrès religieux. J’enlevais toutefois mes bijoux avant d’entrer dans les églises, je ne portais pas de maquillage et je ne portais aucun vêtement court ou décolleté. Ainsi, certaines femmes déclaraient « que Dieu était en train de faire son œuvre », car elles percevaient un certain changement et les femmes venant d’églises plus libérales continuaient à se sentir à l’aise de me dire ce qu’elles pensaient. Ensuite, même si je n’ai dans aucun cas affirmé avoir accepté Jésus, plusieurs femmes semblaient me considérer crente ou du moins comme membre de la communauté de soeurs. En effet, certaines femmes me saluaient en disant « paz do senhor », salutation qu’elles réservaient généralement au peuple évangélique. En général, les crentes mettaient bien en opposition le « nous », peuple évangélique, versus le « vous », les personnes qui sont comme toi (moi dans ce cas-ci). Toutefois, à force d’accompagner les femmes dans leurs activités quotidiennes et en participant à tant de cérémonies, plusieurs personnes semblaient me considérer évangélique, car elles m’incluaient dans le « nous » lors de discussions. Il est possible que dans l’imaginaire de certaines qui me connaissaient moins, je puisse être une pentecôtiste venant d’une congrégation de l’extérieur de la réserve où le code vestimentaire n’était pas prescrit.

Évidemment, lorsqu’une personne me demandait si j’étais évangélique, je répondais toujours que j’étais catholique en précisant que je croyais en Dieu66, mais que je n’étais pas encore prête

à accepter Jésus. Ainsi, je leur indiquais que j’étais ouverte à l’idée d’accepter Jésus dans des termes qui leur étaient familiers tout en indiquant que c’était quelque chose que je prenais au sérieux. J’espérais ainsi également réduire le prosélytisme en soulignant que je croyais déjà en

66 Pour plusieurs Kaingang qui avaient grandi après que l’église catholique fut fermée (à l’exception de Pâques et

de Noël), le terme catholique était souvent synonyme de « ceux qui n’allaient pas à l’église et n’avaient pas de doctrines ».

Dieu. Plusieurs semblaient considérer que les spécificités de mes croyances étaient moins importantes que le fait de croire, que Dieu était déjà présent dans ma vie et que « je viendrais à lui » au moment opportun.